Hugues Souparis est un chef d’entreprise globalement heureux. Ingénieur entreprenant et innovant, il a fait de la société qu’il a fondée en 1984, Hologram Industries, une société spécialisée dans les composants d'identification et de sécurisation (ces films irisés et images 3D protégeant les passeports, billets de banque …), un leader mondial prospère. Avec un chiffre d’affaires en croissance de 15 à 20% par an, à 90% à l’export, et une solide marge d’exploitation de 20%, Hologram est de ces belles ETI (entreprise de taille intermédiaire selon le jargon de l’Insee) dans une technologie de pointe, exportatrices, moteurs de l’investissement et de l’emploi, telles que la France aimerait en avoir plus.
Sauf que Hugues Souparis a un problème. Longtemps assez "lissées" tout au long de l’année, ses commandes, venues notamment d’Asie, connaissent maintenant des à-coups. Ses clients passent parfois des commandes de gros volume exigés dans un délai serré. A d’autres moments l’activité est plutôt calme. Pour suivre le rythme, le PDG a donc besoin de renégocier l’accord d’aménagement du temps de travail. Son souhait : passer à la semaine dite "4 jours-5 jours-6 jours". Six fois dans l’année, ses 250 employés français et notamment les 140 ouvriers qui effectuent les "3x8" de son usine de Bussy-Saint-Georges (Val de Marne) travailleraient le samedi ; et six fois par an, ils bénéficieraient au contraire d’un week-end de trois jours.
Rien d’insurmontable. Sauf que si, en théorie, cette organisation est possible et prévue par la loi, dans la réalité, modifier l’aménagement du temps de travail relève du chemin de croix. D’abord, il faut obtenir l’aval du Comité d’entreprise sur le principe. Ensuite, il faut négocier les termes de la modification avec une organisation syndicale représentative nationalement. "Mais nos salariés ne sont pas syndiqués, indique Souparis. Il faut donc que je démarche une centrale pour dépêcher un représentant afin de négocier, sachant qu’il ne connaitra forcément rien de mon entreprise et de la réalité de ses besoins." Le chef d’entreprise avait déjà dû en passer par là pour négocier l’accord d’origine des 35h, en l’occurrence avec la CGT.
Un parcours du combattant
Et ce n’est pas fini. Après négociation, le PDG devra présenter l’accord au vote des salariés. Le référendum devra recueillir au moins 80% de "oui" pour que l’accord soit validé. Enfin, la direction devra recevoir individuellement tous ses salariés pour modifier et leur faire signer un nouveau contrat de travail. Impossible, même si le vote a validé l’accord, d’obliger les récalcitrants à adopter la nouvelle organisation. Mais pas question non plus de s’en séparer, en dehors d’une procédure de plan social. "En l’occurrence, c’est impossible puisque Hologram Industries est en croissance, rentable, et que nous sommes plutôt en situation de pénurie d’emploi", explique Souparis.
Au final, le processus est si contraignant que le PDG a réfléchi près d’un an avant de se lancer. Aujourd’hui, il n’a passé que l’étape 1, l’accord du Comité d’entreprise pour entamer les négociations. "Il va nous falloir encore des dizaines de réunions, mobiliser nos cadres pour faire la pédagogie, et déjà on ne parle plus que de ça à l’atelier…" s’inquiète le patron. Et l’enjeu est d’importance : s’il ne parvient pas à mettre en oeuvre rapidement la semaine de 4-5-6 jours, il risque de perdre "10% de croissance potentielle du chiffre d’affaires" l’an prochain, soit plusieurs millions d’euros.
"La rigidité de l’organisation du travail en France est un vrai frein pour les entreprises françaises, et la France ne peut se permettre de garder des règles aussi contraignantes alors que tous les pays d’Europe ont mené ou mènent des réformes pour assouplir les règles. C’est un gros point noir pour l’attractivité du pays!" En tout cas, pour lui, cette question pèse à l’heure des choix : Hologram , qui a deux usines, à Bussy-Saint-Georges et, outre-Atlantique, au nord de New-York, réfléchit à en ouvrir une troisième… mais où la localiser ?
Voir toutes les réactions