Nicolas Hulot : «La crise écologique nourrit la crise économique»

Nicolas Hulot : «La crise écologique nourrit la crise économique»

    Ã? la veille d'une marche mondiale pour le climat, l'envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète appelle à la mobilisation générale.

    A quoi bon participer à une marche pour le climat si les dirigeants de la planète ne se mettent pas d'accord pour agir ?

    Nicolas Hulot. Si la mobilisation se limite à cette marche dans la plupart des capitales du monde, ça ne sera pas suffisant. J'ai bien conscience qu'il y a une forme de résignation de la société civile depuis l'échec du sommet de Copenhague (NDLR : en 2009). Mais cette marche doit être le début d'une nouvelle mobilisation. Je pense que la marche de New York sera très importante avec la mobilisation de personnalités comme Leonardo DiCaprio. Aux Etats-Unis, George Clooney ou Robert Redford sont aussi très engagés.

    Et en France ?

    Mélanie Laurent, Mathieu Kassovitz, Omar Sy et des milliers de citoyens soutiennent la marche. Mais il faut que davantage d'intellectuels, d'acteurs, de sportifs nous rejoignent. Plus on sera nombreux, plus cela incitera les politiques à bouger et à avoir de l'audace sur ces questions. Le message est clair : osez changer de modèle économique. Il y a une époque où l'on pouvait s'abriter derrière l'excuse de l'ignorance. Ensuite, on a prétexté l'impuissance. Aujourd'hui, ces deux excuses sont totalement obsolètes.

    N'y a-t-il pas d'autres priorités en période de crise économique ?

    Il ne faut pas opposer les crises aux crises. Il ne faut pas opposer le malheur d'aujourd'hui aux désastres de demain. La crise climatique est déjà là et nourrit la crise économique. C'est une tragédie silencieuse qui tue déjà des centaines de milliers de personnes chaque année et provoque des centaines de milliards de dollars de dégâts. Elle va saper toutes nos économies. Je me demande quel événement il faudra pour qu'on y accorde enfin des moyens. Ces enjeux peuvent paraître lointains pour beaucoup de gens lorsque le moindre euro compte pour boucler ses fins de mois. Mais les politiques ont le devoir de ne pas nier cette réalité. Arrêtons les grands discours et décrétons la mobilisation générale ! Il nous faut entrer dans une posture de guerre ouverte contre les changements climatiques.

    Mais que peuvent faire les citoyens à leur niveau ?

    Se mobiliser sur les réseaux sociaux, donner de leur temps pour soutenir cette marche. Ne restez pas résignés, signez des pétitions. La conférence de New York, la semaine prochaine, est une étape préparatoire, donnant l'occasion aux chefs d'Etat de faire leurs propositions et de discuter des sujets qui fâchent. Si les décideurs ne sentent pas qu'il y a une masse mobilisée derrière eux, ils ne bougeront pas.

    Que vous inspirent le démarrage de la ferme des 1 000 vaches ou la mobilisation contre un projet de barrage controversé dans le Tarn ?

    Il n'y a pas un matin où je ne manque de m'étrangler car on va de reddition en reddition. Alors qu'il y a une hémorragie des petites exploitations porteuses d'emplois qu'il faudrait soutenir, voir sortir de terre un modèle de ferme industrielle me semble aberrant. Et au moment où l'on essaye désespérément de protéger la biodiversité et les zones humides et de trouver des voies d'adaptation aux changements climatiques, comment accepter que l'on inonde 13 ha aussi précieux ? Dans les Alpes, à cause d'une épizootie qui touche les bouquetins, un abattage massif est programmé. Et alors que nous exhortons l'Afrique à protéger ses éléphants, on abdique en France sur la protection d'espèces protégées comme le loup ou les ours.

    Ségolène Royal devrait-elle davantage monter au créneau ?

    Elle ne peut pas lutter seule contre tous si, dans son parti et à l'UMP, ces sujets sont désertés. Il en va aussi de la responsabilité des élus locaux. Ils doivent se rendre compte qu'au-delà de la crise climatique mondiale l'érosion des sols et de la biodiversité est un préjudice irréversible. Je m'adresse à la nouvelle génération d'élus. On ne peut pas prétendre être dans la modernité tant qu'on ignore d'une manière aussi probante ces enjeux. Je les conjure de chausser les lunettes du XXI e siècle.

    Que vous inspirent les orages meurtriers cette semaine dans le sud de la France  ?

    Il ne faut pas imputer tout événement météorologique au changement climatique. L'épisode cévenol est connu depuis longtemps. Mais les extrêmes climatiques seront plus nombreux et plus intenses à l'avenir dans notre pays. Pour en atténuer les effets, il faudra remettre en cause un certain type d'urbanisation.

    N'êtes-vous pas un peu lassé d'être en première ligne dans ce combat ?

    La lassitude, il y en a, car j'ai le sentiment de répéter souvent les mêmes choses. Je pense que, si l'on avait anticipé davantage les effets du changement climatique, on aurait évité beaucoup de souffrances, y compris chez nous. Vous verrez que cet hiver on aura encore des crues à répétition. Selon le rapport de la convention des Nations unies pour la désertification, entre 2000 et 2020, le changement climatique et l'avancée accrue du désert auront poussé 60 millions de personnes aux portes de l'Europe.

    Envisagez-vous de jouer un rôle à la prochaine présidentielle ?

    Pour l'instant c'est de la science-fiction. Mon logiciel personnel va jusqu'à la conférence climatique de Paris en décembre 2015. C'est un moment clé pour l'humanité.