Petit lexique de la jeunesse engagée en 2014

Non, les jeunes ne sont pas indifférents. L'actualité récente l'a dramatiquement rappelé. Panorama des causes qu’ils défendent et des nouvelles formes de leur engagement.

Par Olivier Tesquet, Weronika Zarachowicz

Publié le 10 novembre 2014 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h21

On la dit narcissique, impatiente, infidèle et ultra connectée. Bref, la génération Y ou Z (autrement dit, « les jeunes » d'aujourd'hui) traîne ses chariots de clichés, avec, en bonne place, son fameux « désengagement », plus marqué, dit-on, que celui des baby-boomers ou de la génération X.

Et pourtant, on a beau le moquer ou l'ignorer, l'engagement des jeunes ne faiblit pas, aussi divers, varié qu'il y a de jeunesses en France. Au péril, parfois, de leur vie, comme Rémi Fraisse, 21 ans, décédé le 26 octobre 2014 lors d'un assaut des gendarmes sur le site du barrage de Sivens. Depuis, plusieurs lycées parisiens ont été bloqués en signe de soutien, et des manifestations contre les violences policières ont eu lieu un peu partout en France.

Même si les pratiques classiques, au sein des partis ou des syndicats, ne les attirent plus, leur défiance vis-à-vis du système de représentation traditionnel et des élites grandit. Et des réseaux ­sociaux aux manifestations, des pétitions aux associations, les 15-30 ans s'impliquent tous azimuts et s'en­gagent de plus en plus à l'échelle locale dans des actions de proximité... ­Petit tour de piste (subjectif et non exhaustif) de l'engagement des jeunes en 2014.

A comme Avaaz.org

Dans un monde d'indignations quotidiennes, les pétitions en ligne sont aussi polymorphes que le crowdfunding, et aucune cause ne vaut mieux qu'une autre. Sur Avaaz ou sur Change, les jeunes (pas qu'eux, mais 49 % des 15-30 ans ont déjà participé) prennent fait et cause pour un jeune gay mis au ban de sa famille, autant qu'ils réclament une version PC du jeu GTA V. Récemment, une pétition pour sauver le chien Excalibur, promis à l'euthanasie après que sa maîtresse espagnole eut été frappée par Ebola, a recueilli 400 000 signatures. Deux fois plus que celle réclamant la démission de Thomas Thévenoud, le député « phobique administratif ».

C comme Constellations.boum.org

« Il n'est plus question de sortir militer, mais bien de partir de là où l'on est, de conjointement “vivre et lutter”, dans une tension jamais résolue », écrivent les jeunes membres du collectif Mauvaise Troupe. Dans Constellations : trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle, livre de 700 pages sorti au printemps (aux éditions de l'Eclat et sur constellations.boum.org), ils racontent les contestations de ces dernières années face à ce « monde invivable ». Squats des villes et des champs, free parties, aide aux sans-papiers, jardins communautaires... Ce n'est pas le Grand Soir (ils n'y croient plus), mais des îlots, en construction, d'une jeunesse insoumise.


8 jeunes sur 10 pensent que l’action associative est un levier essentiel pour renouveler la démocratie.

(Sondage sur l'engagement politique des jeunes de 15-30 ans, Afev/Audirep, 2014)


F comme Front national

Non content d'avoir percé chez les jeunes (17 % d'entre eux ont voté pour Marine Le Pen à la dernière élection présidentielle), le Front national peut désormais se vanter d'être représenté par les plus jeunes parlementaires de France. Pas forcément championne du présentéisme, Marion Maréchal-Le Pen, 24 ans, siège à l'Assemblée nationale depuis 2012. Quant à David Rachline, maire de Fréjus récemment élu au Sénat, il est le cumulard le plus jeune de l'Hexagone : 26 ans.

