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Le monde désenchanté de Paul McCarthy - Interview

Paul McCarthy dans ses oeuvres
Paul McCarthy dans ses oeuvres © Sébastien Micke
Un entretien avec Benjamin Locoge

Dans les sixties, ses  performances ont fait de lui l’un des artistes les plus  provocants qui soient. Mais il était loin de se douter ­qu’aujourd’hui il se ferait agresser à Paris et que sa sculpture « Tree » serait ­vandalisée.  Au moment où nous l’avons rencontré à  Los Angeles, McCarthy était simplement fier d’être une vedette de la Fiac.

Les puristes vous parlent de lui avec émotion. Il fut un temps où, devant une cinquantaine de spectateurs, Paul McCarthy à moitié nu tentait d’aller le plus loin possible dans l’expression du dégoût. Entre jet de ketchup et invectives au public, il fut le roi de la provocation trash, interrogeant, au fond, la notion d’artiste. « La performance ne se terminait que lorsque les gens quittaient la salle, écœurés par ce qu’ils voyaient. » Depuis plus de trente ans, l’homme s’est concentré sur ses sculptures et ses installations, rappelant régulièrement que l’art sert à interroger, comme lorsqu’il crée une Fabrique de chocolat au cœur de la Monnaie de Paris. Il nous reçoit dans l’un de ses immenses ateliers de la banlieue de Los Angeles, où il entrepose ses œuvres les plus monumentales et les plus sulfureuses. Mais, à croire qu’en France, l’audace ne paie pas. Frappé au visage jeudi 16 octobre par un inconnu, alors qu’il finissait d’installer « Tree » place Vendôme, McCarthy a préféré renoncer et dégonfler définitivement la statue qui avait été saccagée dans la nuit de vendredi à samedi. Dommage pour un artiste dont l’ambition n’est pas tant de choquer que de nous faire réfléchir.

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« Acquérir pour plusieurs millions de dollars une de mes œuvres n’est pas plus absurde que tout ce que la société nous propose d’acheter »

Paris Match. En quoi consiste cette « Chocolate Factory » que vous installez à la Monnaie de Paris ?
Paul McCarthy. J’en ai déjà présenté une version à New York il y a sept ans. J’utilise le chocolat, comme le ketchup, la mayonnaise ou la nourriture dans mes pièces depuis longtemps. Ce sont des couleurs fortes, qui sont aussi des réminiscences des fluides du corps. On m’a demandé de créer une œuvre pour la World Fair de Francfort il y a quelques années. Ils s’attendaient à un nombre incroyable de spectateurs, genre 6 millions. Et je leur ai dit : “Pourquoi est-ce que je ne produirais pas un bonbon pour l’occasion, qui pourrait aussi être une sculpture ? Ça ferait ­combien d’argent tout ça ?” Mais l’affaire ne s’est pas faite, car toutes les concessions étaient détenues par une seule compagnie qui voyait cela d’un mauvais œil. J’ai eu beau argumenter que c’était avant tout une sculpture, ils ne voulaient pas me laisser ­exploiter les bénéfices de la vente. L’idée d’une usine était néanmoins restée dans un coin de ma tête.

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Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce projet ?
La production en grand nombre, le fait qu’une usine soit installée dans un lieu qui a priori n’est pas fait pour ça. Quand j’ai monté l’usine à New York, nous avons produit près de 17 000 figurines. Et nous les avons toutes vendues. Mais au final je suis juste rentré dans mes frais, j’ai dû gagner 60 dollars. Maintenant, la question est : les gens ont-ils acheté la figurine pour la manger ou pour la garder ? Je me garde bien de prendre part à ce débat et, dans le fond, je m’en fiche. A Paris, je connaissais la Monnaie et je trouvais que c’était un geste assez fort de monter ma Fabrique là-bas, dans la plus vieille usine de France. Et je tenais aussi à sortir dehors, c’est pour cela que j’ai également installé un immense objet gonflable [un arbre géant] place Vendôme. Je voulais marquer Paris d’une image forte.

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Vous voulez montrer l’ironie du monde dans lequel nous vivons ?
Pas seulement. Ce qui m’intéresse ici précisément, c’est ­d’investir un bâtiment mythique, qui possède une histoire, qui évoque le passé grandiloquent de la France, sa fierté aussi.

