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Billet de blog 11 septembre 2014

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« Le mur et la peur » du photographe Gaël Turine

Lauréat du prix AFD 2013, Gaël Turine expose à Visa pour l’image un travail de deux ans entre Inde et Bangladesh, le long du mur le plus long du monde. Un mur, une barrière, une séparation qui divise familles, villages et tue un homme tous les cinq jours depuis dix ans selon les statistiques officielles.

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Lauréat du prix AFD 2013, Gaël Turine expose à Visa pour l’image un travail de deux ans entre Inde et Bangladesh, le long du mur le plus long du monde. Un mur, une barrière, une séparation qui divise familles, villages et tue un homme tous les cinq jours depuis dix ans selon les statistiques officielles.

« J’ai voulu photographier une frontière très complexe. On peut l’affirmer, c’est le mur le plus long du monde. La frontière fait 4000 km mais il y a 800 km de frontière naturelle, fleuves, rivières qui sont extrêmement surveillés. Il faut savoir que 220 000 hommes sont affectés à la surveillance de ce mur. On estime à 70 000 le nombre de soldats et policiers mobilisés en permanence. Ce mur a coûté 4 milliards de dollars, sans compter le coût des réparations dues au climat et aux coupures de barbelés par les personnes qui veulent les franchir. »

Ce mur était quasi inconnu avant que le photojournaliste ne fasse ce remarquable travail qui, outre cette exposition, donne lieu à un très instructif « Photo Poche Société » publié, avec une postface d’Amnesty International, cet été par les éditions Actes Sud. « Même à Dacca, la capital du Bangladesh, les correspondants de la presse internationale l’ignoraient… » s’étonne,  dans un sourire, Gaël Turine.

Passionné par les frontières et tout ce qui sépare les hommes, Gaël Turine fait des recherches sur Internet. « Je cherchais des murs moins photographiés que ceux entre Israël et la Palestine ou le Mexique et les USA… » C’est comme cela qu’il découvre une vidéo « absolument insupportable » où un jeune homme est torturé par des hommes de la Border Security Force (BSF) qui se filme eux-mêmes.

«  J’ai retrouvé l’homme. Il habite dans un village du fin fond du Bangladesh ». Un homme brisé, car même là-bas l’Internet peut faire des ravages. « Cette vidéo sur YouTube a détruit ma vie. » confie-t-il au photojournaliste. La vidéo a été vue par des millions de bengalis et quand il va en ville, on le reconnaît. On le montre du doigt.  Quel père consentirait au mariage de sa fille avec un homme que l’on peut voir nu et torturé sur le web ?

Quand il entreprend ce reportage, Gaël Turine reçoit un accueil sceptique dans les rédactions. Personne n’est au courant. Personne n’a jamais vu ce mur. Certains doutent de son existence et personne ne veut lui donner un assignment ou une garantie de publication.  

Heureusement, le photojournaliste va décrocher deux bourses, l’une du Fonds pour le journalisme belge et l’autre décernée par le Festival Photoreporter en Baie de Saint-Brieuc. Bout à bout, en travaillant à l’économie, Gaël Turine va réussir avec mille difficultés à approcher ce mur grâce à des ONG locales et surtout à leurs correspondants, presque tous des journalistes locaux « extrêmement courageux » précise-t-il. « Sans eux, je n’aurais jamais fait une seule photo.  Pour en faire une, il m’a fallu des jours et des jours d’approche, de discussions, de voyages dans des conditions pas toujours faciles. »

Né à Nieuport, en Belgique, en 1972, Gaël Turine est tombé tout petit dans le bain du documentaire. Ses parents sont documentaristes audiovisuel et radiophonique, il a donc choisi la photographie « sinon j’étais parti pour dix ans de psychanalyse » ajoute-t-il en riant.  Il fait donc, « un peu par défaut » des études de photographie à l’école des Arts Plastiques du 75 de Bruxelles.

Diplômé en 1997, Gaël Turine décide de s’intéresser aux coopératives pour aveugles en Afrique de l’Ouest. Ce travail, publié en 2001 sous le titre « Aveuglément » (Photo Poche Ed. Actes Sud)  et primé deux fois, est exposé à Bruxelles, Genève, Milan, Paris, Zurich, Berlin et Anvers. De 2001 à 2003, après la chute du régime des talibans, il se rend plusieurs fois en Afghanistan pour Médecins sans frontières, son livre " Avoir 20 ans à Kaboul " est publié en 2003 (Éd. Alternatives). En 2004, lauréat de l’Aftermath Grant Project (Etats-Unis), il repart en Érythrée et termine son projet débuté en 1998. Ce travail est exposé en 2007 à Visa pour l'Image de Perpignan.

