La réalisation du futur Guggenheim Helsinki est l'une des grandes compétitions architecturales du moment. La mairie de la capitale finlandaise prévoit en effet de construire un vaste complexe culturel pour accueillir une nouvelle antenne de l'institution américaine. L'immense site choisi à cet effet, sur le port de la ville, devrait changer la physionomie d'Helsinki, lui donnant par là-même une nouvelle identité… Et c'est bien ce qui dérange ses détracteurs.
Alors que l'appel à candidatures pour le projet vient tout juste de se clore, une contre-compétition propose de bousculer la belle mécanique. Un groupe d'acteurs artistiques locaux et internationaux (architectes, chercheurs, galeristes, commissaires d'exposition…) regroupés sous la bannière The Next Helsinki a ainsi lancé un appel à projets alternatifs.
« LE MIRACLE BILBAO »
« On dirait que toutes les villes du monde rêvent d'être sauvées par l'effet Bilbao. Et si un bâtiment très spécial, conçu par un architecte très spécial, et sponsorisé par un musée privé très spécial s'installait et transformait une économie moribonde et une population sous-cultivée d'un seul coup en un noyau du tourisme et de l'art international ? », peut-on lire sur le site de The Next Helsinki.
Au-delà de moquer la démarche, le collectif estime que la ville risque de perdre son âme dans l'opération : « La Fondation Guggenheim a lancé une compétition sur l'un des sites les plus beaux et les plus chers de la ville pour construire un nouveau bâtiment Guggenheim, avec l'espoir d'une transformation semblable au “miracle” de l'Espagne. La ville d'Helsinki est tentée de dépenser des millions d'euros municipaux afin que la ville bénéficie d'une marque qui appartient à quelqu'un d'autre. »
Le Guardian rappelle que le coût initial du projet s'élève à 130 millions d'euros, auquel il faut ajouter 30 millions de franchise à payer au Guggenheim. « Tout sera financé par la ville : le terrain, la construction, l'entretien du bâtiment, les salaires, la franchise, tout », a résumé au quotidien Kaarin Taipale, l'une des organisatrices du concours The Next Helsinki, qui dénonce l'investissement de fonds publics dans une institution privée. La franchise couvrirait les vingt premières années, et la ville devrait débourser de 5 à 10 millions par an pour les salaires, l'entretien et l'achat des expositions, précise le site de The Next Helsinki.
La question du Guggenheim anime en fait le débat politique au-delà des frontières de la ville depuis l'origine du projet, il y a trois ans. Celui-ci, soutenu par la majorité conservatrice au pouvoir en Finlande, est largement critiqué par les sociaux-démocrates et les membres du parti de centre-gauche, précise encore le Guardian.
IMAGINER UN AUTRE FUTUR
Alors que les capitales les plus proches d'Helsinki peuvent se prévaloir d'abriter un musée phare (l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, le Louisiana Museum à Copenhague, le Moderna Museet de Stockholm et l'Astrup Fearnley Museet d'Oslo), la ville recherche une attraction emblématique pour développer le tourisme en Finlande. « Nous avons besoin de promouvoir Helsinki, et c'est pourquoi nous avons besoin de marques internationales comme le Guggenheim », a déclaré de son côté le maire de la ville, Jussi Pajunen.
Le jury de la compétition rivale veut, pour sa part, inverser la logique, et remettre la « singularité » de la ville au cœur du projet. Le concours prend ainsi la forme d'un manifeste pour le futur d'Helsinki :
« Et s'il y avait un appel alternatif aux idées – ouvert à tous – afin de relever le défi d'imaginer un futur plus riche pour l'ensemble de la ville ? Une “compétition” qui s'appuie sur les structures existantes et les besoins de la ville elle-même ? Et si cela pouvait aider Helsinki à devenir un lieu plus accessible, équitable, durable et beau ? Et si cela pouvait permettre de développer des stratégies culturelles bénéfiques en partant des spécificités de la scène locale et des besoins dans les pratiques de l'art contemporain ? Et s'il y avait de vraies alternatives aux tendances du branding de luxe, à la mono-culturisation, aux processus de décisions imposés par le haut et à la privatisation des biens publics ? »
L'appel à envoyer des idées « réalistes, visionnaires et bien documentées » est destiné aux « architectes, urbanistes, paysagistes, artistes, environnementalistes, étudiants, activistes, poètes, hommes et femmes politiques, et à quiconque aime les villes ».
« ANACHRONIQUE »
Selon Michael Sorkin, le président du jury de The Next Helsinki, le fonctionnement de la franchise artistique est « anachronique ». Derrière la réussite du Guggenheim Bilbao, il faut dire que la liste des échecs est longue : les franchises lancées à Las Vegas, Berlin, Salzbourg, Vilnius, Guadalajara, Rio de Janeiro et au sud de Manhattan, à New York, ont toutes été annulées ou fermées. Pourtant, chaque année, des dizaines de villes continuent d'approcher la Fondation Guggenheim, rappelle le Guardian. Une ouverture est encore attendue en 2017 à Abou Dhabi, avec un projet de l'architecte star Frank Gehry, comme à Bilbao.
L'image du Guggenheim est par ailleurs régulièrement écornée par deux artistes américains, Paul McCarthy et Mike Bouchet, qui s'intéressent aux liens entre les politiques des institutions artistiques et leurs architectures. Après avoir détourné l'iconique spirale de Frank Lloyd Wright du musée Guggenheim de New York en cuvette de toilettes, ils s'en sont pris cette année au bâtiment de Frank Gehry à Bilbao, présenté comme un vaisseau de guerre.
On connaîtra la première liste des propositions retenues pour le projet Guggenheim dans les semaines à venir. Commencera alors la deuxième phase de sélection. Au printemps 2015, les projets des finalistes seront exposés, puis le gagnant sera annoncé en juin. L'appel aux projets alternatifs s'insère dans ce calendrier, puisqu'il court jusqu'au 2 mars. Cela suffira-t-il à enrayer le processus ? « Nous voulons participer à la discussion de façon très active avant que la décision politique soit prise. Pour nous, les alternatives ne doivent pas être “Oui au Guggenheim” et “Non au Guggenheim”. The Next Helsinki est moins une “contre-proposition” qu'un projet visant à multiplier les alternatives. Nous souhaitons seulement que les meilleures idées pour la ville gagnent », explique le collectif.
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