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High-Tech

Pourquoi Amazon reste inflexible vis à vis des éditeurs

Le distributeur américain a réussi à se mettre à dos une bonne partie de l'industrie de l'édition. Mais Jeff Bezos, son patron, s'en moque. Il continue d'imposer sa loi sur le marché du livre numérique.
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Jeff Bezos, PDG d'Amazon - Arnaud Nourry, PDG d'Hachette Livre
AFP / Challenges

Amazon a ferraillé tout l’été. Habitué des coups de force, adepte de la provocation, le géant du cybercommerce s’est surpassé ces derniers mois, pour finalement réussir à se mettre à dos une bonne partie de l’industrie de l’édition, à commencer par Hachette Livre, et même quelques champions du secteur du cinéma, comme Disney et Warner. Fronde des écrivains aux Etats-Unis, montée au créneau de plusieurs ministres européens, pétition signée par plus de 1.000 auteurs outre-Rhin, plainte des libraires allemands devant l’Autorité de la concurrence pour abus de position dominante… Mais quelle mouche a donc piqué Amazon ?

Le feu couvait depuis le printemps dernier avec la publication d’un article dans le New York Times dénonçant les pratiques commerciales d’Amazon à l’encontre du groupe français, deuxième éditeur mondial et numéro quatre aux Etats-Unis. Délais de livraison allongés, précommandes supprimées, commentaires de lecture effacés… Hachette Livre semble être la cible de représailles d’une sourde bataille. Retour de flamme. Les deux groupes avaient enterré la hache de guerre après trois années de lutte acharnée, toujours sur le même thème: la fixation du prix du livre numérique et, dès lors, le contrôle de l’édition digitale planétaire. L’éditeur suédois Bonnier, qui possède plusieurs maisons en Allemagne, aurait subi les mêmes mesures de rétorsion, provoquant la colère des auteurs.

"Nous sommes déterminés"

Malgré les protestations, Amazon demeure inflexible. C’est que, dans cette affaire, le groupe fondé par Jeff Bezos à Seattle il y a vingt ans se sent frappé au cœur de son business model. Dès l’origine, l’entrepreneur, aujourd’hui âgé de 50 ans, a considéré le livre comme un produit d’appel pour attirer le chaland vers les autres boutiques de son immense centre commercial en ligne, qui réalise aujourd’hui près de 75 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Comme d’habitude, dans ce genre de rixe, aucune des parties engagées dans la bataille n’accepte de communiquer ouvertement. Dans un rare moment de spontanéité, Sophie Cottrell, la responsable de la communication d’Hachette Book Group, la filiale américaine, s’est autorisée cette réaction: "Nous sommes déterminés à protéger la valeur des livres de nos auteurs ainsi que notre propre travail d’édition, de distribution et de marketing." Jeff Bezos en tremble encore…

Lui aussi reste prudent sur le sujet: "Nous ne parlons que lorsque nous avons quelque chose à dire", a-t-il répondu à des journalistes américains. Ce qui inquiète le patron d’Amazon, ce sont les chiffres du numérique aux Etats-Unis, un marché à l’avant-garde de la vague digitale. Après des années de folle croissance à trois chiffres, qui ont amené la part du livre au-delà du quart du marché, les ventes marquent le pas depuis l’an dernier. La hausse était limitée à 7 % et, pour le PDG d’Hachette Livre, Arnaud Nourry, le marché américain de la liseuse est dans une phase de renouvellement.

Amazon, essouflé? 

Du coup, les résultats d’Amazon s’essoufflent. Engagé dans une lourde stratégie d’investissement dans les tablettes et les smartphones, nouvelles portes d’accès à son site marchand, le groupe a publié des résultats trimestriels très décevants en juillet: le chiffre d’affaires reste en forte hausse, de 23%, mais les résultats replongent dans le rouge (126 millions de dollars sur le deuxième trimestre). Les investisseurs sont habitués aux petites marges ainsi qu’aux dividendes chiches d’Amazon. Mais ils digèrent mal les mauvaises surprises. Le cours de Bourse du site marchand a dévissé de 10% durant la séance suivant l’annonce, mettant un peu plus de pression sur les épaules de Jeff Bezos, qui a durci le ton vis-à-vis des éditeurs comme des studios de cinéma. A tous, il demande de baisser leurs prix. Dès le lendemain des résultats, il a autorisé ses équipes à distiller quelques "informations spécifiques sur les objectifs" du groupe, histoire de remettre le débat en perspective.

Et concernant l’édition, l’argumentation du cybermarchand est d’une simplicité déconcertante. A 19,99 dollars ou même à 14,99 dollars, le livre numérique est trop cher, car il ne nécessite ni imprimerie, ni stockage, ni transport… Bref, 9,99 dollars, cela semble être le prix adéquat. A ce prix, ont calculé les marketeurs d’Amazon, il se vend 1,74 fois plus de livres numériques que s’ils étaient vendus à 14,99 dollars. Au lieu de vendre 100.000 exemplaires d’un ouvrage, il en vendrait 174.000 et dégagerait 1,738 million de dollars de revenus – au lieu d’1,499 million. Et tout le monde serait content. Le lecteur, qui économiserait 33 % sur chaque ouvrage, ainsi que tous les acteurs de la chaîne, qui toucheraient chacun leur part ; surtout l’auteur, qui percevrait 35 % – environ le double de ce qu’il gagne dans le système actuel. L’éditeur aurait droit à 35 %, et Amazon à 30 %.

Meilleur ennemi d’Hachette

A ceux qui s’étrangleraient sur sa propre quote-part, le cyberlibraire rétorque sèchement que "c’est la part totale du revenu qu’Hachette nous obligeait à prendre en 2010, quand il s’entendait illégalement avec ses concurrents pour augmenter le prix des ebooks. Nous n’avions aucun problème avec les 30 %, mais nous avions un gros problème avec les hausses de prix".

Dans le camp Hachette, on renvoie tranquillement l’adversaire dans les cordes en pointant l’hyperpuissance du groupe de Seattle: 60 % des ebooks vendus par l’éditeur français aux Etats-Unis le sont par Amazon. Au Royaume-Uni, cette part grimpe même à 78%. Ce rapport d’hyperdépendance explique les relations particulièrement tendues qu’entretiennent les deux acteurs. Hachette soupçonne son meilleur ennemi de vouloir, ni plus ni moins, la domination du secteur de l’édition. Et la mort pure et simple des éditeurs.  

 

       
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