Géolocalisation des salariés : que risque l'employeur ?
Les plaintes auprès de la Cnil sont en hausse constante. En cause, l'utilisation abusive du système. Jusqu'où l'employeur peut-il surveiller ses salariés ?
Par Laurence NeuerTemps de lecture : 5 min
Contrôler le temps de travail par la géolocalisation : la pratique se généralise et se pare de systèmes de plus en plus perfectionnés. Les petits boîtiers connectés qui équipent notamment les véhicules de commerciaux, livreurs, chauffeurs routiers, techniciens de maintenance, etc. enregistrent de plus en plus de données : le positionnement en temps réel du véhicule, la température intérieure, les itinéraires suivis, la vitesse de conduite, les temps de pause, etc. Certains dispositifs sont même équipés d'un accéléromètre visant à détecter des mouvements de conduite tels qu'un virage brusque, une accélération ou un freinage important. D'autres modèles comportent des systèmes d'alerte : envoi d'un SMS si la voiture sort du périmètre prédéfini ou en cas de choc, par exemple. La sécurité des chauffeurs et les risques de vol sont donc sous contrôle. Et, grâce aux économies de carburant permises par le dispositif, la durée de vie des véhicules est prolongée. L'entreprise dispose aussi d'un outil idéal pour rationaliser la gestion de sa flotte.
Mouchard
Mais, à l'ère de la société de surveillance, le dispositif se transforme vite en mouchard, faisant remonter à l'employeur, outre les dérapages fautifs des chauffeurs, certaines informations du domaine privé. À cet égard, la Cnil considère que le salarié doit être en mesure de désactiver le système à l'issue du temps de travail. "D'une manière générale, l'employeur doit toujours respecter un équilibre entre la nécessité du contrôle, par exemple la sécurité des marchandises transportées, et les droits individuels des salariés, l'idée étant d'adopter la solution la moins intrusive possible", résume Wafae El Boujemaoui, chef du service des questions sociales et RH à la Cnil. La géolocalisation ne peut donc être employée pour contrôler un salarié en permanence ou vérifier s'il respecte les limitations de vitesse.
Quelles que soient les propriétés techniques du dispositif, il ne peut être utilisé "pour d'autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la Cnil et portées à la connaissance des salariés", a rappelé la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 novembre 2011. En l'espèce, l'employeur avait précisé qu'il s'agissait d'améliorer le processus de production de l'entreprise par une étude des déplacements. Il ne pouvait donc pas utiliser le système pour contrôler la durée du travail du salarié au risque d'en détourner la finalité. En tout état de cause, a dit la cour, l'installation d'un tel dispositif dans le véhicule d'un salarié disposant d'une totale autonomie dans l'organisation de son travail ne se justifiait pas. "Cette décision confirme ainsi la position de la Cnil qui considère que le suivi du temps de travail ne peut être qu'une finalité accessoire à la géolocalisation", note Wafae El Boujemaoui. En l'espèce, le contrat de travail a été rompu aux torts de l'employeur.
Accès aux données
De son côté, le gardien du respect de la vie privée et des libertés veille au grain. Destinataire de 110 plaintes sur le sujet en 2013, la Cnil est intervenue auprès des employeurs pour leur rappeler leurs obligations, voire les mettre en demeure de respecter la réglementation. L'intervention de la commission auprès des employeurs dans le cadre des plaintes ou des contrôles est, dans la plupart des cas, suivie d'une mise en conformité, beaucoup d'employeurs ignorant l'étendue exacte de leurs obligations. "Notre devoir est également de les informer et les sensibiliser aux enjeux liés à la protection des données personnelles, à l'impact de la géolocalisation (ou de l'utilisation de ces techniques nouvelles) sur les droits et libertés du salarié, et notamment sur sa vie privée, ainsi qu'aux risques pour les employeurs, tant juridiques qu'en termes d'image, en cas de non-respect de leurs obligations, explique Wafae El Boujemaoui. L'objectif est d'accompagner le développement de nouvelles technologies afin de nous préserver de dérives en termes de protection des libertés et de la vie privée, c'est la raison pour laquelle, tout en poursuivant sa politique de contrôle, la Cnil accompagne les employeurs dans leur démarche de mise en conformité."
Les principaux motifs des plaintes concernent la localisation du salarié en dehors de son temps de travail, l'absence d'information des personnes concernées sur l'existence même du dispositif et son objectif, l'absence de déclaration du système auprès de la Cnil et le refus d'accès aux relevés de géolocalisation. En 2012, la Cnil a ainsi condamné à 10 000 euros d'amende une société qui avait refusé de communiquer à un ancien salarié les données de géolocalisation de son véhicule professionnel, un droit issu de l'article 39-I de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. La commission mène aussi des actions de sensibilisation auprès des industriels pour qu'ils intègrent, dès le stade de la fabrication des logiciels, la protection des données personnelles.
À savoir : l'installation d'un dispositif de géolocalisation dans les véhicules mis à la disposition des salariés nécessite au préalable d'effectuer une déclaration auprès de la Cnil. L'employeur peut toutefois se limiter à établir un "engagement de conformité" si le dispositif mis en place est en tout point conforme à la norme simplifiée n° 51. En l'absence de déclaration à la Cnil, le responsable encourt des peines allant jusqu'à 300 000 euros d'amende et cinq ans de prison (article 226-16 à 226-24 du Code pénal). S'y ajoutent les sanctions prononcées par la Cnil (avertissement rendu public, sanction financière...). Une fiche pratique présentant les grandes règles d'utilisation de la géolocalisation des véhicules est aussi publiée sur le site internet de la Cnil : http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/travail/Travail_et_donnees_personnelles.pdf
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