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Billet de blog 17 septembre 2014

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Cambadélis : un démenti qui ne… dément rien du tout !

A la suite de la publication par Mediapart des bonnes feuilles de mon livre "A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient", le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a publié mercredi soir un communiqué assurant qu'il n'avait en rien fraudé la loi pour obtenir un doctorat de 3eme cycle. Mais visiblement ce communiqué de presse a été rédigé à la hâte car quand on le lit de près on a tôt fait de relever qu'il s'agit d'un démenti qui présente la singularité de... ne rien démentir du tout. Démonstration.

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A la suite de la publication par Mediapart des bonnes feuilles de mon livre "A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient", le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a publié mercredi soir un communiqué assurant qu'il n'avait en rien fraudé la loi pour obtenir un doctorat de 3eme cycle. Mais visiblement ce communiqué de presse a été rédigé à la hâte car quand on le lit de près on a tôt fait de relever qu'il s'agit d'un démenti qui présente la singularité de... ne rien démentir du tout. Démonstration.

Lisons d'abord le démenti avant de l'examiner d'un peu plus près.

Voici le communiqué de presse: « Il y a près de quarante ans étudiant en licence, j’ai obtenu une dérogation de l’Université Paris VII-Jussieu – signée par le Président de l’Université de l’époque Jean-Jacques Foll –pour m’inscrire en maîtrise, c’était légal et usuel, dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises. J’ai obtenu ma maîtrise puis j’ai passé mon doctorat de 3ème cycle. Quant au livre « Pour une nouvelle stratégie démocratique » il fut bien écrit il y a trente ans à plusieurs mains, même si j’en suis l’auteur principal. Pierre Dardot n’a pas voulu le signer estimant à l’époque que « ce livre m’appartenait ». Laurent Mauduit n’ignorait rien de cet épisode : A l’UNEF, la MNEF et l’OCI (organisation trotskyste) il a toujours fait partie de mon parcours. Mais voilà ! Depuis notre sortie de l’OCI en 1985, il instruit mon procès car je suis entré au Parti socialiste qui n’est plus pour lui un parti de gauche Ces vengeances et mesquineries d'un autre temps, relayées par la droite dure dans "Valeurs actuelles" ne me détourneront pas du combat qui est le mien : Reformuler le Parti socialiste et agir avec lui pour le redressement du pays. »

Laissons de côté les explications emberlificotées de Jean-Christophe Cambadélis sur le livre qu’il n’a que très partiellement écrit – les témoignages que j’apporte dans mon livre ne prêtent guère à débat puisque le philosophe Pierre Dardot m’a lui-même confirmé la version des faits que je rapporte – et concentrons-nous sur le point principal de la réfutation maladroite de Jean-Christophe Cambadélis : à l’entendre, il aurait obtenu son doctorat de manière parfaitement régulière. Sa démonstration est pourtant si flottante et agrémenté de si nombreuses approximations que le démenti prend des allures de … re-menti !

Première approximation : Jean-Christophe Cambadélis évoque des faits qui se seraient passés « il y a près de quarante ans », alors que son doctorat, il l’a obtenu voici un peu moins de trente ans. L’approximation est vénielle mais elle révèle le peu de rigueur de ce communiqué.

Deuxième approximation : Jean-Christophe Cambadélis assure qu’il a « obtenu une dérogation de l’Université Paris VII-Jussieu – signée par le Président de l’Université de l’époque Jean-Jacques Foll –pour [s]’inscrire en maîtrise », « C’était légal et usuel, dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises », ajoute-t-il. Ah bon ? Un étudiant qui n’avait pas obtenu une licence pouvait donc obtenir une « dérogation » pour s’inscrire en maîtrise ? « C’était légal et usuel », se permet même d’écrire Jean-Christophe Cambadélis. Se rend-il compte que des centaines de milliers d’étudiants qui n’ont pas bénéficié de cette « dérogation » ou de ce passe-droit en tomberont à la renverse en découvrant que d’autres étudiants, autrement plus chanceux qu'eux ou disposant de solides appuis, ont franchi l’obstacle universitaire sans même avoir à passer les examens afférents? Et Jean-Christophe Cambadélis pourrait-il produire cette dérogation ? Il aurait là un moyen très rapide de se disculper s’il s’estime injustement mis en cause.

Mais le plus important reste encore à venir. Car il y a ensuite la troisième approximation. Jean-Christophe Cambadélis affirme en effet par la suite que sa maîtrise en poche – pourrait-on disposer de ce document public ?-, il a donc pu passer son doctorat de 3eme cycle. Seulement voilà ! L’explication ne tient pas la route car à cette époque, il était impossible de s’inscrire en doctorat de 3ème cycle avec seulement une maîtrise en poche. Pour soutenir une thèse de doctorat, il fallait au préalable obtenir un DEA ou un DESS. Pourquoi Jean-Christophe Cambadélis ne l’évoque-t-il pas ? La question est dans la réponse : comme il n’a pas suivi le cursus normal, il n’avait pas le souvenir, en écrivant ce communiqué, qu’un DEA ou un DESS était indispensable pour passer un doctorat de 3ème cycle. Dans le communiqué du Parti socialiste – que Jean-Christophe Cambadélis a enrôlé dans sa défense personnelle-, il y a donc un aveu involontaire : le patron du Parti socialiste reconnaît qu’il n’avait pas ce DEA ou DESS, qui étaient pourtant indispensables pour s’inscrire en doctorat.

