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Emma you are next.
Le Monde.fr

Derrière les menaces contre Emma Watson, une opération marketing

Par , et
Publié le 24 septembre 2014 à 19h59, modifié le 26 septembre 2014 à 13h25

Temps de Lecture 5 min.

Les menaces proférées en ligne contre Emma Watson ont-elles été orchestrées dans le seul but de visibilité sur Internet ? C'est ce qui ressort des indices que nous avons récoltés après la mue du site « Emma you are next », qui menaçait de publier des photos volées d'Emma Watson après son discours à l'ONU.

La page avait fait parler d'elle en affichant un compte à rebours évoquant la publication prochaine de photos privées de l’actrice, pour la punir après sa prise de position pour promouvoir l'égalité hommes-femmes.

Le site s'est ensuite transformé, mercredi 24 septembre, pour dénoncer de telles pratiques, et lancer une campagne « stop4chan » destinée à obtenir la fermeture du gigantesque forum entièrement anonyme, et sur lequel, justement, ont été publiées, fin août, des premières photos volées de célébrités.

« Rejoignez-nous dans notre campagne pour faire fermer 4chan et empêcher d’autres photos privées d’être publiées. Aucune des femmes victimes ne mérite ça et ensemble nous pouvons faire changer les choses », affirme la nouvelle version du site, édité par « Rantic marketing », qui se dit « mandaté par des agents de stars ».

« Les récentes fuites de photos nues de stars ces deux derniers mois sont une violation de la vie privée et un signe clair qu’Internet doit être censuré. »

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Cette « déclaration de guerre » contre 4chan et l’appel à une « censure » du Web ont immédiatement déclenché de vives réactions. Sur 4chan d’abord, où les appels à la fermeture du site, relativement réguliers, sont d’ordinaire traités avec mépris.

De leurs côtés, les médias ayant consacré des articles aux menaces contre Emma Watson (notamment la BBC, le Guardian ou CNN, mais aussi Le Monde) se voient accusés d’être tombés dans le panneau d’une opération marketing orchestrée par des stars d’Hollywood. 

Rantic n’existe pas

Ceci semble pourtant loin d'être la vérité, tant cette campagne contre 4chan émane d'une entreprise des plus intriguantes. « Rantic Marketing » proclame, sur le site, avoir été fondée et être dirigée par un certain Brad Cockingham. Ce nom ne donne aucun résultat sérieux si l'on fait une recherche sur Google ou sur des réseaux sociaux comme Twitter, Facebook et LinkedIn – ce qui paraît pour le moins étrange pour le directeur d’une agence spécialisée dans le « marketing viral ».

Le seul compte Twitter lié à l’organisation – @RanticMarketing – n’a par ailleurs posté que onze messages depuis le 17 septembre. Et son nombre impressionnant d’abonnés (220 000) est composé à 85 % de faux comptes automatisés, selon le site Fakers.

Les scores de @RanticMarketing sur Fakers.

Plusieurs éléments techniques sur le nouveau site « EmmaYouAreNext » confortent ces doutes, avec plusieurs problèmes (liens qui ne marchent pas, adresses eronnées) dus à de bêtes erreurs de code qu’aucune entreprise sérieuse n’aurait pu commettre.

Sur une ancienne version du site de Rantic (sauvegardée par un journaliste du DailyDot), la « société » proclame enfin avoir travaillé avec la NASA, Sony, Universal, McDonalds, Warner Bros ou encore HBO. Mais encore une fois, aucun élément concret n'indique une collaboration entre Rantic et ces entreprises. Contactées par Le Monde, plusieurs de ces sociétés ont indiqué ne pas avoir connaissance de tels partenariats.

Au bout du compte, les seuls résultats concrets que fait remonter une recherche sur Internet relie la société à une affaire qui s'est déroulée fin août : le nom de Rantic apparaît bien dans plusieurs articles de la presse spécialisée, relayant la rumeur d'une possible annulation de la version PC de GTA V, très attendue par les joueurs.

