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Drépanocytose, la maladie génétique qui excite l’extrême droite

Les statistiques autour de cette maladie génétique sont brandies par les militants identitaires comme une « preuve » de « l'invasion migratoire ». Mais leurs arguments ne tiennent pas.

Par  et

Publié le 12 septembre 2014 à 18h04, modifié le 27 novembre 2014 à 17h18

Temps de Lecture 8 min.

C’est la « preuve » de « l’invasion » des immigrés, brandie par l’extrême droite dans un nombre croissant de discours. On la retrouve citée sur des sites, des blogs, d’innombrables commentaires ou messages sur les réseaux sociaux : le dépistage de la drépanocytose, une maladie génétique qui touche particulièrement certaines populations issues de l’Outre-Mer, d’Afrique ou du Maghreb, est instrumentalisé par certains militants extrémistes.

Capture d'un des nombreux articles consacrés à ce sujet.

Cette maladie génétique, l’une des plus fréquentes en France et dans le monde, consiste en une anomalie de la structure de l’hémoglobine. Elle a des conséquences graves : anémies, infections bactériennes, accidents vasculaires occlusifs. On compte 12 000 malades en France, et on recense environ 400 cas parmi les nourrissons chaque année.

Depuis plus d’une décennie, elle fait l’objet d’un dépistage chez les nouveaux-nés français. Mais la maladie se rencontrant plus fréquemment chez les populations originaires d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, des Antilles, d’Inde ou du sud de l’Europe (Grèce et Italie), ce sont les nourrissons issus de familles originaires de ces zones qui sont testés.

Comme pour nombre d’autres maladies, il existe toute une série de statistiques détaillées, notamment sur le nombre de nouveaux-nés testés par département français. Et, en l’absence de statistiques ethniques, les militants d’extrême droite se sont donc emparés de ces chiffres pour alimenter leur thèse centrale : le « grand remplacement » des populations autochtones par celles issues de l’immigration.

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Lire : Le fantasme du « grand remplacement »

Les militants identitaires publient donc régulièrement des cartes supposées montrer, avec les dépistages de nouveaux-nés à cette maladie, l’ampleur du « grand remplacement ». Mais, comme bien souvent, tout ceci est erroné.

La drépanocytose est une maladie à transmission autosomique récessive : on peut être porteur sain du gène, mais on ne la développe que si les deux parents sont porteurs, avec un risque de 1 sur 4 à chaque grossesse.

Transmission de la drépanocytose

Pour des raisons essentiellement économiques, en France, la maladie n’est pas détectée systématiquement, mais uniquement auprès des populations à risque. Pour être précis, la Haute Autorité de santé explique que :

 « Ce dépistage néonatal est institué depuis 2000 sur l’ensemble du territoire et réalisé en métropole de manière ciblée sur la population des nouveaux-nés issus de parents originaires de populations à risque. »

 La maladie n’a donc pas de facteurs « ethniques », mais bien géographiques.

 Selon l’Institut national de veille sanitaire (InVS), les tests sont pratiqués selon l’origine des parents des nourissons. Les régions « à risques » sont :

Départements français d’outre-mer : Antilles, Guyane, la Réunion, Mayotte
Tous les pays d’Afrique subsaharienne et le Cap-Vert
Amérique du Sud (Brésil), Noirs d’Amérique du Nord
Inde, océan Indien, Madagascar, île Maurice, Comores
Afrique du Nord : Algérie, Tunisie, Maroc
Italie du Sud, Sicile, Grèce, Turquie
Moyen-Orient : Liban, Syrie, Arabie saoudite, Yémen, Oman

Pour qu’un nourisson soit testé, il faut, toujours selon l’InVS, que: 

- Soit les deux parents proviennent d’une région à risque,
- Soit qu’un seul des deux en proviennent si on ne connaît pas le second,
- Soit qu’il existe des antécédents de syndrome drépanocytaire majeur dans la famille,
- Soit qu’il existe un doute sur les trois critères précédents.

