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EnquêteÉnergie

L’énergie, enjeu caché du référendum écossais

Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse a lieu aujourd’hui. L’enjeu caché est celui de l’énergie : une Ecosse indépendante pourrait devenir le plus vert pays d’Europe... ou le plus polluant. Les énergies renouvelables seront-elles la priorité, ou l’Écosse basera-t-elle son avenir sur le pétrole ?


Tapis de montagnes battu par les vents et traversé d’eau, l’Écosse dispose du tiers des énergies renouvelables du Royaume-Uni, avec lesquelles celui-ci couvrait un tiers de ses besoins propres en 2013.

Mais, sous la houle de ses côtes orientales, les eaux territoriales du possible nouvel état écossais recouvrent plus des trois quarts des hydrocarbures offshore de l’île. Deux richesses exploitées jusqu’ici sous l’étroite administration de Londres, mais sur lesquelles les partis favorables à l’indépendance ne s’entendent guère.

« Oil is a bonus »

En apparence, le Scottish National Party (SNP, Parti national écossais) affiche son engagement dans les énergies renouvelables. Dans le clip de campagne qui accueille les visiteurs de son site, un joggeur sue au ralenti dans les vallées des Highlands, expirant au rythme des pales des éoliennes géantes. Après avoir énuméré le potentiel d’électricité « verte », le commentaire ajoute négligemment « oil is a bonus », autrement dit « le pétrole est juste un bonus ».

Mais dans la bouche du leader du SNP et Premier ministre écossais, Alex Salmond, le pétrole est bien plus que ça : « Je pense que nous devrions développer nos ressources naturelles à leur plein potentiel, déclarait-il lundi 15 dans le Scottish Herald. Et nous devrions aussi développer des méthodes pour capturer le dioxyde de carbone pour le stocker sous les aquifères marins. »

- Le Premier ministre écossais Alex Salmond et la vice-Première ministre Nicola Sturgeon, 14 août 2007 -

Ancien économiste pétrolier à la Royal Bank of Scotland, Salmond plaide pour la constitution d’un « fonds pétrolier » national à la manière de la Norvège qui, en plaçant les revenus des hydrocarbures, finance ses politiques sociales. « L’argument est historique, rappelle un membre des Verts écossais. Depuis la découverte des champs pétroliers de la mer du Nord dans les années 1970, le pétrole constitue le principal levier des indépendantistes face à Londres. »

Une grosse partie du débat qui oppose les membres du SNP aux ministres britanniques s’articule ainsi autour des réserves potentielles : tandis que les indépendantistes évoquent 24 milliards de barils équivalent pétrole d’hydrocarbures (gaz compris), les experts londoniens avancent seulement 10 milliards de barils.

Economiste à l’université d’Abderdeen, le professeur Alex Kemp table pour sa part sur 14 à 15 milliards de barils équivalent pétrole. « Nous pourrions avoir 1 à 1,5 milliards de barils en plus d’ici 2050 avec des taxes plus incitatives, explique-t-il à Reporterre. Mais, quoiqu’il arrive, l’Ecosse aura besoin de ces revenus pour équilibrer son budget. » Un point sur lequel les écologistes ne le contredisent pas.

Maximiser les profits plutôt que la production

« Soyons réalistes, nous ne pouvons pas couper le robinet du pétrole du jour au lendemain, reconnaît au téléphone Patrick Harvie, parlementaire écossais et membre du parti Vert. Mais Westminster, comme le SNP, veulent maximiser la production quitte à réduire les profits. Nous, nous proposons l’inverse : tirer le maximum de revenus du pétrole pour financer la transition énergétique et s’en passer le plus vite possible. »

Pour tirer le maximum de profit des permis d’extraction accordés sur des périodes de plusieurs décennies, les Scottish Greens proposent tout un plan de réappropriation : augmentation des taxes et prise de participation aux côtés des grands groupes dans les joint-ventures exploitant le pétrole (prenant là encore le modèle de la Norvège actionnaire de 121 permis offshore). Les revenus tirés de ces exploitations ont ensuite vocation à financer la transition énergétique du pays vers le 100 % renouvelable.

Une option évidemment contestée par les compagnies pétrolières, à commencer par British Petroleum dont le PDG assurait dans un communiqué de presse que « [ses] activités nécessitent un soutien fiscal pour rester rentables et les investissements à long terme demandent une stabilité et une fiabilité fiscale ».

Un chantage aux taxes pétrolières auquel s’associe la compagnie Shell, également présente en mer du Nord et auquel a régulièrement cédé le gouvernement britannique : rien que sur l’exercice 2013-2014, le chancelier de l’Echiquier Georges Osbone a accordé 2,69 milliards de réduction d’impôts à ces entreprises.

« Les compagnies pétrolières profitent de l’instabilité pour tirer leur épingle du jeu, s’amuse le docteur Gen Cannibal, membre du think tank Business for Scotland et consultant en développement durable. Ils ont fait le même cirque quand la Hollande a voulu augmenter les taxes à la fin des années 1980 et ils sont toujours là ! »

Autarcie contre interdépendance

Mais le débat entre Londres et Edimbourg n’est pas moins féroce sur les énergies renouvelables : au ministre de l’Energie anglais qui assurait que les Ecossais ne pourraient pas payer le vrai prix de l’électricité renouvelable sans les subventions de Londres, son homologue écossais répliquait que « l’Angleterre a besoin de l’électricité écossaise pour garder la lumière allumée ». « En fait, ils ont tous les deux raisons !, tranche Peter McColl, recteur à l’université d’Édimbourg et membre du parti écologiste. Les subventions anglaises sont nécessaires pour maintenir bas les prix des énergies renouvelables écossaises, mais Londres ne peut guère s’en passer à moins d’acheter de l’électricité nucléaire à la France - ce qui serait bien plus coûteux et bien plus compliqué à importer », dit-il à Reporterre.

Si le référendum porte bien sur une indépendance politique, le débat sous-jacent porte clairement sur un modèle énergétique : la défense du pétrole par le SNP est aussi une défense d’une énergie vendue sans interférence de Londres, là où les renouvelables seront massivement exportées vers l’Angleterre.

Le vote du 18 septembre n’est cependant qu’une première étape dans la recomposition politique écossaise. Si l’indépendance devait l’emporter, des élections générales auraient lieu en 2015 durant la période de transition de 18 à 24 mois, à l’occasion de laquelle une forte recomposition politique aurait lieu. « Une fois la cause de l’indépendance acquise, le SNP n’aura plus de ciment politique, avoue un membre du parti indépendantiste. Il y a là un large spectre, des ultra pro-pétrole aux écolos les plus ambitieux. »

- Parc éolien de Whitelee, en Écosse -

Contrairement à l’Angleterre majoritairement pro-gaz de schiste, de récents sondages ont révélé que les Ecossais soutenant ces énergies étaient minoritaires, la plupart plébiscitant les renouvelables. Après avoir recueilli leur meilleur score historique à l’occasion des européennes de 2014 (8,4 %), les Greens profitent de la campagne pour grossir leurs rangs.

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