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Hermès, les messagers de l’Internet libre

Une bande de techno-activistes italiens, jusque-là très discrète, est en train de s’imposer comme l’un des leaders de la mouvance européenne de l’Internet libre.

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Publié le 17 octobre 2014 à 13h04, modifié le 19 août 2019 à 14h33

Temps de Lecture 5 min.

Le logo de GlobalLeaks.

Son nom officiel, Centre Hermès pour la transparence et les droits humains numériques, est très classique, presque « tradi ». Mais en fait cette fondation regroupe une bande de geeks et de militants de l’Internet libre assez radicaux, et très innovants.

Le président d’Hermès, Fabio Pietrosanti, explique que sa création fut très facile : « Le mouvement existait déjà en Italie, sous une forme informelle et dispersée. En 2011, nous l’avons simplement regroupé, au moins virtuellement, afin de travailler ensemble plus efficacement. »

Hermès s’est fait connaître en Europe dès 2012, avec GlobaLeaks : un site Internet chiffré permettant à des lanceurs d’alerte d’envoyer des documents confidentiels à des journalistes, puis de dialoguer en direct avec eux, tout en restant anonymes et intraçables. GlobalLeaks fonctionne grâce à l’intégration de plusieurs systèmes préexistants, dont TOR (pour The Onion Router), réseau mondial de serveurs chiffrés permettant de circuler sur le Net sans laisser de traces, et Tails, un système d’exploitation « amnésifère » permettant de faire fonctionner un ordinateur sans qu’il se souvienne de rien : même s’il est saisi ou volé, l’appareil ne livrera aucun secret.

Fabio Pietrosanti.

 

GlobaLeaks a déjà été adopté par des journalistes de plusieurs pays européens, jusqu’en Serbie. La plus grande plateforme à ce jour est celle des Pays-Bas : baptisée PubLeaks, elle regroupe une cinquantaine de journaux, magazines, radios et télévisions, et a déjà permis de dévoiler plusieurs scandales politiques et financiers.

Outils pour lanceurs d’alerte

Grâce à l’aide logistique et financière d’ONG comme Amnesty International et Transparency International , GlobaLeaks commence à s’installer dans les pays du Sud — Afrique, Asie du Sud, Amérique latine : « Dans certains pays, explique Fabio Pietrosanti, tous les médias sont contrôlés par l’Etat, nous travaillons avec des associations indépendantes, c’est compliqué. Tant que tout n’est pas en place, nous préférons ne pas donner de détails. »

En outre, certaines ONG utilisent GlobaLeaks pour leur propre compte — par exemple le site WildLeaks, créé par des militants américains, néerlandais et sud-africains, et spécialisé dans « la dénonciation des crimes contre la faune sauvage et les forêts ». A noter aussi une initiative très italienne : MafiaLeaks, gérée par un groupe d’informaticiens forcément anonymes, destinée aux lanceurs d’alerte courageux, mais aussi aux repentis.

A ce jour, le Centre Hermès a seulement deux employés à plein-temps et cinq à mi-temps, mais elle peut compter sur un solide réseau de plusieurs dizaines de bénévoles — informaticiens, juristes, universitaires… Jusqu’à présent, ses responsables n’ont pas jugé utile d’avoir des bureaux fixes. Ils habitent Milan, Rome ou Florence, déménagent souvent, et travaillent ensemble sur Internet. L’un des créateurs de GlobaLeaks, Claudio Agosti, vient de s’installer à Berlin. Tout en restant actif au sein d’Hermès, il travaille pour l’association allemande Tactical Technology Collective, qui favorise « l’usage des technologies de l’information par les organisations militantes ». « En cas de besoin, explique Fabio Pietrosanti, nous empruntons des locaux à nos partenaires, des médias ou des ONG. Nous circulons beaucoup en Europe. »

Un ancien immeuble de la Mafia

Cela dit, en 2015, Hermès va peut-être avoir enfin pignon sur rue, dans le centre de Rome : « Nous envisageons d’occuper un immeuble qui appartenait à la Mafia, et qui a été saisi par la justice. L’Etat ne peut pas revendre ces bâtiments, car la Mafia les rachèterait aussitôt… Alors, il les prête gratuitement à des associations d’aide sociale et des ONG. »

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Côté finances, Hermès reçoit de l’argent d’une quinzaine d’organisations, dont l’une peut étonner certains militants : l’Open Technology Fund (OTF), basée à Washington et subventionnée par Radio Free Asia, elle-même financée par le gouvernement américain. OTF a pour mission de « soutenir la liberté sur Internet », à travers des initiatives « développant des technologies ouvertes et accessibles ». Fabio Pietrosanti n’y voit aucune contradiction avec ses principes : « OTF soutient aussi TOR », par ailleurs très mal vu par certaines agences fédérales américaines ; « leur argent nous sert uniquement pour notre recherche-développement ». Pour son action dans les pays les plus pauvres, Hermès s’appuie aussi sur la Fondation Hivos, en partie subventionnée par l’Etat néerlandais.

Grâce à ces fonds diversifiés, Hermès a pu adopter un mode de fonctionnement très souple, que Claudio Agosti résume ainsi : « Quand nos partenaires ont de l’argent, nous les faisons payer. Quand ils n’en ont pas, tant pis, ce n’est pas grave. » Hermès a ainsi pu lancer plusieurs nouveaux projets. Le plus abouti à ce jour est Ahmia.fi, un moteur de recherche qui va fouiller le deep web, le « web caché », c’est-à-dire principalement les sites hébergés par des serveurs TOR (noms de domaine .onion). Pour cela, les Italiens ont adopté dans leur bande le concepteur initial du projet, Juha Nurmi, un ingénieur finlandais de 26 ans, qui se définit comme « crypto-anarchiste libertaire » et « intégriste de Linux ». Ces sites de « publication anonyme » permettent à leurs auteurs de cacher leur identité, mais il y a aussi un désavantage : seuls les initiés connaissent leur existence.

Grâce à Ahmia, le grand public peut accéder au web caché, où se mêlent le meilleur et le pire : sites de militants des droits de l’homme dans des pays dictatoriaux, sites de vente de drogue et d’armes à feu, sites érotiques de toutes sortes… Ahmia bannit de ses résultats une seule catégorie : les contenus pédophiles. Pour créer un moteur efficace, Juha Nurmi a dû résoudre des problèmes inédits, car il y a peu de liens croisés entre les sites de l’Internet caché, et que beaucoup changent d’adresse fréquemment. D’ailleurs, de nombreux sites, particulièrement secrets, continuent à échapper à son moteur.

La passerelle entre l’Internet ouvert et les serveurs TOR est assurée par le système Tor2Web : « Au début, rappelle Fabio Pietrosanti, le logiciel de Tor2Web a été développé par Aaron Swartz », célèbre militant américain de l’Internet libre. Aaron Swartz se suicida en janvier 2013, à l’âge de 26 ans, alors qu’il était poursuivi par la justice pour avoir téléchargé en masse des articles scientifiques en libre accès ; « après la mort d’Aaron, nous avons repris son travail, et nous l’avons terminé ». Attention : Tor2Web protège l’anonymat des auteurs du site, mais pas celui des visiteurs.

D’autres projets sont en cours. Fabio, Claudio et leurs amis devraient les annoncer à la fin de décembre au Congrès du Chaos Computer Club (CCC) allemand, le plus grand rassemblement de hackers européens, qui a lieu chaque année à Hambourg, pendant quatre jours et quatre nuits. Là-bas, ils n’ont plus besoin de se présenter, ce sont déjà des célébrités.

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