UNE MALADIE MONDIALISÉE

Qu’entend-on par « provenir d’une région à risque » et comment, concrètement, le dépistage est-il ou non effectué ? La pratique n’est pas des plus claires. Les rapports officiels ne la détaillent d'ailleurs pas. « Dans la pratique, explique Valérie Gauthereau, directrice de la fédération parisienne de dépistage, on essaye dans les maternités de cibler les personnes d’origine maghrébine ou africaine. »

Un ciblage qui se fait sur des critères assez informels : faciès des parents, nom de famille… mais qui peut avoir des ratés. C’est d’ailleurs pourquoi, en Ile-de-France par exemple, « certaines maternités ciblent 100 % de la population, pour être certaines de ne pas rater un cas », précise encore Mme Gauthereau. 

Les associations de malades, mais également certains médecins, dénoncent aujourd’hui ce dépistage ciblé, avec un argument qui va à l’encontre de la thèse « identitaire » : la maladie n’est plus aujourd’hui l’apanage de certaines ethnies, mais s’est « mondialisée » : au fil des ans et des métissages, les gènes se sont disséminés.

Comme l'écrivait ainsi, en 2012, Frédéric Galactéros, responsable de l’unité des maladies génétiques du globule rouge à l’hôpital Henri-Mondor, le ciblage de ces populations a des conséquences « désastreuses » :

« La faisabilité du ciblage actuellement effectué repose sur la notion, totalement erronée, mais solidement installée dans les esprits, que la drépanocytose ne touche que les personnes à peau noire. Les conséquences en sont désastreuses. Tous les pays à situation comparable, et pour les mêmes raisons, ont opté pour un dépistage non sélectif. »

Pour évoquer la Guadeloupe, la chorale d'outre-mer Chorale Belle Voix Ti Moun, composée de 30 enfants de 7 à 15 ans, a participé à l'ouverture du défilé militaire.

Commençons par les chiffres : selon les données de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l'enfant, 309 858 nouveaux-nés ont été dépistés pour la drépanocytose en France en 2012, territoires d’outre-mer compris. Cette même année, selon l’Insee, la France comptait 821 047 naissances (vivantes). Soit un taux de dépistage de 37,7 % des nourrissons.

Faut-il en conclure, comme le font les militants identitaires, que 37 % des nourrissons sont « d’origine étrangère » ? Non. Ou alors il faut s’entendre sur ce qu’on appelle « étranger ».

12 % Premier point : le cas des communautés françaises d’outre-mer. Un dépistage est systématiquement organisé sur tous les nourrissons, quelle que soit leur « ethnie ». Soit un total de 37 971 nouveaux-nés en 2012, 12 % environ du total de nourrissons testés en France.

Peut-on dire qu’Antillais, Réunionnais ou Guadeloupéens sont « d’origine étrangère » ? Non. Ils peuvent être français depuis des générations ou des siècles. La seule grille de lecture appliquée par les militants d’extrême droite est donc ici ethnique.

Et encore font-ils ici un premier contresens : qu’ils soient blancs ou noirs, tous les enfants nés en outre-mer sont testés, car c’est la zone géographique, et non l’ethnie, qui induit un risque.

Mais la manipulation ne s’arrête pas là : la médecine n’est pas un service d’immigration. Et lorsqu’on parle de « populations originaires » d’une zone géographique à risque, on ne regarde pas la carte d’identité des individus.

On teste donc des populations dont l’origine « étrangère » est parfois lointaine : deux, trois, quatre générations, voire plus. Des familles originaires des Antilles, françaises depuis une dizaine de générations, seront ainsi testées, quand un couple d’étrangers venus d’Europe de l’Est ne le sera pas.

Le taux de nourissons testés à la naissance ne peut donc pas être un indicateur de « l’immigration », comme il est présenté par les militants d’extrême droite. Au mieux, il peut indiquer la part de « métissage » dans des zones géographiques données.

Et là encore, on peut relativiser : on teste aussi pour la drépanocytose les personnes originaires d’Italie du Sud ou de Grèce, toujours sur ces mêmes critères flous du nom de famille ou de l’apparence des parents. Et avec une pratique qui va plutôt dans le sens de tester dès lors qu’il y a un doute.

