8% des soutiens bancaires mondiaux au secteur du charbon seraient d’origine française. C’est ce que révèle un rapport des Amis de la Terre et de Bank Track intitulé "Charbon: l’argent sale des banques françaises". Ces associations, qui s’intéressent à la question depuis 10 ans, estiment que les banques françaises ont financé le secteur à hauteur de 30 milliards d’euros entre 2005 et avril 2014. Ce qui les place à la quatrième place des pays ayant le plus financé le charbon, après la Chine, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Au niveau mondial, ce sont 2 283 transactions financières pour plus de 373 milliards d’euros qui ont été recensées. Mais les données publiques étant encore incomplètes, "le total des soutiens des banques commerciales au charbon pourrait être au moins deux fois supérieur aux montants indiqués", estiment les auteurs de l’étude.
En France, une croissance de 218 % en 8 ans
Malgré les engagements volontaires de certaines banques concernant la lutte contre le changement climatique, au niveau mondial, le soutien des banques commerciales au charbon a crû de 361% entre 2005 et 2013. C’est surtout en Asie que le financement du charbon explose: l’étude mentionne une croissance de 8 037% entre 2005 et 2013 !
A l’échelle française, la hausse est moins effrayante, mais elle se chiffre tout de même à 218%. Contrairement au reste du monde, dans l’Hexagone, ces financements sont surtout effectués sous forme de prêts (59%) plutôt que par des émissions d’obligations ou d’actions sur les marchés financiers (41%).
Selon les Amis de la Terre, la question des obligations et actions est particulièrement importante. En effet, celles-ci sont vendues à d’autres investisseurs et à ce titre, ne demeurent pas dans les bilans des établissements bancaires. C’est pourquoi de nombreuses banques tendent à ne pas reconnaître leur responsabilité via ce type de produits.
Pour les Amis de la Terre, l’importance des émissions et des obligations dans le financement mondial de l’industrie du charbon (54%) montre au contraire qu’elles "jouent un rôle conséquent dans le développement des projets" et qu’elles ne doivent donc pas être ignorées par les banques dans leur politique de lutte contre le changement climatique.
Le double discours des banques
Les banques françaises les plus exposées (1) sont : BNP Paribas, qui représente à elle seule 52% des soutiens français au charbon, suivie par le Crédit Agricole et la Société Générale. Ces deux dernières comptent ensemble pour 41%. Si celles-ci ont reculé dans le classement général face à la montée des banques chinoises notamment, les montants qu’elles ont versés au secteur du charbon ont cependant augmenté entre 2005 et 2013.
Ces banques sont pourtant celles qui ont le plus communiqué et investi dans la lutte contre le changement climatique et le développement des énergies renouvelables. Ainsi, dans son rapport de responsabilité sociale et environnementale 2013, BNP Paribas déclare avoir "fait de la lutte contre le changement climatique l’axe prioritaire de sa responsabilité environnementale". La banque y précise d’ailleurs avoir débloqué 6,5 milliards d’euros de crédits pour des projets d’énergies renouvelables au 31 décembre 2013, avoir exclu la technique controversée du Moutain top removal (qui consiste à faire sauter le sommet des montagnes à l'explosif pour extraire le charbon) et refusé de participer au financement de certaines centrales au charbon (130 millions de tonnes de CO2 évité, selon la banque). "Notre politique sectorielle demeure l'une des plus restrictive parmi les banques commerciales", assure BNP Paribas.
Mais aucun chiffre n’est avancé sur ses investissements dans le charbon. Selon l’étude des Amis de la Terre, la banque aurait financé le charbon a minima à hauteur de 15,6 milliards d’euros entre 2005 et 2014. "Il n'est pas possible de calculer notre exposition au secteur charbon du fait de notre nomenclature interne qui ne sépare pas les différents types d’énergies, déclare de son côté le groupe bancaire. BNP Paribas a calculé le mix électrique financé par le Groupe au 31 décembre 2013 sur un échantillon représentant plus de 60% de l'exposition du Groupe au secteur des producteurs d'énergie. Cette étude montre que nous finançons un mix électrique reposant moins sur le charbon que celui du monde (source AIE) - il y représente 28% contre 41% au niveau mondial- et intégrant plus du double d'éolien et de solaire : 9% contre 4% à l'échelle mondiale."
