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Une diplomatie française vacillante au Moyen-Orient

La politique arabe de la France a perdu de sa grandeur, d'après Chloé Berger, consultante spécialisée sur les questions politico-stratégiques du Moyen-Orient

Publié le 13 août 2014 à 13h27, modifié le 13 août 2014 à 14h11 Temps de Lecture 5 min.

le Proche Orient, une région

Certains ont condamné les « errements » de la diplomatie française à l'égard des événements en cours à Gaza. En dépit du premier communiqué élyséen, celle-ci a pourtant adopté une position qui ne la distingue en rien de la majeure partie des pays occidentaux et qui est, peu ou prou, la même qu'à chaque nouvel affrontement dans les territoires palestiniens. Depuis presque 10 ans, la séquence diplomatique se répète : appel à un cessez-le-feu immédiat, condamnation des tirs de roquettes visant le territoire israélien et appel à une riposte proportionnée. Que la diplomatie française ait à cœur de maintenir une position équilibrée entre les belligérants, en s'appuyant sur le droit international, constitue plutôt une attitude prudente et constructive.

Au fil des affrontements entre Israël et le Hamas, la position d'équilibre est toutefois devenue une sorte de réaction « convenue », conjoncturelle, visant uniquement à rechercher un cessez-le-feu. On peut en effet regretter que la diplomatie française n'ait pas manifesté plus fortement sa position d'équilibre dans la période précédant l'ouverture du conflit et soutenu, en dépit des critiques israéliennes, la mise en place effective d'un gouvernement d'union nationale palestinien. La fin de la trêve vendredi dernier a rappelé, une fois encore, que le cessez-le-feu ne constitue pas une fin en soi et ne fait qu'ajourner une reprise des affrontements, inévitable en l'absence de négociations sérieuses entre les belligérants.

« UNE DIPLOMATIE DES VALEURS ET DES PRINCIPES »

Il est ainsi regrettable que cette position d'équilibre ne caractérise que le temps chaud du conflit et ne constitue pas, ou plus, une ligne structurante de la politique étrangère française dans la région. De ce rôle traditionnel de médiateur qui caractérisait la politique arabe de la France, la diplomatie française a conservé les discours et les apparats. Elle a sacrifié le volontarisme, le réalisme ainsi qu'une certaine audace, autant d'éléments qui avaient contribué à la place particulière qu'occupe la France dans les consciences collectives arabes, au profit d'une « diplomatie des valeurs et des principes ». Mais comment mener une diplomatie des valeurs et des principes sans vision cohérente et de long terme ? C'est au final condamner la France à décevoir dans une partie du monde qui continue d'attendre qu'elle joue son rôle historique et assume ses engagements dans le long terme.

Depuis le début des « printemps arabes », l'action diplomatique française s'est caractérisée par une grande incohérence. Les déclarations et les décisions prises concernant la stratégie à adopter à l'égard des soubresauts révolutionnaires qui ont secoué le monde arabe depuis 2011 ont souvent été le résultat de calculs de court-terme et d'un certain sentiment de culpabilité lié aux relations nouées avec les régimes conspués. La France y fut amenée à pratiquer le grand écart plutôt que la « position d'équilibre ».

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Les dossiers libyen et syrien en furent certainement les exemples les plus édifiants.Alors que la prudence et la circonspection auraient dû s'imposer face à un changement historique si soudain et aux risques qui en découlait (répression, militarisation, dérives autoritaires et récupérations), les autorités françaises ont fait preuve d'une hardiesse et d'un activisme qui confina parfois à l'aventurisme. Le président Hollande n'était-il pas prêt à participer aux frappes contre Damas sans mandat et en dehors de toute légalité internationale ? La punition ou la vengeance, même de victimes civiles, ne correspondent pourtant à aucune catégorie du droit international.

L'ORIENT COMPLIQUÉ

Prise au piège de cet « Orient compliqué », la diplomatie française a souvent choisi trop vite et fait de mauvais choix, suscitant l'incompréhension des opinions publiques et donnant l'impression de mener une « politique du deux poids deux mesures ». La diplomatie française s'est trouvée à cautionner ou soutenir des gouvernements et des mouvements, autoritaires et/ou extrémistes religieux, n'hésitant pas à user de la force, en totale contradiction avec les « valeurs et les principes » que prétend incarner la diplomatie française.

La politique arabe de la France n'est donc plus, mais cela ne date pas d'hier. Le tournant a été entamé par Jacques Chirac en 2005 qui pour des raisons personnelles, plus que politiques, avait fait le choix de se rapprocher de la ligne diplomatique américaine en ce qui concernait la gestion du dossier syro-libanais. Mais c'est sous la présidence de Nicolas Sarkozy qu'ont été remis en cause les fondamentaux structurels de cette politique qui incarna pendant plus de cinquante ans « l'exception française » au sein des relations internationales.

Tout d'abord, la conception « arabe » de cette région du monde fut remplacée par un cadre euro-méditerranéen. La volonté d'indépendance qu'avait exprimée cette doctrine fut abandonnée en faveur d'un alignement atlantiste, illustré par le retour dans le commandement intégré de l'Otan. Le général de Gaulle considérait en effet que les relations historiques de la France dans cette région du monde devaient être mises à profit pour doter la France d'une profondeur stratégique qui lui permettrait de renforcer sa position en Europe aussi bien que dans un monde en pleine guerre froide. Fort de ce constat, on peut légitimement se poser la question de savoir s'il existe encore une politique étrangère spécifiquement française. Sous la présidence de François Hollande, l'action extérieure française semble délaisser sa composante européenne, au risque parfois de s'opposer à nos partenaires européens (dossier syrien), au profit d'un alignement zélé sur Washington.

Dans un monde en pleine évolution, alors que se réinstalle une forme de bipolarité et que la construction européenne continue de s'enliser, la France a tout intérêt à réaffirmer la singularité de son action extérieure, en définissant des moyens en adéquation avec les valeurs et les intérêts qu'elle veut défendre et en l'inscrivant dans un dessein cohérent. L'actualité récente nous rappelle ainsi que, dans un contexte budgétaire fortement contraint, la France devrait tout d'abord honorer ses engagements à l'égard du Liban avant d'envisager une action en Irak, dont on peut d'ores et déjà douter de l'efficacité. La France a encore un rôle à jouer dans cette partie du monde où elle conserve des atouts : une « envie » de France et de culture française, un réseau diplomatique compétent et bien implanté, des intérêts politico-sécuritaires et économiques sur lesquels elle ne doit pas transiger.

 

Chloé Berger publie l'ouvrage Palestine, Editions De Boeck, le 20 octobre prochain

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