Le projet était ambitieux : inventer la ville zéro carbone de demain. Le pari est tenu en 2008, quand Masdar City surgit des sables d’Abou Dhabi. L’exploit technologique lui attire unintérêt planétaire et montre que l’après-pétrole peut se préparer concrètement. Cinq ans ont passé, et les 40 000 habitants et 1 500 entreprises prévus pour s’y installer se font attendre… La leçon profite à son voisin et concurrent, Dubaï, qui commence à appliquer la recette écologique à son tissu économique.

Il fait bon parcourir les allées et les cours de Masdar City. Les bâtiments, qui allient techniques architecturales traditionnelles et innovations technologiques de pointe, sont conçus de telle façon que jamais le visiteur ne souffre du puissant soleil d’Abou Dhabi. Chaque détail architectural vaut son pesant vert: la couleur des briques, la hauteur des bâtiments, leurs emplacements…
Les concepteurs de la cité n’ont pas laissé de place au hasard. Tout a été scrupuleusement planifié, boussole environnementale en main.
Mais très vite, le visiteur s’étonne: il ne voit qu’un seul café, le Caribou Coffee. De sa terrasse, il peut y apercevoir le champ photovoltaïque qui alimente la ville en électricité verte. Et quand il cherche les commerces, il ne trouve qu’un petit supermarché vendant des produits biologiques. Son regard ne croise que de rares piétons, une poignée d’étudiants qui occupent les bancs ombragés des places publiques.
Le doute s’installe, d’autant que le visiteur apprend que des grains de sable sont venus faire crisser les rouages de cette gigantesque entreprise. Un étudiant rapporte que des ouvriers doivent enlever le sable qui recouvre les panneaux solaires parce qu’il en réduit l’efficacité énergétique. Tous les jours.
Le budget consacré à la ville décarbonée a même été revu à la baisse en 2010, officiellement en raison de la crise économique et financière qui a éloigné les investisseurs potentiels. Il flirte aujourd’hui avec les 19 milliards de dollars  (14 mds €), contre les 22 (16,4 mds €)  initialement prévus.

L’humain : le maillon faible



Mais c’est surtout la dimension humaine qui fait défaut. Il manque à la ville le maillon essentiel à toute véritable communauté urbaine: ses habitants. Sortie tout droit de la planche à dessin d’un architecte talentueux, la ville fait figure de belle endormie. Inaugurée en 2008, Masdar aurait dû initialement fonctionner dès 2016, mais après plusieurs reports, l’objectif officiel actuel a été fixé à 40 000 habitants et 1 500 entreprises d’ici 2025. Aujourd’hui, la ville nouvelle ne compte plus guère qu’une centaine d’étudiants.
A terme, qui vivra à Masdar City ? Certainement pas les travailleurs migrants, relégués dans des quartiers situés à l’extérieur de la ville d’Abou Dhabi. Des ressortissants de la communauté internationale ? Masdar City était censée être un projet vitrine de la ville zéro carbone. Elle devait attirer ingénieurs, entreprises vertes et plus généralement toutes les personnes curieuses des méthodes de conception de l’urbanisme de demain.
Mais aujourd’hui, le manque d’information est criant. Aucune visite au public n’est prévue. S’il souhaite en savoir plus, le visiteur est invité à se rendre sur le "kiosque interactif" du site de la ville. Les derniers communiqués qui s’y trouvent datent du 30 juillet 2012. Quant aux demandes d’entretiens adressées par Novethic, elles sont restées sans suite.

Un modèle qui inspire ses voisins



"Les ingénieurs allemands ont été sollicités pour se rendre à Masdar City mais à ma connaissance, ils n’ont pas été nombreux à faire le déplacement. Ils y déplorent le manque de dynamisme économique", observe Sven Harmeling, responsable des questions climat au sein de l’organisation non gouvernementale (ONG) Care international. Des PME comme Juwi, concepteur de projets éoliens et solaires, championne dans son domaine, préfèrent s’installer dans l’émirat voisin de Dubaï plutôt qu’à Masdar. "L’éco-cité n’a pas joué de rôle majeur dans notre décision d’ouvrir une succursale dans la région. En revanche, le statut de Dubaï en tant que métropole financière et économique dans la région du Golfe a été l’élément déterminant pour nous", explique Felix Wächter, porte-parole de la société.
Alors quel est l’avenir de Masdar City ? "La région du Golfe offre des conditions idéales pour mener à bien des projets solaires, poursuit Felix Wächter. Elle en est encore à ses balbutiements quant à l’utilisation des énergies renouvelables. Cela dit, nous sommes convaincus que les nouvelles énergies y sont appelées à jouer un rôle prédominant." En écho, Sven Harmeling, qui participe à toutes les négociations climatiques pour son ONG, relève un changement d’attitude dans les pays du Golfe vis-à-vis des questions climatiques en général et des énergies renouvelables en particulier. "Mais cela n’a rien à voir avec Masdar City. En investissant à l’étranger, ils ont tout simplement découvert tout le potentiel économique des nouvelles énergies." 

Cet article a initialement été publié le 09 janvier 2014 sur Novethic.fr

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