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Santé

Les champignons, de nouveaux alliés contre le cancer

À l’origine de la pénicilline et de médicaments anti-rejets, les champignons se révèlent être aussi de précieux auxiliaires, notamment contre les tumeurs malignes.
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Les champignons, de nouveaux alliés contre le cancer
Substance extraite du Cordyceps, la cordycépine agirait en provoquant la mort des cellules tumorales.
© LIV BIN / AFP

MYCOTHÉRAPIE. Au XIXe siècle, les chirurgiens français se servaient encore couramment de l’amadouvier, un champignon parasite des feuillus, pour stopper les saignements.

Quant au polypore du mélèze ou agaric des médecins, il était administré il y a une centaine d’années aux patients tuberculeux pour traiter les sueurs nocturnes. Mais ces champignons, comme tous ceux utilisés depuis la nuit des temps en médecine traditionnelle, sont tombés peu à peu en désuétude en Europe.

Ils auraient pu connaître un regain d’intérêt au siècle dernier, grâce notamment à la découverte spectaculaire de la pénicilline par Alexander Fleming, à Londres, en 1928. Cette toxine synthétisée par des moisissures du genre Penicillium a été massivement utilisée à partir des années 1940 pour le traitement d’infections bactériennes.

Les travaux sur la mycothérapie restent exceptionnels en France

Autre conquête majeure, celle des ciclosporines, molécules produites par le microscopique Tolypocladium inflatum, qui permettent, depuis une trentaine d’années, de prévenir le rejet de certaines greffes. Mais malgré ces réussites avérées, les travaux sur la mycothérapie restent exceptionnels sur notre continent... et singulièrement en France.

À la faculté de pharmacie de Lille, Régis Courtecuisse, professeur de mycologie, a pourtant entrepris des études sur le métabolisme des champignons. Comme pour tous les êtres vivants, les processus chimiques qui se déroulent au sein de leurs cellules déclenchent en effet la fabrication, ou synthèse, de molécules : les métabolites primaires (hormones de croissance, glucose, vitamines...), directement impliqués dans les mécanismes primordiaux de l’organisme ; les métabolites secondaires (pigments, antibiotiques, petites molécules...) qui, sans participer directement aux processus cellulaires vitaux, permettent aux individus de s’adapter à leur environnement.

Bloquer la multiplication des cellules cancéreuses

Or différents travaux menés en Asie, en Amérique et en Russie ont montré que certains champignons produisent des molécules ou macromolécules efficaces notamment dans le traitement contre les cancers. Elles agissent soit indirectement, en stimulant le système immunitaire, soit directement, en bloquant la multiplication des cellules cancéreuses. Au premier rang de ces métabolites à visée thérapeutique se trouvent les bêta-D-glucanes, de la famille des polysaccharides, composés moléculaires abondamment retrouvés dans le règne fongique. Leur principale activité : assurer la cohésion cellulaire, c’est-à-dire faire en sorte que les cellules s’imbriquent correctement les unes dans les autres.

Dès 1983, Nicholas DuLuzio, de l’université de Tulane, à La Nouvelle-Orléans (États-Unis), montrait que chez l’homme, ces composés stimulaient le système immunitaire. Plus exactement, ils se fixeraient sur certains globules blancs, augmentant la capacité de ces derniers à détruire les agents ennemis (virus, cellules tumorales, etc.) de l’organisme. Cette découverte ouvrait la voie à une centaine d’essais cliniques évaluant leur intérêt pour des patients cancéreux, en complément d’une radiothérapie ou d’une chimiothérapie.

Utilisés en traitement complémentaires des chimiothérapies classiques" - Stéphane Welti

 

Les résultats ont été significatifs : "Aux États-Unis, rappelle Stéphane Welti, maître de conférences à la faculté de pharmacie de Lille, au sein du laboratoire des Sciences végétales et fongiques, les essais cliniques ont montré qu’avec des extraits de Schizophyllum commune, petit champignon que l’on trouve sur le bois mort, il était possible d’améliorer le quotidien de patientes atteintes d’un cancer du col de l’utérus de stade 2 en réduisant les effets secondaires des traitements standards, tout en leur donnant de meilleures chances de guérison.

