TRANSPARENCE - Ce n'est pas un mais trois pavés dans la mare que vient de jeter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Dans un communiqué publié sur Twitter et mis en ligne sur son site Internet ce jeudi 13 novembre en milieu d'après-midi, l'instance de contrôle des déclarations de patrimoine et d'intérêts du monde politique révèle que trois parlementaires UMP détiendraient des avoirs à l'étranger "susceptibles de constituer des infractions pénales".
Sont visés les députés Bernard Brochand (Alpes-Maritimes), Lucien Degauchy (Oise) et le sénateur Bruno Sido (Haute-Marne). "Après instruction de chacun de leurs dossiers et recueil de leurs observations, la Haute Autorité estime qu’il existe, au regard des différents éléments dont elle a connaissance, un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations de situation patrimoniale, en raison notamment de l’omission d’avoirs détenus à l’étranger", affirme la Haute autorité.
En application de l’article 40 du code de procédure pénale, la Haute Autorité estime "nécessaire de porter ces faits, susceptibles de constituer des infractions pénales, à la connaissance du procureur de la République de Paris et lui a transmis l’ensemble des trois dossiers".
Au moins deux comptes en Suisse régularisés en 2013
Ce communiqué constitue une petite bombe après le scandale de l'affaire Cahuzac et les remous du cas Thévenoux qui ne manquera pas de relancer le débat fiévreux sur l'exemplarité fiscale de la classe politique.
Dans la foulée, le parquet de Paris a ouvert des enquêtes préliminaires sur les déclarations de patrimoine du Lucien Degauchy et le sénateur Bruno Sido pour lesquels des signalements ont été reçus vendredi dernier. Jeudi, le parquet a reçu un signalement similaire de la HATVP concernant le député UMP Bernard Brochand, au sujet duquel le ministère public n'avait pour l'heure pas pris de décision, a précisé cette source.
Contacté par Médiapart, le sénateur Bruno Sido a confirmé avoir détenu un compte en Suisse, qu'il a régularisé en 2013, année où l'affaire Cahuzac a éclaté. "De mémoire, j'ai payé 26.000 ou 28.000 euros de pénalités", explique-t-il au site d'investigation. S'il est désormais en règle avec le fisc, Bernard Sido n'est pas à l'abri de poursuites judiciaires pour avoir (délibérément ou pas) omis de mentionner l'existence de ce compte lors de ses précédentes déclarations.
Pour n'avoir pas déclaré de manière complète et sincère leur patrimoine, ces trois parlementaire peuvent être poursuivis et condamnés à des peines pouvant aller jusqu'à 45.000€ d'amende, 3 ans de prison et 10 ans d'inéligibilité.
Le député Lucien Degauchy avait lui aussi confirmé l'existence d'un compte en Suisse au journal Le Monde. Ce compte était domicilié à la banque cantonale de Genève (avant d'être transféré au Credit Suisse) et il n'a jamais été déclaré. "Dans mon esprit, cet argent n’était pas à moi. C’était un héritage, je n’ai d’ailleurs jamais versé un centime dessus. En 1981, au moment où Mitterrand faisait peur à tous les commerçants, mon père, maraîcher, avait ouvert un compte grâce à un ami banquier et l’avait mis à mon nom, en me faisant promettre que cet argent ne servirait qu’à mes enfants en cas de besoin. Il y avait 100.000 euros dessus", expliquait alors l'élu UMP au Monde.
Quant à l'ancien maire de Cannes Bernard Brochand, il détiendrait des avoirs en Suisse selon Mediapart mais n'a pas encore confirmé l'information ni fait savoir si sa situation était régularisée. Mais selon L'Express, c'est lui qui détiendrait l'actif le plus lourd: son "compte en Suisse aurait été ouvert il y a une quarantaine d'années et son solde dépasserait le million d'euros", croit savoir le site internet du magazine.
