Le cliché parle de lui-même. Pris lundi par au moins deux photographes dont celui du New York Times, il montre plusieurs policiers casqués, en tenue de camouflage et armés de fusils d'assaut face à un manifestant noir non-armé, les mains en l'air.

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Au milieu des affrontements qui ont suivi la mort de Michael Brown, 18 ans, tué dans des circonstances troubles par un officier de police dans la ville de Ferguson, l'image illustre à la fois les tensions raciales exacerbées par l'affaire et la réaction spectaculaire des autorités aux émeutes et manifestations. Voici ce que nous dit ce cliché sur les évènements en cours.

1. Les mains levées, un choix des manifestants

D'après des témoins, Michael Brown a été tué par le policier alors qu'il avait les mains en l'air pour se rendre. Les manifestants ont alors décidé de conserver cette gestuelle, porteuse d'un double symbole.

"C'est comme ça que le petit est mort" lançait mardi aux policiers une manifestante de 42 ans, les mains en l'air, raconte le Los Angeles Times. "Si vous êtes en colère, levez vos bras en l'air", conseillait également le révérend Al Sharpton aux habitants rassemblés. "C'est le signe qu'a utilisé Michael, un signe de reddition. Nous voulons savoir pourquoi ce signe n'a pas été respecté".

Interrogé par le journal, un étudiant à l'université confiait dédier ce geste à tous les noirs américains non-armés et tués, par la police ou par d'autres citoyens. Les hommes et jeunes garçons expliquent aussi apprendre très tôt à adopter cette attitude avec les officiers de police. Parmi eux, un manifestant de 38 ans racontait avoir été frappé avec une lampe-torche pour n'avoir pas répondu "oui, monsieur". Il avait 14 ans. Avec ce geste, les habitants noirs de Ferguson et Saint-Louis veulent aussi faire passer l'idée qu'ils ne sont vus comme innocent qu'en surjouant la soumission. Autrement, ils sont forcément suspects.

2. Une police militarisée

La démonstration de force de la police de Ferguson pose également question. Des véhicules aux uniformes, en passant par les armes, les officiers envoyés pour répondre aux manifestations et aux émeutes semblent sortis d'une zone de guerre. Sur Twitter, un soldat de la 82ème division aéroportée américaine affirme même "avoir été moins équipé" sur le terrain.

"Quand est-ce que c'est devenu normal?" demande un journaliste de Business Insider, dans un article sur la "terrifiante militarisation de la police". En juin dernier, le New York Times donnait des éléments de réponse: de plus en plus, l'ancien matériel militaire américain équipe les forces de police des villes. Fusils M-16, lance-grenades et véhicules résistants aux mines, tout y passe. D'après un graphique du journal, depuis 2006, 7 véhicules MRAP anti-mines seraient arrivés dans l'état du Missouri, où se trouve la ville de Ferguson.

Le New York Times pointe aussi la mobilisation de plus en plus fréquente des unités paramilitaires, dites SWAT, dans des affaires parfois mineures. Selon un professeur cité par The Economist, cette unité serait mobilisée 50 000 fois par an de nos jours, contre 3000 fois en 1980.

Pour Melissa Byrne, blogueuse sur Medium, l'attitude des autorités policières est grandement responsable des émeutes de ces derniers jours. "Quand la police amène des fusils à une manifestation, elle dit aux personnes présentes qu'elle est prête à les tuer" avance-t-elle. "Les armes poussent les gens à surréagir". Quant aux véhicules militaires, ils sont une autre erreur de jugement car "une foule en colère aux Etats-Unis ne devrait pas être traitée comme une zone de guerre", écrit la blogueuse qui dit organiser fréquemment des manifestations.

3. Peu de policiers noirs

A Ferguson, 50 policiers sur 53 sont blancs, indique le Washington Post. Dans une ville ou plus des deux tiers de la population est noire, les résidents vivent mal le fait de ne pas être représentés dans les institutions comme la police. De vieilles images reviennent, comme sur Twitter ou des photos en noir et blanc sont comparées à la situation actuelle.

Après les émeutes raciales des années 1960, explique le Washington Post, une commission encourageait les municipalités à engager des officiers de police noirs. Plus de 50 ans plus tard, toutes les villes n'ont pas entendu le message. L'année dernière, une étude portant sur la composition raciale des métiers de service public montrait que si les noirs accèdent à plus de postes bien payés que dans les années 1960, les blancs trustent encore les meilleures places.

Pendant ce temps, les noirs se font bien plus souvent arrêter que les blancs à Ferguson. Ainsi, indique Buzzfeed, 66% des habitants sont noirs. Pourtant, un rapport du cabinet du ministre de la justice du Missouri montre que sur 5384 voitures arrêtées par la police à Ferguson en 2013, 86% étaient conduites par des noirs, 12,7% par des blancs. Même disproportion au niveau des arrestations (92,7 contre 6,9%), et pourtant, plus d'un arrêté blanc sur trois est accusé de trafic illégal, contre un noir sur cinq. Les répercussions de ces comportements policiers se ressentent dans d'autres sondages. Récemment, le Pew Center a montré qu'au niveau national, 70% des noirs pensent être moins bien traités que les blancs par la police.

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