En 2006, il reçoit le Prix du « Trèfle d’or», attribué par le fonds belge de la vocation, qui lui permet d’aboutir en 2010 son projet sur les traces du culte Vaudou, de ses origines africaines à Haïti et aux Etats-Unis. Le livre « Voodoo » paraît en 2011 (Éditions Lannoo). Un travail au long cours de trois ans sur vingt-cinq malades du cancer aboutit en 2009 à la parution de « Aujourd’hui c’est demain » (Éd. Delpire) et à deux expositions (Bruxelles et Paris).

Il a participé à de nombreux ouvrages collectifs. Son travail, souvent exposé et primé, est régulièrement publié dans la presse nationale et internationale. Gaël Turine est membre de l’Agence VU. « Pendant des années j’ai fonctionné seul. Un très bon démarrage car j’ai pu rencontrer beaucoup de gens, des éditeurs, des commissaires d’exposition. En étant seul, on apprend beaucoup. Ce n’est qu’il y a cinq ans que j’ai rejoint l’agence Vu’ ».

Michel Puech

Ecoutez l’interview intégrale de Gaël Turine sur WGR, la radio des grands reporters et des écrivains voyageurs.

Le mur et la peur

Texte de présentation de l’exposition par  Gaël Turine

Jamais, depuis le Moyen Âge, autant de murs, barrières et clôtures n’auront été construits à la frontière entre deux pays, ou de plus anciens rénovés ou consolidés. Ces murs attisent les tensions, aggravent la précarité sociale et économique, accentuent le fossé culturel et religieux entre les peuples et ne résolvent en rien les problèmes qui poussent les gens à émigrer. De plus, dans certaines régions, les migrations sont inhérentes au contexte culturel, économique et climatique. Interrompre ces flux migratoires aura forcément des conséquences dont l’ampleur ne peut se mesurer aujourd’hui. Pour les populations vivant de part et d’autre, le mur est d’abord perçu comme un obstacle infranchissable, mais rapidement il devient le symbole de tout ce qu’elles veulent fuir.

En 1993, l’Inde a entamé la construction d’un mur de séparation de 3 200 kilomètres avec son voisin bangladais, ce qui en fait aujourd’hui un des murs les plus longs du monde. Le tracé historique de la frontière, qui date du déclin de l’Empire britannique des Indes en 1947, a toujours eu des conséquences dramatiques pour les populations limitrophes. Les raisons officielles avancées par les autorités indiennes pour justifier l’édification de ce mur sont la protection contre l’infiltration de terroristes islamistes, l’immigration bangladaise et la lutte contre les trafics de marchandises. Qu’il soit fait de béton ou d’une haute double clôture de fil de fer barbelé, le mur est sévèrement gardé par les troupes indiennes de la Border Security Force (BSF). Ce sont près de 220 000 hommes qui sont mis à la disposition de la BSF pour assurer la surveillance armée de la frontière. De l’autre côté, la Border Guard Bangladesh (BGB) opère des missions de contrôle pour prévenir les passages illégaux vers l’Inde.

Aujourd’hui, le nombre d’arrestations, d’actes de torture et de morts en fait l’une des frontières les plus dangereuses du monde. La quasi-totalité des victimes sont des Bangladais qui, pour des raisons économiques, familiales, sanitaires ou environnementales, tentent de la traverser. Comment les blâmer alors que le pays souffre de tous les maux : extrême pauvreté, surpopulation démesurée, troubles sociopolitiques récurrents, catastrophes naturelles fréquentes… Pourtant, le risque est immense puisque selon les chiffres fournis par des organisations de défense des droits de l’homme et non contestés par les autorités, une personne a été tuée tous les cinq jours sur la frontière au cours des dix dernières années.

Malgré les plaintes des familles des victimes, les crimes commis par la BSF restent le plus souvent impunis et continuent à se perpétrer. Les autorités bangladaises, pour préserver leur indispensable « entente » avec le grand voisin indien, tolèrent l’existence du mur sans alerter la communauté internationale et étouffent les crimes commis à l’encontre de ses ressortissants.

Gaël Turine / Agence Vu’

Lire

Le mur et la peur (Inde-Bangladesh)

Photographie de Gaël Turine

Préface de Marcello Di Cintio

Postface d’Amnesty International

Ed. Actes Sud – Juillet 2014

Liens

Site personnel de Gaël Turine : www.gaelturine.com

Agence Vu’ http://www.agencevu.com/photographers/photographer.php?id=234

et

http://www.visapourlimage.com/fr/exhibition/6223.do

http://www.fondspourlejournalisme.be/les-etapes/

http://www.afd.fr/lang/in/home/presse-afd/evenements/prix-photo-afd

http://www.amnesty.fr/Annonce-Presse-AIF-Visa-pour-Image-12392

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« A l’œil » s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en général. Il est tenu par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes, journalistes, iconographes et documentalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés. Tous les textes et toutes les photographies ou illustrations sont soumis à la législation française, en particulier, pour les droits d'auteur. Aucune reproduction même partielle n'est autorisée hormis le droit de citation.

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