Si on veut évoquer des chiffres de naissances issues de l’immigration, les statistiques existent. Ainsi, selon l’Insee, en 2010, on comptait 832 799 naissances en France (DOM inclus). 110 000 étaient issues d’au moins un parent étranger (y compris de l’Union européenne) et 54 234 issues de deux parents étrangers. Soit un total de 19,8 % de nouveaux-nés ayant un ou deux parents étrangers, originaires ou non d’un pays de l’UE.

79,3 % Plus précisément, toujours selon l’Insee, on comptait en 2012 79,3 % des naissances issues de deux parents français, contre 6,1 % issues de deux parents de nationalités hors UE, et 11,3 % dont l’un des deux parents était né hors de l’UE.

Evidemment, certains départements concentrent une population d’origine étrangère plus forte. La Seine-Saint-Denis, par exemple, où plus des deux tiers des naissances sont issues d’un ou deux parents nés à l’étranger. Mais d’autres ne sont pas du tout dans ce cas. En Vendée, dans le Cantal, le Pas-de-Calais ou la Manche, on compte plus de 93 % de naissances en 2012 issues de deux parents nés en France.

5 % Rappelons qu’on compte, en France, en 2012, selon l’Insee, 5,3 millions de personnes « nées étrangères dans un pays étranger », dont 3,3 millions non originaires de l’UE. Soit moins de 5 % de la population. Un chiffre qui ne connaît pas de variation importante sur les dernières années.

Et même si l’on additionne la première et la deuxième génération d’immigration (les personnes nées en France d’un ou de deux parents étrangers et celles nées en France de parents ayant eux-mêmes un parent ou deux nés à l’étranger), toujours selon l’Insee, on décompte 26,6 % de la population, soit un chiffre proche de celui de la Suède, du Royaume-Uni ou de l’Autriche. 

1. Un dépistage médical n'est pas un recensement ethnique

2. Les Ultramarins ne sont pas « issus de l'immigration »

3. La grande manipulation des chiffres

4. Environ 20 % de naissances « non françaises »

5.  Un racisme qui ne s’assume pas

1 sur 4 Selon l’Institut national d’études démographiques, on peut estimer qu’à l’heure actuelle environ un quart des Français sont issus de l’immigration, au sens où ils ont au moins un grand-parent immigré. Au cours du XXe siècle, la France a connu des vagues migratoires successives : Belges, Polonais, Russes, Italiens, Espagnols, Portugais, Maghrébins... Parler de « population autochtone » n’a donc pas grand sens : si l’on remonte sur plusieurs générations, on finit généralement par trouver des ascendants étrangers.

« La France est certes un vieux pays d’immigration mais il y a déjà vingt-cinq ans qu’elle n’est plus un pays d’immigration massive. Elle est devenue au contraire le pays d’Europe où la croissance démographique dépend le moins de l’immigration », écrivait l’institut dans une étude de 2004.

Ce que confirment les chiffres de l’Insee. Restent donc des populations issues de l’immigration, mais françaises de naissance, même si leur couleur de peau n’est pas aussi blanche que le souhaiteraient certains militants.

L’hystérie entretenue par l'extrême droite autour de la drépanocytose ne fait en effet que masquer le racisme des tenants de ces théories : il ne s’agit pas ici de parler d’immigration, puisque des personnes non nées en France, mais originaires d’Europe de l’Est ou du continent américain, ne sont pas dépistées, alors que celles nées d'un couple dont les arrière-grands-parents sont originaires d’Afrique ou du Maghreb, bien que français depuis trois générations, le sont.

En réalité, ce que cherchent à évoquer les militants identaires ici, c’est bien la question de l’ethnie. Ce qui les préoccupe, ce sont les naissances non « blanches », qu’elles soient issues de personnes de nationalité française ou non, et que ces personnes soient intégrées ou non.

Le cas des Antillais est ici emblématique : ces populations peuvent être « plus françaises » que des militants d’extrême droite issus, à la troisième ou à la quatrième génération, de l’immigration italienne, polonaise ou autre ; ils seront tout de même comptabilisés dans leur cartographie du « grand remplacement ». Signe s’il en est qu’il ne s’agit pas ici de parler d’intégration ou de flux migratoires, mais bien de « races ».

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