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Chez Gad, la « débrouillardise » des ouvriers illettrés

Dix jours après les propos d'Emmanuel Macron sur l'illettrisme, les ex-Gad sont encore blessés. Dans l'abattoir breton, comme dans le reste de la société, le phénomène est difficile à cerner.

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Publié le 26 septembre 2014 à 11h32, modifié le 27 septembre 2014 à 18h31

Temps de Lecture 3 min.

Devant les abattoirs Gad, en octobre 2013.

Spectacles de rue, concerts, cochons grillés… et peut-être en « invité spécial », Emmanuel Macron ? Samedi 27 septembre, l'association de soutien aux ex-salariés des abattoirs Gad tournera la page du site de Lampaul-Guimiliau (Finistère), fermé depuis octobre 2013. Une invitation officielle a été adressée au ministre de l'économie, qui, vendredi matin, n'avait pas donné suite.

Dix jours après les propos de M. Macron sur l'illettrisme qui frapperait « beaucoup » de femmes de l'ancienne entreprise, et malgré ses excuses, les ex-Gad et leurs familles sont encore blessés. « Si le ministre vient, il verra que les illettrés s'intéressent à la culture », ironise Joëlle Crenn, 51 ans, ouvrière pendant dix-sept ans sur le site de l'ancien abattoir de cochons et responsable de l'association.

Dans ce coin du Finistère nord, lourdement touché par les fermetures d'usines, la maladresse du ministre a déformé une réalité qui n'est pas propre à l'agroalimentaire ni aux abattoirs de Gad. « 7 % des Français souffrent d'illettrisme, soit 2,5 millions de personnes, rappelle Dominique Consille, chargée de mission de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme en Bretagne. La moitié des personnes illettrées ont un emploi, elles sont un peu plus nombreuses dans l'industrie et en milieu rural, il est donc logique qu'il y en ait chez Gad, même si la Bretagne, avec 3,1 %, a un des plus faibles taux d'illettrisme. »

Olivier Le Bras, ancien délégué FO, a travaillé pendant dix-neuf ans à l'abattoir de Lampaul-Guimiliau. Pour lui, il était quasiment impossible de détecter les difficultés. « A la chaîne, le travail était monotâche. Un ouvrier pouvait rester vingt, trente ans sans avoir à remplir un formulaire, et l'informatique était quasiment absente des ateliers », explique-t-il. Les plus en difficulté pouvaient aisément se débrouiller en regardant leurs voisins. Quelques pictogrammes permettaient aussi de s'en sortir sans se dévoiler.

Difficile donc de savoir quelle était l'ampleur du phénomène. « Lors de mes permanences aux comités d'entreprise, par exemple, je voyais bien qu'il y avait certaines personnes qui ne venaient jamais seules, qui ne remplissaient jamais les formulaires immédiatement, qui déployaient des stratagèmes par honte d'avouer leurs difficultés », poursuit M. Le Bras.

« LA HONTE ET LA DOULEUR »

En 2010, sous l'impulsion d'un nouveau directeur des ressources humaines, Gad avait mis en place sur la base du volontariat une formation pour la maîtrise des savoirs fondamentaux. L'initiative avait rencontré peu de succès. Moins d'une dizaine de salariés, sur les 889 qui travaillaient sur le site de Lampaul, se seraient manifestés.

Aujourd'hui, dans le cadre du plan de retour à l'emploi financé par l'Etat, la région et l'entreprise, 41 licenciés suivent ou ont suivi des modules de remise à niveau en écriture et en lecture. « Je ne suis pas spécialement effrayé par le niveau des ex-Gad », assure Jacqueline Héas, chargée du dossier Gad chez Altédia, un cabinet spécialisé dans l'accompagnement des restructurations. « Nous sommes dans des difficultés classiques que nous retrouvons dans des entreprises de production, avec une forte population ouvrière, peu diplômée mais qui, avec une moyenne d'âge de 42 ans, a dans sa grande majorité fréquenté l'école au moins jusqu'à 14 ans », poursuit Mme Héas.

« Les illettrés ne sont pas des incapables. Au contraire, ils ont mis en oeuvre beaucoup de stratégies pour accomplir leur travail sans être démasqués », explique Jean-René Mahé, ancien illettré qui a travaillé vingt-sept ans dans les abattoirs Tilly à Guerlesquin (Finistère), et qui a fondé après son licenciement l'association Addeski (« réapprendre » en breton), qui aide les adultes en difficulté. « Mais le licenciement les fragilise en faisant resurgir la honte et la douleur de ne pas être comme les autres. » Un handicap dans un contexte de reclassement difficile : au 4 septembre, seuls 85 salariés de Gad à Lampaul avaient retrouvé un CDI et 60 un CDD de plus de six mois.

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