L’œuvre ne prend pas la même signification d’un pays à un autre ?
Aux Etats-Unis, elle ne s’inscrit pas dans le même contexte. A la création de la Monnaie de Paris, les Etats-Unis n’existaient pas…

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Quoi qu’il arrive, votre Fabrique de chocolat ne peut être vue que par peu de gens à la fois. Est-ce votre manière de concevoir l’art : seulement pour les initiés ?
Je ne force pas la curiosité des gens, je la suscite. En ­franchissant la porte pour accéder à l’une de mes œuvres, vous ­entrez dans un monde inconnu, vous ne savez pas ce que vous allez y trouver. Mais non, je ne crois pas que ce ne soit que pour les initiés...

Qu’est-ce qui vous intéresse le plus : créer ou voir la réaction des gens ?
Les réactions des gens ne sont pas ce qu’il y a de plus intéressant, elles sont souvent si binaires… Pour moi, créer, imaginer, faire, réaliser, et surtout agir de manière publique est ce qui compte. Alors oui, j’aime travailler, mais j’aime aussi que le résultat soit vu… Mon job ne consiste pas ensuite à analyser ce que les gens en pensent.

"Je n'ai jamais vu les performances artistiques comme une thérapie !"

Sauf qu’à l’époque où vous donniez des performances, si le public n’était pas venu, vous n’auriez intéressé personne…
Quand vous faites de l’art, comme je le conçois, vous participez à une histoire, à un dialogue avec des vivants ou des morts. Et tout ce que je fais est simplement une partie de ce dialogue. Les gens avec qui je travaille, certains de mes amis artistes entretiennent cette conversation. Et elle m’est très précieuse. Quand on parle de vous comme une référence, c’est le moment où vous devez vous interroger sur la notion d’artiste. La finalité n’était pas, pour moi, d’en arriver là. Et c’est pourtant ce qu’il s’est passé.

Dans les années 1970, aviez-vous la même approche ?
Bien sûr. On ramène souvent mes ébats à une volonté de choquer. Mais les gens se trompent. Ces performances n’étaient pas destinées à un large public. Les gens qui y assistaient étaient très au fait de ce qu’il se passe dans le monde de l’art. Une fois encore, je ne faisais qu’entamer la discussion, certes underground, mais c’était déjà la question du dialogue qui me passionnait. C’était plus compliqué qu’une simple provocation.

"Je n’ai jamais été d’accord avec la politique de mon pays"

Que cherchiez-vous à prouver alors ?
Rien du tout. Cela avait beaucoup à voir aussi avec ma manière personnelle de me faire violence, pour avancer, pour voir jusqu’où je pouvais aller. Mais je n’ai jamais vu les performances artistiques comme une thérapie ! [Il rit.] En revanche, je sais combien elles ont changé mon comportement quotidien. Elles m’ont apporté une libération des conventions, une libération de la normalité.

Vous dénonciez déjà l’Amérique opulente. Etiez-vous en guerre avec votre pays ?
En guerre, non ! Mais je n’ai jamais été d’accord avec la politique de mon pays. Une partie de mon oeuvre peut être lue sous cet angle : je questionne les politiques, je leur demande des comptes. Mais la question est : “Qu’est devenue l’Amérique ?” L’Amérique, pour moi, c’est le privilège, et je crois hélas qu’on peut y inclure tout le monde occidental.

Votre situation n’est-elle pas en contradiction avec ce que vous dénoncez ? Vos oeuvres se vendent à des millions de dollars, vous possédez trois immenses ateliers à Los Angeles…
Je ne peux pas échapper à ces privilèges. Je possède même une voiture et un immeuble, si vous voulez tout savoir… Mais c’est effectivement la question la plus réelle qui soit.

Que pensez-vous des milliardaires qui achètent de l’art contemporain, parfois sans savoir pourquoi ?
La plupart des milliardaires savent ce qu’ils achètent. Enfin ceux que je connais… Ce sont des gens éclairés qui préfèrent acheter une oeuvre pour un million de dollars plutôt que donner cet argent à la recherche ou à l’éducation. C’est leur problème. Acheter une pièce n’est pas un acte plus absurde que la plupart des actes qui régissent notre quotidien : les vêtements que nous achetons, les voitures dont nous rêvons…

Mais les prix sont plus élevés…
Et alors ? Si vous comparez le prix d’une de mes oeuvres au coût d’un film, vous vous rendez vite compte que le coût de mon expression artistique est finalement assez modeste !

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