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Lutte contre la corruption internationale : le retard de la France menace ses entreprises

Alors que Berlin (Allemagne) accueille les 28 et 29 octobre le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales organisé par l’OCDE, Vincent Béglé et Stéphane Bonifassi, avocats au barreau de Paris, notent les efforts qu’il reste à faire par la France concernant l’application de sanctions dissuasives.

Publié le 28 octobre 2014 à 12h08, modifié le 19 août 2019 à 14h28 Temps de Lecture 4 min.

Page d'accueil du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales organisé par l'OCDE (capture d'écran).

Depuis près de dix ans, dans le sillage du formidable travail de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la dynamique mondiale anti-corruption est en forte expansion. Cette transformation de l’économie et du droit n’en est qu’à ses prémisses.

Ce développement est exponentiel et irrépressible. La France est signataire la de convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption internationale – celle qui est commise à l’étranger. Elle s’est ainsi soumise à un processus de surveillance par l’OCDE de la mise en application de cette convention par ses membres.

Il existe de très fortes disparités entre les États en matière de lutte contre la corruption. Il est possible d’évaluer et de comparer :

- L’ambition et la sophistication de leurs textes répressifs ;

- L’intensité de la mise en application de ces textes ;

- Le degré d’incitation à la prévention de la corruption. Si les textes répressifs français sont globalement sophistiqués, le caractère non-dissuasif des sanctions les rend inefficaces. Surtout, il est reproché à la France la faiblesse de l’application de ces textes – en particulier lorsque la corruption concerne des États ou des marchés étrangers. Enfin, concernant l’encouragement à la prévention au sein des entreprises, il est presque inexistant.

Des centaines de millions d’euros de condamnations

Le retard de la France dans ce domaine engendre un coût considérable pour les entreprises françaises, ce qui rend urgentes certaines mises à niveau. En effet, tant qu’une répression dissuasive ne sera pas mise en œuvre, ce sont les autorités ou régulateurs étrangers qui s’en chargeront.

Plusieurs groupes français ont commencé à devoir verser à ces autorités étrangères au total des centaines de millions d’euros au titre de condamnations - autant de perdu pour la France. De plus, les entreprises internationales doivent désormais démontrer la conformité (« compliance ») de leurs opérations, au risque de s’exposer à des sanctions supplémentaires (amendes pénales, exclusion des marchés et des financements publics, mise en quarantaine par les partenaires).

Faute d’une quelconque incitation en France, seuls de très rares groupes français s’y sont suffisamment préparés… pour y avoir été sensibilisés à l’étranger. La très grande majorité des entreprises françaises sont sous-équipées en matière de prévention. Ayant ainsi décroché des normes internationales, elles sont exposées à un réveil brutal et encore plus coûteux, notamment en termes de perte de marchés.

Si l’OCDE avait félicité en 1999 la transposition textuelle en droit français de la convention de l’OCDE (« phase 1 »), le rapport de 2004 sur son application (« phase 2 ») n’avait pas été élogieux. De sérieux doutes étaient relevés par l’OCDE quant à l’engagement réel de la France à lutter contre la corruption internationale et à imposer des sanctions dissuasives.

Absence de progrès réels

De nombreuses recommandations ont été formulées, avec l’espoir que les pouvoirs publics français démontreraient leurs progrès. Le rapport suivant de l’OCDE (« phase 3 ») devait évaluer le suivi de leurs recommandations.

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Publié en octobre 2012, cette étude approfondie a été de nouveau très critique Le rapport de phase 3 était négatif, car il constatait que presque rien n’avait changé en une quasi-décennie et que certains aspects (moyens et indépendance de la justice) s’étaient même dégradés.

La corruption sur sol national est (relativement) bien maîtrisée, mais les comportements à l’étranger ne sont pas sérieusement sanctionnés. Un rapport de suivi va être publié fin novembre 2014. Il sera à nouveau très critique comme l’annonce le communiqué de presse (inhabituel) de l’OCDE à ce sujet.

Ce qui tendrait à montrer que l’OCDE s’inquiète de l’absence de progrès réels en France. La France, comme d’autres pays ces dernières années, a été mise au pilori international pour son laxisme. Les précédents pays à avoir été sévèrement critiqués par l’OCDE (Suisse, Royaume Uni, Canada, etc.) ont modernisé leurs lois, déclenché de nombreuses enquêtes, encouragé les entreprises à développer la prévention interne sous peine de sanctions pénales.

Dans le sillage des lois américaine, anglaise, allemande, suisse

Plus de deux ans après la publication du rapport de phase trois (et en prévision du rapport de suivi), les rapports de l’OCDE doivent enfin être pris au sérieux par la France. Le gouvernement ne peut pas se contenter de propos lénifiants et de quelques modifications cosmétiques. La France doit aboutir à une réforme de fond, visant la législation, les moyens et les pratiques judiciaires ou administratives.

La loi du 6 décembre 2013 permet une augmentation du montant des amendes. Le Service central de prévention de la corruption (SCPC) a récemment remis son rapport annuel au premier ministre. On y parle, entre autres, de transformer le SCPC en référent pour les entreprises sur cette question, de nécessité pour les entreprises d’établir et de faire fonctionner des programmes de conformité sous peine de sanctions pénales.

Ces progrès doivent être clairement encouragés, ils vont dans la bonne direction. Espérons que les pouvoirs publics ont compris le message de cette dynamique internationale, incoercible, qui a déjà de nombreux effets pour les entreprises françaises - dans le sillage des lois américaine, anglaise, allemande, suisse ou des règles de la Banque mondiale.

C’est l’avis même des rares grands groupes français à la pointe dans la lutte anti-corruption. Il en va de notre santé morale, de notre image dans le monde et de la compétitivité de nos entreprises. Mais le temps passe, et passe, bien trop vite et si rien n’est fait nos entreprises en paieront le prix.

Vincent Béglé et Stéphane Bonifassi, avocats au barreau de Paris

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