Et au Japon, des polysaccharides contenant des bêta-D-glucanes extraits de trois espèces différentes (Lentinula edodes, Schizophyllum commune et Trametes versicolor) sont utilisés en traitement complémentaires des chimiothérapies classiques."

Les capacités immuno-stimulantes du bêta-D-glucane ont été confirmées par une étude dirigée en 2013 par Satoshi Ohno, de l’université de Waseda (Japon). Selon celle-ci, la consommation d’extraits d’Agaricus subrufescens, champignon qui contiendrait la plus grande concentration de bêta-D-glucane, permettrait d’améliorer la qualité de vie (mentale et physique) de patients en rémission d’un cancer.

Un champignon qui remplace un élément de l'ADN 

Parmi les champignons qui agissent directement sur les tumeurs, une place prééminente doit être réservée au Cordyceps, qui produit un métabolite secondaire appelé cordycépine. Découverte dans les années 1950, cette molécule prometteuse tomba rapidement dans l’oubli, car il était alors impossible d’empêcher sa dégradation prématurée dans l’organisme. Il fallut attendre les années 2000, lorsque des chercheurs réussirent à stabiliser sa structure, pour qu’on la voie de nouveau sur les paillasses des laboratoires.

"La cordycépine a la capacité de remplacer un des éléments constituants de la molécule d’ADN en formation (l’adénosine), ce qui a pour effet d’empêcher que cette dernière se reconstitue, et entraîne la mort cellulaire, explique Stéphane Welti. C’est comme si, dans un moteur diesel, on mettait du super. Rapidement, la voiture s’arrête. Comme les cellules cancéreuses se multiplient rapidement et de manière anarchique, elles sont les principales cibles de ce type de traitement.

Mais la cordycépine peut aussi, en raison du même principe, prendre la place d’un élément clé de l’ARN messager (ndlr : copie d'une portion d'ADN correspondant à un ou plusieurs gènes, portant la "recette" de la ou des protéines codées par le gène) au moment de sa fabrication. Ce qui reviendrait, pour un texte, à remplacer tous les E par des I. Dans les cellules tumorales, cela se transcrit par l’incapacité de produire les substances (protéines) nécessaires à leur bon fonctionnement. Sans ces dernières, elles meurent."

Cette substance agirait également sur la multiplication des cellules cancéreuses en les empêchant de se diviser. Comment ? En bloquant le cholestérol qu’elles utilisent pour fabriquer leur membrane cellulaire.

Si ces travaux, prometteurs, pourraient relancer l’intérêt de la mycothérapie, la plus grande prudence reste de mise.

Attention au champignon de Paris 

Des études ont constaté, par exemple, que le champignon de Paris, proche parent de l’Agaricus subrufescens, contenait de l’agaritine, un dérivé de l’hydrazine connue pour ses propriétés mutagènes et cancérigènes. Par précaution, il est d’ailleurs conseillé de ne pas le manger cru de façon répétée. "Avant toute commercialisation de champignons ou d’extraits à visée thérapeutique ou comme compléments alimentaires, il est nécessaire d’approfondir les données scientifiques, conclut Stéphane Welti. Une confusion taxinomique, toujours possible, pourrait entraîner des intoxications mortelles.

Ainsi, le principal défi, dans les années à venir, sera d’identifier les espèces avec exactitude. C’est un préalable indispensable à une véritable reconnaissance scientifique de la mycothérapie."

 

NUMÉRIQUE. Cet article de Fred Gratian est extrait de Sciences et Avenir hors-série de l'automne 2014, actuellement en vente en kiosque. Le journal est disponible à l'achat en version numérique via l'encadré ci-dessous. 

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