Le prix Goncourt 2015 bientôt attribué : consécration ou cadeau empoisonné ?

Critiques violentes, accusations d'imposture... Certains auteurs ont payé le prix fort de leur succès dans la plus renommée des récompenses littéraires.

Par Hubert Prolongeau

Publié le 05 novembre 2014 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h21

Sait-il, cet auteur que la félicité illuminera, ce mardi, à la sortie du restaurant Drouant, que son radieux sourire pourrait bientôt se changer en grimace ? Le prix Goncourt ne fait pas que des heureux. Certains des couronnés (Paule Constant, Pascal Lainé, Michel Host...) ne veulent plus s'exprimer sur le sujet tant la blessure est toujours vive. Pascal Lainé a toujours considéré que La Dentellière, millésime 1974, énorme succès prolongé au cinéma, était un de ses moins bons livres. Dans Sacré Goncourt, opuscule consacré à sa déconvenue, il accable cette « histoire à l'eau de rose dans laquelle je voulais atteindre un tel niveau de niaiserie qu'on ne saurait ne pas s'apercevoir de mon intention », et ne voit dans le prix qu'un rouage de la machine mercantile qui tue l'édition. Il a beaucoup écrit depuis, dans des genres très différents, mais aucun de ces robustes livres n'a réussi à concurrencer la minuscule Dentellière. Il aurait aimé être l'homme d'une oeuvre. Il n'est que celui d'un livre.

Le pire étant de passer pour un imposteur. Guy Mazeline, qui triompha contre Céline et Voyage au bout de la nuit, en 1932, se plaignait d'avoir ensuite dû passer sa vie à se justifier face aux journalistes de ce « vol ». Ce fut ­aussi le cas de Paule Constant, qui, en 1998, reçut le prix alors que chacun attendait Les Particules élémentaires, de Michel Houellebecq. Pascale Roze, elle, décrocha le Goncourt pour son premier roman, Le Chasseur Zéro, en 1996, face à Eduardo Manet, de l'écurie Grasset. Un conte de fées ? Non, car ce couronnement inattendu fut mal pris. « Ça a basculé le soir même. Laure Adler a incendié mon livre sur France culture avec une violence surprenante, et la presse a suivi. Avant, j'étais prometteuse. Après, j'étais une intrigante. » Son second roman, Ferraille, en souffrira : les critiques seront dures. « Naïvement, je ne m'y attendais pas. Cet effet s'est heureusement dissipé. Mais il y a fallu dix ans. »

« L'entrée d'un livre sur les listes ouvre une période de turbulences parfois difficile à supporter »

« C'est toujours bon pour un auteur d'être lu et reconnu, mais l'entrée d'un livre sur les listes ouvre une période de turbulences parfois difficile à supporter. Personne n'écrit de livres sans avoir le sentiment de ne pas avoir été compris, et le prix peut accentuer ce malentendu », affirme Jean-Marie Laclavetine, éditeur chez Gallimard. C'est arrivé à Frédérick Tristan, auteur confidentiel avant le prix qui, en 1983, couronna Les Egarés : « Quand je l'ai eu, beaucoup de mes lecteurs se sont dit “ça y est, c'est devenu une pute”. Il m'a fallu plusieurs livres pour les reconquérir. » Tout en reconnaissant ce que le prix lui a financièrement rapporté, il avoue sa lassitude de ce qui est « un événement social plus que littéraire. Les critiques ont été beaucoup plus dures pour les suivants. Je m'étais perdu à leurs yeux. Je n'étais plus l'auteur un peu rare qu'ils aimaient ». Jean Carrière, prix 1972 pour L'Epervier de Maheux, roman cévenol et triomphe commercial, a consacré un ouvrage à son calvaire : dans Le Prix d'un Goncourt, il écrit que le Goncourt est à la fois « l'agrandissement de sa propre existence aux yeux d'autrui » et « l'alourdissement de la présence d'autrui dans sa propre vie ». Le « sentiment d'étrangeté à soi » qu'il a créé a tué l'écrivain et plongé l'homme dans une dépression.

Laissons le mot de la fin à l'élégant Jean-Louis Bory, lauréat 1945 : « Le Goncourt a planté une date dans ma mémoire, comme une écharde. Depuis, je vieillis. »

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