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Emploi

Ces jeunes qui enchaînent les stages sans jamais être embauchés

ENQUETE Le nombre de stagiaires est passé de 600.000 à 1,2 million de 2006 à 2012. Dans le même temps, le taux de chômage des jeunes a augmenté. Cherchez l'erreur...
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Stages entreprises stagiaires
Un stagiaire dans une entreprise.
(c) Sipa

Magalie* a 24 ans et s'apprête à terminer son stage de fin d'études en marketing au siège parisien d'une grande entreprise agroalimentaire et cosmétique suisse. A son poste, elle a remplacé un stagiaire, et son boss lui a déjà annoncé qu'elle allait, elle-même, former son successeur. Un autre stagiaire bien sûr. Pourtant, les responsabilités ne manquent pas, et tous ses collègues et supérieurs saluent son travail et son investissement. Travailler de 9h à 20h, payée 1.200 euros par mois, en effet, difficile de trouver une main d'œuvre qualifiée aussi bon marché.

Et après? Elle ne sait pas. Malgré son diplôme d'une grande école de commerce, les perspectives d'embauche à la suite de son stage semblent compliquées. Et pour cause: "Ils voient passer 190 stagiaires par an. Comment voulez-vous que je me démarque?, s'exaspère-t-elle. Ils sont en 'plan social' depuis 2 ans et ne recrutent en VIE ou en graduate programme que 1 à 2 stagiaires par an".

Le nouvel eldorado, l'étranger? 

Malgré tout, comme de nombreux jeunes, Magalie n'a pas chômé pendant ses études. Elle a enchaîné stage sur stage, petit boulot sur petit boulot, pour acquérir l'expérience tant demandée par les recruteurs. Mais rien n'y fait. Elle s'apprête à pointer à Pôle Emploi comme un certain nombre de ses camarades de promotion. Ou peut-être partir à l'étranger, comme de plus en plus d'étudiants.

>> Lire Grandes écoles: les jeunes diplômés n'ont plus d'emploi garanti

Ainsi, d'après Harris Interactive, 79% des étudiants de grandes écoles n'excluent pas de chercher un emploi à l'étranger. Une autre étude de l'Ifop, publiée cet été, montre que pour 27% des jeunes diplômés, l'avenir professionnel se jouera hors de France. Dans les faits, les intentions de partir se confirment, puisqu'en 2012, 23% des diplômés d'écoles de commerce et 16% des étudiants des grandes écoles ont décroché leur premier job à l'étranger d'après la Conférence des grandes écoles.

>> Lire: Voici où les Français rêvent de s'exiler 

2 mois moins 1 jour pour éviter de payer une stagiaire

Autre exemple, autre abus… Sophie*, diplômée d'un IEP de province en avril dernier n'a pas eu d'autres choix que de s'inscrire dans "une fac bidon" pour continuer à travailler comme stagiaire dans la société qui l'avait acceptée cet été. "Il voulait bien me reprendre en stage mais il me fallait une convention", raconte la jeune femme. Payée 436,05 euros par mois, elle est déjà prévenue que le média qui l'emploie ne pourra pas l'embaucher à l'issue de son stage… 

Enfin, qui ne s'est pas vu un jour accepté en stage…. mais "pour une durée de 2 mois moins 1 jour. "Vous comprenez, nous ne sommes pas obligés de vous payer comme ça", a répondu une responsable RH d'une grande entreprise basée à Lille à Lucie*. Bien trop contente d'avoir décroché son stage après des semaines de recherche, elle n'a pas pu refuser une telle proposition. A la fin du stage, elle fut simplement remerciée… 

90% des diplômés ont fait au moins un stage

Car si la situation du marché du travail est complexe pour les jeunes, celle des stages l'est tout autant. D'un côté, les universités et grandes écoles, appuyées par les entreprises, demandent de plus en plus à leurs étudiants de faire des stages, de l'autre, les étudiants se font exploités, en remplaçant pour un salaire de misère des salariés. Un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental estime que 9 jeunes diplômés sur 10 ont suivi au moins un stage au cours de leur formation en 2011.

Mais malgré ces efforts et sacrifices, ils restent à l'écart en ce qui concerne leur (vraie) insertion professionnelle. On observe ainsi une relation entre la hausse du chômage des jeunes et l'augmentation du nombre de stagiaires en France (voir infographie ci-dessous). Le chômage des 15-24 ans est passé de 17,3% en janvier 2008 à 24,6% au 2ème trimestre 2013, selon l'Insee, tandis que le nombre de stagiaires a doublé entre 2006 et 2012, pour atteindre 1,2 million, d'après le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. "Moins de 10% des stages en fin de cursus débouchent sur un emploi", expliquait Ophélie Latil, porte-parole du collectif Génération précaire dans une interview sur RTL le 14 octobre dernier.

>> Lire: Le drame du chômage des jeunes

 

Le secteur bancaire régulièrement accusé

Le secteur bancaire est particulièrement exposé aux critiques du collectif Génération précaire: "ils abusent des stagiaires", insiste Ophélie Latil. D'après le bilan social 2012 de BNP Paribas, la banque avait 2.659 stagiaires et 1.464 jeunes en alternance ou sous contrat de professionnalisation, sur un effectif total de 43.398 salariés en France. Du côté de la Société Générale, une polémique avait éclaté en 2011 suite à la révélation dans leur bilan social de la présence de 11.241 stagiaires et 583 contrats d'apprentissage, soit 21% de ses effectifs. Echaudée par cette mauvaise publicité, le groupe bancaire ne mentionne plus le nombre de ses stagiaires dans son dernier bilan social. Il est seulement indiqué que 2.800 jeunes étaient en VIE ou en alternance en 2012.

>> Lire: Ces banques qui épuisent leurs stagiaires

Mais le secteur bancaire n'est pas le seul à recourir à un grand nombre de stagiaires. L'Oréal, le 1er groupe de cosmétiques au monde, comptait 1.439 stagiaires et 613 alternants en 2012, sur environ 12.000 salariés en France. Orange, ex-France Télécom, formait 2.395 stagiaires, 2.487 apprentis et 739 contrats de professionnalisation en 2012 sur 100.000 salariés. L'édition, les médias, la mode sont aussi régulièrement accusés d'utiliser trop de stagiaires. 

Une législation renforcée

Pour éviter ces abus, la législation encadrant les stages a été renforcée cet été. Les nouvelles dispositions de la loi indiquent que "le stage correspond à une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en œuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification" et que "les stages ne peuvent pas avoir pour objet l'exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent". Aussi, la durée des stages ne pourra plus excéder 6 mois, avec un délai de carence de 2 mois pour en embaucher un nouveau.

D'ici à la fin de l'année, Geneviève Fioraso, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et Michel Sapin, le ministre du Travail, vont présenter un projet de loi instaurant un quota de stagiaires dans les entreprises. Certaines sources proches du dossier évoquent le chiffre de 10% maximum de stagiaires dans les effectifs d'une société. 

En attendant cette loi, sur Internet, la "génération Y" a choisi le Tumblr comme défouloir. Ils se lâchent en gif sur "Vis ma vie de stagiaire", "Quand tu es stagiaire", "Les joies du stagiaire" et "Urgent recherche stagiaire". Mieux vaut en rire qu'en pleurer.  

*les prénoms ont été modifiés

 

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