Depuis quinze mois, les couples de même sexe peuvent se dire oui à la mairie. Des unions qui, dans les milieux bourgeois, surjouent le respect des conventions. Comme si l’institution ne souffrait pas la provocation.
Aucun invité n’a oublié ce jour-là. Ils se souviennent de ce mélange de convives chics, mondains et affranchis réunis sur la terrasse du Théâtre du Châtelet, autour d’une pièce montée. Des visages connus défilaient pour féliciter les mariés. Alain Juppé, tout juste arrivé de Bordeaux, Valérie Trierweiler, encore « première girl friend », le PDG de la Fnac, Alexandre Bompard, ou la directrice de la danse de l’Opéra de Paris, Brigitte Lefèvre, vêtue d’une de ces gracieuses robes qui lui donnent toujours un air de ballerine.
« C’était un mariage très sympathique, que pourrais-je vous dire d’autre ? »
Les énarques, camarades de promotion du marié semblaient venus en force, formant une petite nomenklatura de costumes élégants et de cravates en soie. Et il flottait dans l’air ce petit côté « j’y étais ! » qui a nourri plus tard leurs conversations dans les couloirs des ministères, les apéritifs au Siècle, ce club très sélect qui réunit les leaders du monde économique, politique et culturel, et tous ces cercles du pouvoir où l’on aime expérimenter les nouveautés en affectant un air blasé.
Surtout les « hétéros » qui, après les circonvolutions d’usage - « C’était un mariage très sympathique, que pourrais-je vous dire d’autre ? » -, se remémorent ce groupe d’invités qu’ils n’avaient pour la plupart jamais côtoyés. « Des types en pantalon et gilet de cuir sur des bras nus, musclés et tatoués », décrit un polytechnicien qui souhaite garder l’anonymat, avant de hasarder très vite : « Sans doute des habitués des boîtes gays du Marais. En tout cas, un monde appartenant à une autre vie, dont je n’étais pas... »
UN MÉLANGE DE PLUSIEURS UNIVERS
Ce 29 juin 2013, jour de la Gay Pride, un mois et demi après l’entrée en vigueur de la loi sur « le mariage pour tous », Jean-Paul Cluzel, 66 ans, ex-PDG de Radio France et actuel président du Grand Palais, épousait Nicolas Droin, 44 ans, directeur de l’Orchestre de chambre de Paris. Le couple, déjà pacsé depuis 2011, avait bien fait les choses.
« J’avais insisté pour que l’annonce de notre union soit publiée dans le Bulletin quotidien, cette bible des élites administratives françaises, assure Cluzel, énarque lui-même et membre de l’austère inspection des finances. Parce que je considère que, lorsqu’on occupe une position sociale supérieure, la vie privée n’existe plus et qu’il faut se montrer pour aider les jeunes gays vivant dans des milieux moins libéraux. »
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