Quatrième approximation de Jean-Christophe Cambadélis: pourquoi, parle-t-il d'une dérogation obtenue « dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises »? Et que veut dire cette formule mystérieuse de « compétences acquises »? La formule est tellement elliptique qu'elle laisse perplexe. Je ne vois guère qu'une interprétation: il est vrai que la loi autorise en certains cas très limités des systèmes d'équivalences de diplômes pour des activités dans des missions de service public. Ce fut longtemps le cas pour la Mnef. Faut-il donc déduire du communiqué de Jean-Christophe Cambadélis que son emploi fictif à la Mnef, pour lequel il a été lourdement condamné en 2006 à six mois d'emprisonnement avec sursis et 20.000 euros d'amendes, lui aurait, envers et contre tout, permis d'obtenir secrètement une équivalence, dont il n'aurait jamais fait état? Est-ce à cela que fait allusion l'intéressé? Son communiqué aurait gagné en clarté si des réponses à ces questions avaient été apportées. Grave question: l'Université aurait-elle pu récompenser ce que la justice a condamné?

Au demeurant, Jean-Christophe Cambadélis sait l’extrême fragilité de sa défense. Car, comme je l’explique dans mon livre – et dans les bonnes feuilles qui sont parues sur Mediapart- je dispose de plusieurs témoins attestant qu’il a d’abord cherché à fabriquer un faux Diplôme universitaire (DU) à en-tête de la Faculté du Mans, diplôme si maladroitement fabriqué qu’il n’a pas osé finalement le verser dans son dossier d’inscription à la faculté du Mans. Comme il sait que je dispose de témoins attestant que son dossier universitaire ne contient pas les pièces autorisant sont inscription en doctorat. En bref, le communiqué de Jean-Christophe Cambadélis maintient les zones d’ombre et en rajoute même de nouvelles.

Il reste dans cette histoire pourtant une inconnue. Pourquoi la Faculté de Paris VII – Jussieu est-elle montée si vite en défense de Jean-Christophe Cambadélis? Car ce mercredi soir, nous avons reçu à Mediapart ce texte présenté comme un droit de réponse : « Suite à la mise en cause de l’Université Paris Diderot dans un article paru ce jour intitulé “Les diplômes usurpés de Jean-Christophe Cambadélis” sur le site d’information Médiapart et dans l’ouvrage de M. Laurent Mauduit à paraître demain “A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient”, concernant la délivrance frauduleuse d’un diplôme de doctorat à M. Jean-Christophe Cambadélis, Premier Secrétaire du Parti Socialiste, l’Université Paris Diderot, après vérification, affirme que le cursus universitaire de M. Cambadélis dans l’établissement, ainsi que l’obtention de son doctorat se sont réalisés de manière tout à fait régulière.»

J’avoue que, découvrant ce texte, j’ai été interloqué, pour de très nombreuses raisons.

D’abord, je n’ai jamais mis en cause la Faculté Paris Diderot. Dans mon livre, comme dans les bonnes feuilles publiées par Mediapart, je ne me permets pas même d’accabler Pierre Fougeyrollas, le directeur de thèse de Jean-Christophe Cambadélis. Je dis juste qu’il s’est porté garant pour Jean-Christophe Cambadélis, sans que je sache s’il a cru l’intéressé sur parole sur son passé universitaire ou s’il a été éventuellement abusé par ce « DU » qu’il aurait vu, mais sans détecter la fraude.

J’ai aussi été interloqué par la rapidité de la réaction de la direction de la Faculté. Car, conduisant mon enquête, je suis naturellement entré en contact avec elle par mail, cherchant à obtenir la thèse de Cambadélis. Et j’ai eu beaucoup de mal à obtenir une réponse : comme en témoignent mes échanges de mails, j’ai appris au bout de deux mois par cette université qu’elle n’avait pas gardé la trace de cette thèse. C’est donc finalement ailleurs que j’ai retrouvé ce document. Alors, voyant qu’en revanche, la direction de la Faculté mettait à peine quelques heures pour prendre la défense de Jean-Christophe Cambadélis m’a évidemment surpris. D’autant que le communiqué de l’Université n’apporte strictement aucun détail sur le cursus universitaire de Jean-Christophe Cambadélis. Les sympathies socialistes de certains à la direction de cette Faculté – sinon même la proximité avec l’Elysée – serait-elle donc la clef de l’énigme ?

Dans tous les cas de figure, il y aurait un moyen très simple d’apporter la preuve que mon enquête aurait pu être imprécise – ce qui, je le sais de manière catégorique, n’est pas le cas – ce serait que Jean-Christophe Cambadélis et l’Université de Paris Diderot acceptent de mettre sur la place publique le dossier universitaire de l’intéressé, de publier les copies des diplômes qu’il a obtenus, et éventuellement des dérogations. A gauche, plusieurs voix se sont élevées à bon droit en ce sens: que Jean-Christophe Cambadélis publie ses diplômes!

C’est la solution de bon sens. On verra alors que mon enquête a été sérieuse, rigoureuse, contradictoire et de bonne foi.