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Affaires Dassault, Bettencourt : le rôle trouble de Cofinor

Cette discrète société suisse aurait permis à plusieurs reprises de faire passer des millions d'euros en espèces depuis la Suisse vers la France.

Par  et

Publié le 19 novembre 2014 à 17h57, modifié le 20 novembre 2014 à 10h58

Temps de Lecture 5 min.

Cofinor, société discrète, est domiciliée à Genève.

C'est une discrète société suisse qui s'est brusquement retrouvée sous les projecteurs des médias, lundi 17 novembre, lors de la révélation d'un système qui aurait permis à Serge Dassault d'obtenir 53 millions d'euros en espèces entre 1995 et 2012, somme soupçonnée d'avoir servi à acheter des voix lors des élections municipales de Corbeil-Essonnes (Essonne).

Selon le récit fait aux enquêteurs par le comptable de l'industriel et sénateur UMP Gérard Limat, et révélé par Libération et France Inter, Cofinor aurait été le rouage essentiel permettant de faire transiter l'argent depuis des comptes au Luxembourg, au Liechtenstein et en Suisse, jusqu'à Paris sous la forme de liasses de billets.

Le nom de la société, présentée comme « un agent de change et une chambre de compensation », avait déjà été évoqué dans le cadre de l'affaire Bettencourt, où elle aurait réalisé le même genre de « service » pour la milliardaire, héritière de L'Oréal.

Que sait-on de Cofinor ?

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On sait peu de choses de la société domiciliée à Genève. Pas de site internet, peu d'informations disponibles sur la Toile.

Créée en 1961, son objet social (telle qu'elle se décrit dans les registres des entreprises) est, selon le livre Cache Cash, qui enquêtait sur la circulation de l'argent liquide illégal en France, de « rendre tous services et effectuer toutes opérations en matière de gestion et de promotion financière » ; en d'autres termes achat, vente, importation, exportation.

Officiellement, Cofinor exerce une activité de compensation. Dans le monde de la banque et de la finance, ce type de société fait l'intermédiaire entre le vendeur et l'acheteur afin de garantir la bonne foi de la transaction.

Elle permet de faire la somme de tous les mouvements, de calculer et verser le solde de chaque teneur de compte. La chambre assure ainsi ce qu'on appelle le risque de contrepartie (de la transaction), jouant en dernier ressort le rôle de fonds de garantie, un peu comme un notaire.

Les chambres de compensation sont nées dans les années 1970, dans la foulée de la dématérialisation des échanges, afin d'accélérer et de sécuriser les transferts de fonds.

Que faisait réellement Cofinor ?

Voilà pour la façade. L'activité réelle de l'entreprise, selon un enquêteur de l'affaire Dassault cité par l'Agence France-Presse (AFP), était d'envoyer « où vous voulez dans le monde votre argent que vous lui remettez en Suisse ».

Selon son président, Vahé Gabrache, joint par Le Monde et qui n'a pas souhaité commenter les révélations sur l'affaire Dassault « puisqu'une enquête est en cours », la société serait « en cessation d'activité depuis fin 2012 ».

Pourtant, elle semble toujours active, ayant signalé au registre du commerce suisse un déménagement début novembre et une diminution drastique de son capital en décembre 2013, de 6 millions de francs suisses (5 millions d'euros) à 100 000 francs (83 000 euros).

Vahé Gabrache est un ancien trésorier du Parti libéral-radical genevois à Pregny-Chambésy, près de Genève, et également à la tête de la Société Gabrache SA, un groupe aux activités diverses (« toutes opérations financières, immobilières et commercales internationales ; import-export de matières premières, organisations de voyages, etc »).

Quel aurait été son rôle dans l'affaire Dassault ?

Placé en garde à vue début octobre, le comptable suisse de Serge Dassault, Gérard Limat, a avoué aux enquêteurs avoir fait transiter au moins 53 millions d'euros entre la Suisse et la France par le biais de Cofinor.

Concrètement, l'homme aurait fourni à la société des fonds placés au Luxembourg, au Liechtenstein et en Suisse. Cofinor se serait ensuite chargée de les lui redistribuer, en espèces, à Paris via un « livreur ».

Si ces faits sont avérés, Cofinor serait ainsi complètement sortie du rôle théorique de la chambre de compensation. Alors que cette dernière permet normalement de cautionner des échanges financiers, elle n'aurait servi ici qu'à servir d'intermédiaire avec un seul client et non lors d'une transaction.

Comment aurait-elle pu fournir autant d'espèces ?

La société suisse a déjà été mise en cause dans l'affaire Bettencourt. Elle est accusée d'avoir rapatrié plusieurs millions d'euros en liquide, de la Suisse vers la France, entre 2007 et 2009.

René Merkt, l'avocat suisse des Bettencourt, entendu comme témoin par le juge d'instruction français Jean-Michel Gentil en février 2012 et cité dans le livre Cache Cash, a expliqué comment il aurait fait passer 4 millions d'euros à Patrice de Maistre, ancien homme de confiance des Bettencourt :

« Je donnais l'ordre à Cofinor pour une remise à Paris. Cofinor dispose de correspondants qui évitent ainsi des passages de frontières. Je remboursais ensuite Cofinor. »

Les journalistes Mathieu Delahousse et Thierry Lévêque, qui ont enquêté sur les mouvements d'argent liquide en France, expliquent le tour de passe-passe permettant d'éviter de franchir la frontière avec une valise pleine de billets :

« La compensation consistait à faire voyager l'argent sans que celui-ci bouge physiquement. Exemple : la banque suisse dans laquelle les Bettencourt possèdent un compte très largement créditeur peut se porter caution auprès de Cofinor pour des fonds à rendre disponibles dans une banque française, sous la forme d'un crédit par exemple. L'astuce intervient au moment où les établissements suisse et français équilibrent leurs comptes. Genève pourrait envoyer un virement à Paris ? Certes, mais ce serait trop simple. Et cela laisserait des traces.

Ici, la chambre de compensation joue son rôle. Elle intervient en contrepartie, c'est-à-dire qu'elle prend en compte tous les autres échanges de fonds entre la France et la Suisse dont elle a la charge. Et calcule ensuite les entrées et sorties. Par un simple jeu d'écriture, le tout peut donc s'équilibrer, voire presque disparaître si, par exemple, une somme de 100 a quitté la Suisse pour la France et qu'une autre somme de 100 a été versée en France pour la Suisse. L'argent ne voyage pas mais les opérations se compensent les unes les autres.

En général, ce système de 'clearing' est utilisé dans les échanges interbancaires afin d'éviter les opérations multiples et assurer une contrepartie centrale par les systèmes informatiques. Le fait que la compensation puisse permettre de remplacer le déplacement physique de liasses entre la Suisse et la France au nez et à la barbe de tout contrôle n'était évidemment pas le but initial de l'invention. »

Par ce système, Cofinor a ainsi pu retirer de grosses sommes en espèces à son établissement bancaire classique à Paris, comme n'importe quelle entreprise demandant à obtenir du « cash » à partir de son compte. Sans éveiller de soupçons.

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