S’il y a un pays qui a profité de la crise
ukrainienne, c’est la Biélorussie. L’attitude envers cet Etat dirigé par le “dernier dictateur européen” change à vue d’œil. Cette semaine à
New York, parallèlement au Sommet sur le climat de l’ONU, se tenait un forum d’investissement
justement axé sur la Biélorussie. Lors d’une rencontre avec le Premier ministre
biélorusse, Mikhaïl Miasnikovitch, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui évoquait
encore il y a peu de possibles sanctions contre le régime autoritaire de Minsk,
a remercié le gouvernement biélorusse et particulièrement le président
Alexandre Loukachenko pour avoir orchestré les négociations entre Kiev et
Moscou, et désamorcé la guerre en Ukraine.

De même, le prochain forum
mondial de la Confédération syndicale internationale pourrait avoir lieu à
Minsk. Dans les prochains jours, la Biélorussie accueillera une délégation de
la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) chargée
de sonder l’étendue des difficultés économiques du pays. Quant aux hommes politiques du Vieux Continent, ils ont radicalement changé de ton vis-à-vis de
Loukachenko.

Les
relations entre l’Occident et la Biélorussie se réchauffent, mais ce n’est pas uniquement
grâce aux négociations pour la résolution du conflit russo-ukrainien. Et
certainement pas grâce à un quelconque progrès dans le respect des normes
démocratiques, car, de ce point de vue-là, rien n’a changé en Biélorussie.Affaiblir l’Union douanière

La
guerre en Ukraine a renforcé chez les Occidentaux l’idée que l’Union économique eurasiatique [ou Union douanière, qui réunit, pour l’instant, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan] n’est pas aussi inoffensive politiquement que
voudrait le faire croire le Kremlin. Minsk et Astana semblent être du même avis,
puisque leur principale condition pour y adhérer était son caractère apolitique. L’Occident tente donc, de manière opportune, d’affaiblir les liens entre les pays de l’Union douanière en se
rapprochant de la Biélorussie et en faisant miroiter l’idée au Kazakhstan de son intégration à l’OMC. Le raisonnement est simple : puisqu’on ne peut empêcher l’Union douanière d’exister, tâchons de peser sur elle, par le biais des autres membres que la Russie, en particulier la Biélorussie.

Alexandre
Loukachenko, au fil des années passées à la tête de la Biélorussie, a démontré
son habileté dans le jeu politique. Sa stratégie de la girouette entre
l’Occident et la Russie a jusqu’ici été payante. Dans le contexte
de la crise ukrainienne, cette ligne ne peut qu’être
gagnante. Loukachenko va pouvoir se servir à la fois de Moscou, qui ne veut
pas perdre son partenaire, et de l’Occident, qui ne
veut pas d’une Russie plus forte et encore moins du développement
de l’Union douanière. Conscient de son avantage, Loukachenko est déjà entré en scène.
Il a déclaré que l’embargo russe sur les produits européens était défavorable à
Minsk. Au passage, il a invité les investisseurs qui quitteraient la Russie à
venir chez lui et à transférer leurs capitaux des banques russes vers les
banques biélorusses, ces dernières bénéficiant de la garantie de l’Etat.

Faire de Minsk un pont entre l’Est et l’OuestBien
sûr, Loukachenko pourrait continuer à faire la girouette ainsi, avec un profit
à court terme. Mais comme tout homme politique doué de clairvoyance, il ne peut
que sentir que le moment est venu pour le pays d’avancer de manière
significative sur l’échiquier politique mondial avec quelques transformations
minimes de sa politique intérieure.

Les
négociations sur l’Ukraine, ce n’était qu’un début. Loukachenko pourrait essayer
de transformer Minsk en “plateforme mondiale” des relations entre la
Russie et l’Occident, entrés dans un conflit qui risque
de durer. Ou encore en place boursière de l’UE
et de l’Union douanière, d’autant que les Européens songent déjà à créer une zone de libre-échange avec cette dernière.

Un
tel projet, qui pourrait propulser la Biélorussie sur l’avant-scène de
l’Europe, améliorer son image et lui offrir des retombées économiques non
négligeables, ne peut qu’intéresser Alexandre Grigorievitch Loukachenko, qui
n’a de cesse de prédire un destin hors du commun pour son pays. Faire de la Biélorussie un pont entre l’Europe et la Russie, voire entre l’Est et l’Ouest, pourrait devenir l’unique objectif de l’Etat
biélorusse, justifiant ainsi son “destin hors du commun”.