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Contre la gauche de renoncement, revenons aux slogans de mai 68

Face à la décomposition du politique, il y a urgence à « mettre l'imagination au pouvoir » plutôt que d'accepter comme un fait l'absence d'alternative.

Publié le 11 septembre 2014 à 14h01, modifié le 11 septembre 2014 à 14h01 Temps de Lecture 4 min.

Entre 1970 et 1972, Gébé publiait dans Politique Hebdo, puis dans Charlie, L'An 01, dont l'exergue – « On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste ! » - gagnerait à être remise au goût du jour en cette rentrée marquée du sceau du renoncement de la gauche qui se dit « socialiste ».

Il est bien loin le sentiment d'ouverture du champ des possibles du « soyez réalistes : demandez l'impossible » ; celui de pouvoir agir sur le cours des choses et de sa propre existence, du « tout pouvoir abuse », du « jouissez sans entraves » et des avancées sociales obtenues lors des accords de Grenelle, suite à la plus grande grève générale du 20ème siècle…

Aujourd'hui, à les écouter, c'est le champ des possibles de l'investissement qu'il faudrait étendre (avec le traité transatlantique), et la « liberté à sécuriser » n'est plus celle des citoyens mais des investisseurs et des marchés qui, au-dessus et au mépris de la démocratie, voudraient désormais jouir sans entraves… Comment en est-on arrivés là ?

UNE HYPOTHÉTIQUE RELANCE

Et comment expliquer l'atonie générale, et le sentiment d'impuissance qui semble paralyser le plus grand nombre ? Plutôt que d'accuser, comme d'habitude et parce que ça arrange tout le monde, un peuple inculte qui « ne voterait plus » ou « voterait FN », qui serait devenu de plus en plus individualiste – et là aussi Mai 68 fait figure de coupable (trop) facile –, il est temps de poser la question de la responsabilité des hommes et des femmes politiques, notamment « socialistes ».

A qui doit-on la confusion de plus en plus grande entre la « droite » et la « gauche », et le projet de dépassement d'un clivage historique fondateur de notre Histoire ? Au Front National, bien sûr, mais pas uniquement…

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Depuis deux ans, ce sont les « socialistes » qui nous enjoignent, au nom d'une hypothétique « relance de la croissance », du « réalisme » ou de la « responsabilité », à renoncer à nos acquis sociaux, culturels, environnementaux les plus fondamentaux (l'emploi, le logement, la retraite, les services publics, l'éducation et la recherche, le régime d'intermittence, etc.).

Cette politique d'austérité, qui voudrait se passer de tout contrôle démocratique (tribunaux privés prévus pour le traité transatlantique, remise en cause de la séparation des pouvoirs, connivence malsaine – voire obscène – entre journalistes et professionnels de la politique) ne répond pas à la crise systémique du capitalisme et nous mène droit dans le mur.

OUVRIR UNE VOIE ALTERNATIVE

Face à la dégradation de la situation économique, et pris en otages par le capital, il faudrait se taire, surtout ne pas débattre au sein de la gauche ! A force de tout faire pour « ne pas faire de vagues » et après avoir écarté du gouvernement tous ses éléments (un tant soit peu) « critiques », le gouvernement Valls 2 ne se cache plus d'opérer un virage à droite.

Au mépris, là aussi, du suffrage universel et sous la pression des lobbys et des actionnaires (renoncement à l'encadrement des loyers, pourtant voté à l'unanimité de la gauche, renoncement aux ABCD de l'égalité, renoncement au droit de vote des étrangers aux municipales, renoncement à renégocier le traité européen, etc)…

Dans ce climat de décomposition politique et de crise de légitimité démocratique, n'y a-t-il pas urgence à ouvrir une voie alternative à celle que nous impose un ultralibéralisme qui n'offre aucun avenir ?  N'est-il pas temps de redonner à ce terme galvaudé de « peuple » un nouveau souffle, de se réapproprier certains fondamentaux que nos ardents défenseurs du « progrès » jugent « archaïques » ou « poussiéreux » (émancipation, libération, révolution démocratique, utopie, éducation populaire) et de « mettre l'imagination au pouvoir » pour inventer une VIème République ?

« LIBÉRAL-LIBERTARISME »

« La vérité est révolutionnaire », « enragez-vous », « l'ennemi du mouvement, c'est le scepticisme », « nous avons une gauche préhistorique », « Le masochisme aujourd'hui prend la forme du réformisme », « vous finirez tous par crever du confort », écrivaient-ils sur les murs en Mai-juin 68.

Et à l'encontre de ce que d'aucuns voudraient nous faire croire, celles et ceux qui ont vécu et fait Mai 68 n'occupent pas tous aujourd'hui des postes de pouvoir dans les champs politique, médiatique ou littéraire. Ce n'est qu'une petite minorité, convertie au « libéral-libertarisme », qui a (re)construit une histoire à son image et enseveli, au fil des célébrations décennales des événements, le souffle de révolte, le sentiment que tout est possible, qui coule encore dans bien des veines.

Ainsi de Pierre, fils d'ouvriers communistes né en 1947, rencontré au cours de ma thèse, qui disait ainsi : « Après avoir eu ce sentiment que tout se débloquait et que tout devenait possible, on n'accepte pas que la porte se referme, on ne peut pas revenir comme avant, alors on met le pied dans l'entrebâillement, pour qu'elle ne se referme pas » ; et Mathilde, née en 1946 dans une famille d'artisans royalistes : « Je peux dire que je suis née en 68…intellectuellement, je me suis réveillée d'une espèce de sommeil où je n'étais que mon éducation, que toutes mes contraintes, toute la culpabilisation qu'on m'avait mis dans la tête… pour moi, c'est, ça restera les événements les plus importants de ma vie (…) c'est la vie quoi, c'est là où ça commence… »

Et si on arrêtait tout et qu'on réfléchissait ? Ça serait pas triste.

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