Syrie : la lutte contre les djhadistes doit-elle prendre le chemin de Damas ?

Syrie : la lutte contre les djhadistes doit-elle prendre le chemin de Damas ?

Faut-il remettre Bachar el-Assad dans le jeu pour affronter les djihadistes de l’Etat islamique autoproclamé ? La question est posée de manière sous-jacente par les incohérences de la coalition internationale dirigée par les...

Par Pierre Haski
· Publié le · Mis à jour le
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Bachar el-Assad (centre) participe à la prière de l'Aïd al-Adha, le 4 octobre 2014 à Damas
Bachar el-Assad (centre) participe à la prière de l’Aïd al-Adha, le 4 octobre 2014 à Damas - AP/SIPA

Faut-il remettre Bachar el-Assad dans le jeu pour affronter les djihadistes de l’Etat islamique autoproclamé ? La question est posée de manière sous-jacente par les incohérences de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis contre les djihadistes en Syrie et en Irak.

Un expert français de politique internationale formulait – en privé – une analogie détonante :

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« Nous sommes en 1940, nous nous allions à Staline contre Hitler, bien que Staline ait tué plus de monde que Hitler. »

Une manière de dire que Bachar el-Assad est certes responsable de plus de 200 000 morts, plusieurs millions de réfugiés et déplacés, mais qu’il a montré plus de résilience que prévu, et qu’il devient important d’élargir le soutien à la coalition à la Russie, protectrice de Damas.

Chantage à l’ambassade

Les opposants à ce virage à 180 degrés sont nombreux, qui crient au cynisme et à une insupportable immoralité dans l’idée même de s’allier au « Boucher de Damas », héritier d’une dynastie de dictateurs.

En France, le débat est apparu avec les informations dans la presse faisant état de tentatives de contacts entre les services secrets français et leurs homologues syriens, dans le but de réactiver des canaux d’information sur les djihadistes français qui se battent sur le sol syrien et qui seraient tentés de revenir commettre des attentats en France.

Selon ces informations – démenties à l’Elysée –, les Syriens auraient refusé leur coopération, fort utile par le passé, tant qu’il n’y aurait pas d’ambassade de France à Damas. Celle-ci est fermée depuis que la France a reconnu l’opposition comme seule représentant du peuple syrien.

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Dans « Les Chemins de Damas »


« Les Chemins de Damas » de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, éd. Robert Laffont, octobre 2014

Le débat est sous-jacent, également, avec la sortie en France d’un livre de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, deux journalistes qui connaissent bien la région et conservent un accès à Damas. Accès parfois controversé comme lorsque Malbrunot a effectué une interview de Bachar el-Assad pour le Figaro, entourée d’une mise en scène syrienne qui en faisait une gigantesque opération de propagande du régime.

Dans leur livre, « Les Chemins de Damas - le dossier noir de la relation franco-syrienne » (éd. Robert Laffont), les deux auteurs se livrent à une démolition en règle de la politique française en Syrie, qui a totalement sous-estimé la résilience du régime de Damas en misant sur une « théorie des dominos » (la Syrie après la Tunisie et l’Egypte...), et s’est enfermée dans un tête-à-tête avec une opposition décrédibilisée et divisée.

Paradoxalement, cette politique erronée, selon eux, a débuté sous Nicolas Sarkozy, avec Alain Juppé à la manœuvre, qui ne voulait pas « rater » la Syrie après le « loupé » tunisien, et s’est poursuivie inchangée sous François Hollande, avec cette fois Laurent Fabius à la tête de la diplomatie, par aveuglement néo-conservateur.

Le livre ne manque pas d’arguments, et d’anecdotes comme celles qui concernent Eric Chevallier, un proche de Bernard Kouchner, ambassadeur de France à Damas au moment du soulèvement du printemps 2011, et qui a mis en garde Paris sur la solidité du régime Assad, avant de faire volte-face pour s’aligner sur le clan faucon qui dictait la politique à Paris (puis d’être nommé ambassadeur... au Qatar).

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Une réhabilitation du régime syrien ?

Mais il ressemble fort à une tentative de réhabilitation du régime syrien, certes répressif et autoritaire, mais qui vaudrait mieux que ses opposants djihadistes qui se sont imposés au fil du temps comme la principale force d’opposition. Les auteurs écrivent d’ailleurs qu’ils n’ont « pas cru à la stratégie de confrontation directe avec Damas choisie par Paris ».

Ils n’hésitent pas à écrire en conclusion que « l’urgence est telle que la reprise d’une coopération sécuritaire entre les Etats-Unis et la Syrie n’est pas à exclure », et à accuser la France de ne pas être pour rien dans la « somalisation » croissante de la Syrie.

Le livre met assurément en lumière certaines contradictions françaises – fermeture de l’ambassade alors que la France reconnaît les Etats, pas les gouvernements, surestimation de l’opposition démocratique –, mais est trop à charge, en se fondant sur des sources in fine favorables à Assad et au statu quo, pour être convaincant.

En ordre dispersé

Mais il illustre bien les incohérences de la coalition internationale contre les djihadistes de l’EI, qui avancent en ordre dispersé :

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  • ainsi, les Etats-Unis mènent des frappes aériennes en territoire syrien, notamment contre les combattants djihadistes qui cherchent à conquérir l’enclave kurde de Kobane, à la frontière turque ;
  • mais la France, son alliée, ne bombarde les djihadistes qu’en Irak et refuse d’agir sur le sol syrien autrement qu’en armant les opposants dits modérés ;
  • enfin, la Turquie, principale armée de la région, a certes rejoint la coalition, mais est restée passive face à la bataille de Kobane, sans doute en raison des liens des défenseurs kurdes de l’enclave avec le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, avec lequel les relations sont au bord de la rupture. Ankara est prête à entrer dans la guerre, à condition que l’objectif en soit aussi la chute d’Assad.

Ces contradictions ne seront pas aisées à surmonter. D’autant que se dessine en arrière-plan la « question russe ». Certains imaginent une « sortie par le haut » en faisant une place à la Russie, l’occasion de dépasser la crise ukrainienne et la nouvelle guerre froide du moment, et de remettre en route le Conseil de sécurité de l’ONU, paralysé sur la Syrie depuis 2011 du fait du veto russe.

Mais ramener la Russie signifie protéger le régime de Damas, sinon Bachar el-Assad lui-même (certains responsables français espèrent encore que Moscou fait la différence entre les deux).

Qui est prêt à payer ce prix-là ? Qui est prêt à dire aux familles des 200 000 morts syriens des trois dernières années qu’ils sont morts pour rien, et que le dictateur contre lequel de très nombreux Syriens se sont dressés va devenir leur allié contre un ennemi encore plus cruel ? Ce discours-là sera difficile à tenir.

Pierre Haski
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