Publicité

Espagne : de la « crise Ebola » à la crise politique

La gestion confuse et mal coordonnée de l’alarme sanitaire à Madrid a été perçue comme la conséquence des coupes budgétaires des dernières années, et a attisé le ressentiment des Espagnols à l’égard du pouvoir.

0203888492022_web.jpg
En Espagne, la contagion de Teresa Romero a mis en lumière les défaillances d’un système mal coordonné et rongé par les coupes budgétaires

Par Gaëlle Lucas

Publié le 25 oct. 2014 à 10:25

Le lundi 6 octobre, était annoncé à Madrid le premier cas de contagion par le virus Ebola sur le sol européen, point de départ d’une crise sanitaire en passe de prendre une ampleur planétaire. Une aide-soignante de quarante-quatre ans, Teresa Romero, a été contaminée en s’occupant d’un des deux missionnaires espagnols malades, rapatriés d’Afrique en août et en septembre. Presque aussitôt, l’alerte sanitaire, mal contrôlée, a tourné à la crise politique, cristallisant la défiance des Espagnols vis-à-vis d’un pouvoir politique jugé attentiste et manquant d’empathie. Depuis, Teresa Romero a vaincu la maladie et la crise politique s’est apaisée, mais sa virulence a marqué les esprits.

Comment en est-on arrivé là ? Tout d’abord, les Espagnols ont constaté avec stupeur et indignation les dysfonctionnements d’un système de santé publique traditionnellement présenté en Espagne comme l’un des plus performants d’Europe. La contagion de Teresa Romero a mis en lumière les défaillances d’un système mal coordonné et rongé par les coupes budgétaires. Depuis 2012, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a en effet imposé une réduction des dépenses dans la santé publique, que les régions, qui sont responsables de cette compétence, ont dû appliquer.

La prise en charge de Teresa Romero s’est faite tardivement – une semaine après l’apparition des premiers symptômes –, et mal : avant son hospitalisation, l’aide-soignante, qui avait prévenu qu’elle avait été en contact avec Ebola, a passé une journée aux urgences, dans des conditions de sécurité insuffisantes, risquant ainsi de contaminer les autres patients présents. Un médecin urgentiste affirme que la combinaison de protection n’était pas à sa tailleet que le transfert de Teresa Romero vers l’hôpital Carlos III, spécialisé dans les maladies infectieuses et tropicales, n’a eu lieu que plusieurs heures après que les tests eurent confirmé sa contamination par le virus. Dès la révélation de la contagion, les personnels sanitaires ont d’ailleurs dénoncé le manque de matériel adapté et de formation pour faire face à la maladie.

Les installations aussi ont posé question. Pour réduire les coûts, l’hôpital Carlos III avait été fermé au printemps. « L’hôpital Carlos III a commencé à être transformé en centre d’hospitalisation de moyenne et longue durée, alors qu’aucun établissement pour le remplacer n’était prêt dans le pays ! », s’étrangle un porte-parole du syndicat de médecins et de diplômés supérieurs de Madrid (Amyts). L’hôpital madrilène a donc dû rouvrir en urgence en août, pour accueillir le premier religieux malade d’Ebola. « On aurait dit un hôpital de campagne », critique le porte-parole des médecins.

Publicité

A tort ou à raison, ces manquements matériels à répétition ont souvent été perçus dans l’opinion comme la preuve que les économies budgétaires sont imposées au mépris de la santé publique. La ­gestion gouvernementale de la ­situation a achevé de transformer l’urgence sanitaire en crise politique. Face à la maladie, le gouvernement a tardé à prendre la mesure de l’émotion populaire. Au cours des premiers jours, Mariano Rajoy s’est contenté de quelques paroles rassurantes. Sa ministre de la Santé, Ana Mato, a quant à elle paru dépassée par les événements. Alors que les Espagnols réclamaient une prise en main de la situation au plus haut niveau et la démission d’Ana Mato, l’attentisme gouvernemental n’a fait qu’alimenter la psychose ambiante.

Les critiques fusant de toutes parts ont finalement obligé l’exécutif à opérer un virage à 180 degrés. Il aura fallu attendre le 10 octobre, soit 4 jours après l’annonce de la contamination de Teresa Romero, pour que Mariano Rajoy monte au créneau. Ce jour-là, le Premier ministre se rend à l’hôpital Carlos III pour rendre hommage au personnel médical. Le gouvernement crée alors un comité interministériel pour gérer la crise. C’est la vice-Première ministre qui le préside, reléguant ainsi la ministre de la Santé au second plan. Depuis lors, des informations sur l’état de la patiente et des personnes en observation ont été communiquées quotidiennement. Un site Web informatif a été créé. Les protocoles de sécurité ont été renforcés. De ­nouvelles formations sont dispensées au personnel soignant. Aujourd’hui, Teresa Romero est donc guérie, quoique toujours en isolement. L’urgence sanitaire passée, le gouvernement peut pousser un ouf de soulagement.

Néanmoins, cette séquence constitue pour lui un sérieux avertissement, à un an des élections législatives. Cette crise sanitaire et politique « est venue couronner le pire moment politique de la législature avec le discrédit absolu des institutions provoqué par le scandale des “cartes opaques” de Caja Madrid et Bankia », estime le quotidien « El Mundo ». En effet, les tensions politiques liées à Ebola ont été exacerbées par l’éclatement, en parallèle, d’une affaire de possible détournement de fonds, qui éclabousse les anciens membres du conseil de la banque nationalisée Bankia, issus de partis ­politiques, syndicats et autres institutions. Le scandale a entraîné des démissions en chaîne au sein des institutions concernées, sans parvenir à faire taire les critiques.

De quoi nourrir un peu plus l’amertume des Espagnols vis-à-vis d’une classe dirigeante jugée cynique et corrompue. Six ans après l’éclatement de la crise, et alors que la reprise est à peine perceptible sur le terrain, les Espagnols et leurs institutions sont en instance de divorce.

Par Gaelle Lucas, correspondante à Madrid

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

qfkr8v3-O.jpg

La baisse de la natalité est-elle vraiment un problème ?

Publicité