Le risque carbone en embuscade
Le charbon est l’un des secteurs exposés au risque carbone dans la mesure où il génère 65% des émissions de gaz à effet de serre des énergies fossiles. C’est notamment ce que met au jour la Carbon Tracker Initiative (CTI) dans un rapport paru en septembre dernier et pour la première fois spécifiquement centré sur la question du charbon. Pour cette équipe d’experts et d’analystes sur la finance et l’énergie, près de 112 milliards de dollars des investissements futurs dans la production de charbon thermique (hors Chine) pourraient se transformer en "actifs bloqués" (stranded assets), particulièrement ceux en direction des projets géants, très demandeurs de capitaux et très contestés par les populations.
Selon la CTI, cela veut dire que ces actifs perdront de la valeur ou leur capacité à générer des profits ou un certain taux de rendement avant la fin de leur vie économique envisagée lors de la décision d’investissement, en raison des changements sur le marché et de la réglementation liée à la transition vers une économie bas carbone.
De fait, les projets miniers seront de moins en moins rentables: l’adoption de mesures environnementales encadrant les centrales au charbon aux Etats-Unis, en Europe, mais aussi en Chine, ainsi que la production de gaz de schiste aux Etats-Unis, a déstabilisé le marché et entraîné une chute du prix du charbon dans la plupart des pays. Tant et si bien que pour la CTI "les profits sur le charbon thermique (destiné principalement aux centrales électriques, NDLR) sont déjà difficiles à atteindre dans le marché actuel".
Une méthodologie contestée par les banques
L’étude sur laquelle repose le rapport des Amis de la Terre et Bank Track a été réalisée par Profundo, un organisme de recherche et de conseil économique. Elle est fondée sur l’analyse des activités de crédits, d’émissions d’obligations et des actions de 92 banques commerciales internationales en direction de 34 entreprises minières et 39 opérateurs de centrales entre 2005 et 2014, ainsi que 28 autres entreprises minières entre 2011 et avril 2014.
Ces entreprises sélectionnées représentent 52% de l’industrie minière du charbon et 53% de la production d’électricité à partir des centrales au charbon. BNP Paribas déplore cependant "un manque de transparence sur la méthodologie utilisée par Profundo et de nombreuses incohérences : une affectation à 100% de la responsabilité à l'établissement qui émet un titre (obligation/action) même s'il est ensuite revendu ; un double calcul à chaque fois qu'une entreprise se refinance (même quand il s'agit de baisser son exposition aux fossiles) et le manque de prise en compte des politiques de financement et d'investissement des banques avec le même traitement pour les centrales peu carbonnées que celles plus émettrices".
Parallèlement à ce rapport, Les Amis de la terre publient également un guide destiné à aider ceux qui le voudraient à choisir une nouvelle banque.
1) Elles financent notamment des projets contestés comme celui d’Alpha Coal en Australie ou des mines d’extraction utilisant la technique du "Moutain Top removal " aux Etats-Unis.
Actualisation : Le 5 décembre 2014, la Société générale a annoncé dans un tweet et un mail adressé aux associations environnementales son désengagement du projet Alpha Coal. "Dans le contexte du retard du projet, Société générale a décidé, en accord avec GVK-Hancock (créateur du projet, ndlr), de suspendre son mandat. La banque n’est donc plus impliquée dans le projet". Les Amis de la Terre, Attac, Bizi et Banktrack, qui menaient depuis des mois des actions contre la banque pour l’inciter à renoncer au projet, se félicitent de cette décision. Les associations déclarent cependant que "La pression internationale contre GVK-Hancock doit encore s'accentuer pour que ce projet climaticide ne voie jamais le jour" et que leurs actions contre les banques et multinationales impliquées dans le secteur du charbon et l’énergie fossile se poursuivront en 2015.