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Ils s'appelaient Isoke, Kigoma, Tabora. À Kinshasa, certaines rues, bien connues, portent même leurs noms. Mais leur histoire est passée aux oubliettes. C'est pour rendre hommage à leur épopée oubliée que le Parlement congolais consacre une exposition à la percée victorieuse de ces hommes sous commandement blanc au cœur de l'Afrique orientale allemande.
La RDC s'appelait alors le Congo belge
En 1914, lorsqu'éclate la Grande Guerre, toute l'Afrique ou presque est sous domination européenne. La RDC s'appelle alors le Congo belge. C'est une colonie enclavée entre des territoires sous contrôle français, portugais, britannique et – à sa frontière est – allemand. Dès le mois d'août, les Allemands font aussi peu de cas de la neutralité du Congo que de celle de la Belgique : ils attaquent des postes belges sur la rive occidentale du lac Tanganyika. « Les autorités allemandes voulaient établir un pont entre leurs colonies orientales et occidentales, notamment pour briser l'axe britannique entre Le Cap et Le Caire », rappelle l'historien David Van Reybrouck dans son livre Congo, une histoire. Pour les Congolais, il s'agit alors d'une « guerre européenne », explique l'historien et ethnologue Pamphile Mabiala, professeur à l'université de Kinshasa et président de l'exposition organisée en partenariat avec l'ambassade de Belgique en RDC.
Elle « contribua à repousser les forces allemandes »
Mais alors que la quasi-totalité de la Belgique passe rapidement sous la coupe des armées du Kaiser, la Force publique congolaise (environ 10 000 hommes mal entraînés qui assuraient essentiellement des fonctions de police dans la colonie) reçoit l'ordre « de se réorganiser pour une contre-offensive, et d'envoyer des contingents en renfort aux troupes coloniales britanniques et françaises engagées contre les troupes allemandes au Cameroun » et en Zambie actuelle, où elle « contribua à repousser les forces allemandes », rappelle l'ambassadeur de Belgique Michel Lastschenko. Le plus haut fait d'armes de la Force publique reste cependant la campagne d'Afrique orientale, qui voit partir en avril 1916 deux détachements de la Force publique, 15 000 hommes selon M. van Reybrouck, à l'assaut de la colonie allemande. Le 28 juillet, le port stratégique de Kigoma, sur le lac Tanganyika, est pris. Tabora, capitale administrative de la colonie – dans le centre-est de la Tanzanie actuelle –, tombe le 19 septembre 1916.
Partis avec femmes et enfants
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Les soldats de la Force publique sont à plus de 500 kilomètres de leur point de départ. « Dans cette guerre, les soldats sont partis avec femmes et enfants » en plus des porteurs, raconte M. Mabiala, « c'était une foule de gens » qui vivaient dans une « promiscuité infernale ». Pour chaque fantassin, « il fallait environ sept porteurs. Beaucoup d'entre eux étaient sous-alimentés, l'eau potable était rare. On buvait dans des mares, on buvait sa propre urine », écrit M. van Reybrouck, qui avance le chiffre de 2 000 morts dans les rangs de la Force publique et jusqu'à 25 000 parmi les porteurs. Selon le Pr Mabiala, la majorité des décès furent causés par la maladie et l'épuisement plutôt que par des combats avec l'ennemi, en bien plus petit nombre. Placée sous commandement britannique, la Force publique participera en 1917 à une autre campagne, jusqu'à la ville de Mahenge, à près de 600 kilomètres au sud-est de Tabora. Sa contribution fut décisive dans la victoire des forces de l'Entente en Afrique.
Beaucoup plus de victoires parfois que les Belges
L'exposition au Parlement rappelle en photos la campagne de Tabora et présente de nombreuses scènes de vie des militaires et de leur famille du temps de la Force publique : défilé des soldats congolais, photographies des indigènes, pieds nus au côté d'officiers belges, mais aussi de femmes et d'enfants de soldats. « Nous avons un très grand respect pour ce que les Congolais ont fait du temps de la Force publique », déclare le colonel Steve Vermeer, attaché de défense de Belgique en RDC. « Ils ont eu beaucoup plus de victoires parfois que les Belges n'ont pu en avoir sur [leur] territoire national. » Pour l'historien Elikia M'Bokolo, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, « la Force publique a été la plus belle armée africaine » de la Première Guerre mondiale, mais les combattants congolais sont les « oubliés » de ce conflit. La Belgique s'est vu « attribuer le Ruanda et l'Urundi » (colonies allemandes qui deviendront le Rwanda et le Burundi) en guise de récompense, dit M. Mabiala. Les Congolais ont reçu « juste des médailles ».