"J'avais un compte à l'étranger, déclaré en France, avec des impôts payés en France. Des dépôts d'argent gagnés par mon travail (...) effectués sur ce compte, dans les années 70, ont été soumis à l'impôt français. Ma situation est donc claire, légale, et honnête", a-t-il démenti auprès de l'AFP.
Jusqu'à 60 parlementaires en délicatesse avec le fisc
Ces trois parlementaires sont-ils les seuls en délicatesse avec l'administration fiscale? On peut en douter. Récemment, Le Canard Enchaîné révélait qu'une soixantaine d'entre eux étaient dans le collimateur du fisc. Selon l'hebdomadaire satirique, une frange non-négligeable des 925 députés et sénateurs aurait été épinglée pour des délits allant "du petit différend au gros redressement (...) en passant par la 'phobie administrative' façon Thomas Thévenoud", le secrétaire d'Etat débarqué au bout de neuf jours pour ne pas avoir payé ses impôts pendant plusieurs années.
L'hebdomadaire affirme que les parlementaires concernés sont actuellement invités par les services fiscaux à se mettre en conformité avec la loi, comme cela avait été le cas pour le secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, rappelé à l'ordre fin juin par la HATVP pour avoir sous-évalué son patrimoine.
Pas question pour autant de jeter l'opprobre sur l'ensemble de la classe politique, insiste la Haute autorité. "Je déplore que soient livrées des informations partielles –à supposer qu’elles s’avèrent exactes– et qui entretiennent une suspicion malsaine à l'égard des élus et des parlementaires", avait réagi son président , Jean-Louis Nadal, dans une déclaration à l'AFP, après l'article du Canard. Ce jeudi, le président de l'Assemblée nationale a justement exigé que la HATVP fasse le nécessaire pour éviter les fuites dans la presse.
Le président de la Haute autorité "considère que la communication autour d’éléments protégés par la loi contribue à fragiliser le travail de la Haute autorité, que nous essayons d’accomplir le plus sereinement et le plus sérieusement possible".
Ces politiques épinglés par la Haute autorité
Cette annonce constitue un nouveau coup d'éclat de la HATVP . En dépit de ses moyens limités, cette instance indépendante démontre qu'elle sait se montrer à la hauteur de sa mission en combattant l'opacité de certaines pratiques politiciennes.
Créée dans la foulée de l'affaire Cahuzac et présidée par le magistrat Jean-Louis Nadal, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique reçoit et contrôle les déclarations de patrimoine et d'intérêts de nombreux dirigeants politiques (notamment membres du gouvernement, du Parlement, présidents et vice-présidents des exécutifs locaux, membres des cabinets ministériel, collaborateurs de l'Elysée).
Signe des temps, la création de cette instance de contrôle est saluée par l'opinion comme une des meilleures réalisations de François Hollande pendant la première moitié de son quinquennat, selon un sondage YouGov pour Le HuffPost et Itélé.
Si certains reponsables politiques s'opposent à "la dictature de la transparence" qu'elle est censée incarner, la Haute autorité peut déjà revendiquer plusieurs succès. Elle a notamment "parfaitement fonctionné pour le cas de M. Thévenoud", avait déclaré François Hollande le 18 septembre en référence à la démission express de l'éphémère secrétaire d'Etat en raison de problèmes fiscaux mis en évidence par la HATVP. C'est encore elle qui a épinglé le secrétaire d'Etat en charge des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, pour avoir sous-évalué la valeur de son patrimoine. La HATVP avait également exprimé ses doutes sur les déclarations de patrimoine de l'ancienne ministre Yamina Benguigui, entraînant l'ouverture d'une enquête préliminaire.
Peu avant sa création, une partie de l'opposition UMP estimait que les lois d'octobre 2013, dont celle créant la HATVP, étaient insuffisantes pour prévenir une nouvelle affaire Cahuzac. Le communiqué de ce jour apporte un premier démenti.