G comme Génération précaire

En février dernier, des militants de Génération précaire envahissaient les bureaux du site pour jeunes Meltygroup, qui employait, hormis soixante-douze salariés, soixante « free-lance » en auto-entreprise et trente stagiaires. Un militantisme terre à terre, fait de happenings et autres mobilisations, souvent inventif et impertinent : voilà la marque de fabrique des collectifs « jeunes », Génération précaire (stagiaires), ­Jeudi noir (mal-logement), ACLeFeu (banlieues) ou Sauvons les riches ! (manifestations parodiques). Désenchantée, la jeunesse ? Peut-être, mais ni apathique ni résignée...

Illustration : Benoît Tardiff pour Télérama


1 jeune sur 3 estime « politique » de consommer des produits issus du commerce équitable.

(Afev/Audirep)


L comme Leonarda

On les dit éteintes. Mais les braises de la mobilisation lycéenne fument toujours. On se souvient du tollé contre les expulsions de Leonarda Dibrani, une adolescente kosovare, ou de Khatchik Kachatryan, un jeune Arménien. En 2014 encore, les lycéens se sont mobilisés, devant leurs établissements et sur les réseaux sociaux, contre les expulsions de jeunes sans-­papiers scolarisés. Au coeur de ces mouvements ? La lutte contre les discriminations et une solidarité de classe d'âge.


M comme la Manif pour tous

Au coeur d'un mouvement où il aura souvent été question de l'instrumentalisation des enfants (on se souvient de ces bambins bâillonnés et placés par leurs parents en première ligne face aux CRS), les jeunes ont également pris les devants, de leur propre initiative. Albéric Dumont, le coordinateur de la Manif pour tous, est un étudiant en droit de 22 ans, et les Veilleurs – l'une des émanations du mouvement – ont été cofondés par Madeleine de Jessey, une normalienne même pas âgée de 25 ans, qui se rêve déjà un destin politique. A l'UMP ou ailleurs.


5 % des 15-30 ans sont adhérents à un syndicat, 7 % à un parti.

(Afev/Audirep)


N comme Notre-Dame-des-Landes

Anti-G8 en 2001, anti-CPE en 2006... et anti-Vinci aujourd'hui ? Le combat contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes – et l'occupation de sa « zone à défendre » (ZAD) – est en tout cas devenu une des références du militantisme chez les jeunes. Preuve que, pour eux, la guérilla est souvent dans le pré. Preuve aussi que le territoire est un enjeu et les actions locales, des façons concrètes de se réapproprier l'engagement politique.

Depuis, le mot d'ordre « semer des ZAD partout ! » – version hexagonale des mouvements Occupy – a essaimé en France, dans des zones de projets dits « inutiles » : la ligne ferroviaire Lyon-Turin, la construction d'un hypermarché à Mont-Saint-Aignan, près de Rouen... Des contestations pacifiques qui viennent d'être endeuillées par la mort d'un jeune étudiant de 21 ans, Rémi Fraisse, lors d'une confrontation avec les forces de l'ordre sur la ZAD du barrage de Sivens, dans le Tarn.

S comme slacktivisme

Que vaut un retweet sur l'échelle de l'engagement ? Un lien partagé sur Facebook ? Les Anglo-Saxons, plus familiers que nous de ces prises d'initiative tempérées – dès 2009, de jeunes Iraniens de la diaspora affichaient un ruban sur leur photo de profil Twitter en soutien aux mouvements de protestation anti-Ahmadinejad –, les ont déjà rassemblées sous un nom : « slacktivism ». Un mot-valise formé à partir de slacker, « fainéant ». Parfois, ce militantisme light produit même des effets surprenants. L'an dernier, une campagne contre la pêche en eaux profondes a été propulsée par la seule force d'une planche de bande dessinée abondamment partagée sur les réseaux sociaux.


Selon le ministère de l’Intérieur, parmi les supposés candidats français à la « guerre sainte » figureraient 105 mineurs, soit près d’un quart du total.

(Afev/Audirep)


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