« Tout ça, c'est pour l'argent »

Cette rumeur est apparue pour la première fois sur Fox Weekly. Le portail, qui se présente comme un site d’information, s'appuie pour fonder cette prétendue information sur une interview d’un « président » de Rantic Marketing (répondant cette fois au nom de John Hoffenberg) qui prétend travailler sur le projet GTA V. Mais rapidement Rockstar, l’éditeur de GTA, oppose un démenti. En représailles à ces fausses informations, le site de Rantic est alors victime d’un piratage, revendiqué par 4chan.

Ce n'est pas le seul cas dans lequel les créateurs de Fox Weekly se font remarquer dans l'art de la diffusion de fausses informations, à des fins purement mercantiles. Le Daily Dot date la création du site au 4 mars, et relate plusieurs exemples de manipulations ayant pris appui sur des intox publiées sur ce site. Coïncidence : Fox Weekly est également le premier site à avoir parlé d'« Emma you are next », ce dès le 21 septembre, le jour du discours d’Emma Watson aux Nations unies.

Le Daily Dot a pu prouver que les créateurs de Fox Weekly étaient également derrière SocialVEVO, une organisation aussi connue sous le nom de Swenzy. Ce « service » s'est fait connaître en ayant réussi plusieurs fois à générer des phénomènes viraux – comme la mort annoncée d'un personnage des Griffin ou des prétendues découvertes de la NASA – fondées sur des intox.

« Tout ça, c'est pour l'argent », explique le Daily Dot. Diffuser ces fausses informations a permis à SocialVEVO / Swenzy de générer énormément de trafic, tweets, « J'aime » sur les sites qu'ils avaient mis en place, afin d'en tirer des revenus publicitaires, ou démontrer leur savoir-faire en terme de viralité. Swenzy est ainsi cité dans un article du New York Times décrivant un véritable « marché de l'influence » en ligne.

Ce souci de la viralité est manifeste sur la dernière version du site « EmmaYouAreNext » : « l'agence » Rantic se vante d'avoir, avec la première version du compte à rebours au terme duquel étaient censées être publiées des photos volées d'Emma Watson, atteint « 48 millions de visiteurs uniques, 7 millions d'actions Facebook et 3 millions de mentions sur Twitter ».

Sur le site "Emma You Are Next".

Le plan promo d’un jeune artiste ?

Face à tant d'éléments troublants, des centaines d’internautes se sont lancés dans une « chasse à l’homme » pour tenter de retrouver la ou les personnes suspectées d'avoir mis en place les sites d'EmmaYouAreNext, Rantic et Fox Weekly. Alors que plusieurs théories accusaient des membres de 4chan ou des militants féministes d'avoir élaboré le faux site de menace contre Emma Watson, la mise en place du site semble plutôt avoir été l'œuvre d'un individu isolé.

Nos propres recherches font en effet apparaître le rôle central que semble avoir joué un jeune chanteur de hip-hop, qui prévoit de lancer un album fin 2014. Avant d'être une « agence marketing », le nom de Rantic était en effet celui d'un label indépendant. Parmi les artistes s'en réclamant, figure un rappeur de Miami. Encore inconnu du grand public, l'artiste a fait l'objet d'un seul article de presse – publié sur Fox Weekly. Un site sur lequel son nom est listé parmi les contributeurs réguliers. Il a utilisé l'un de ses pseudonymes – lié à son groupe de musique – sur plusieurs sites ou pages liés à Rantic.

Le jeune artiste sait utiliser ses compétences en « marketing viral » de manière douteuse : sa chaîne YouTube, où seules deux vidéos sont publiées, cumule plusieurs millions de vues pour chaque clip. Des visites « fantômes » achetées – ce dont il se vante sur un forum spécialisé.

Comme le résume le premier message publié sur le compte Twitter de Rantic, « certains disent que la viralité est imprévisible. Nous, nous avons la recette. »

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