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Entreprise

Hubert Joly, le Français que les Américains s'arrachent

Il a redressé l’hôtelier Carlson et fait de même aujourd'hui à la tête de Best Buy, l'équivalent de Darty aux Etats-Unis. Carré, direct et terriblement efficace, il a tout pour plaire aux Américains.
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367 Portrait Hubert Joly
Hubert Joly, président de Best Buy
Sipa

Le pin’s de l’entreprise au revers de la veste, un bracelet connecté high-tech au poignet, Hubert Joly déjeune d’une salade composée. Nous sommes au campus Best Buy à Richfield, dans la banlieue des Twin Cities du Minnesota, Minneapolis et Saint Paul. L’immeuble marron, à peine égayé d’un logo jaune, finit de plomber un paysage cerné par les échangeurs autoroutiers. Le patron français arbore un grand sourire.

Cheveux d’argent et regard azur, il est raccord avec le bleu des gilets des vendeurs de Best Buy, le géant de la distribution d’appareils électroniques (50 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel), qu’il préside. Pas vraiment chaleureux, mais toujours courtois et calme, il sait gagner la confiance de ses interlocuteurs en quelques minutes. Il rassure.

Méticuleux

On sait bien qu’il ne faut pas se fier aux apparences dans le business, mais voilà bien quelqu’un à qui, avec sa tête de premier de la classe et ses bonnes manières, on n’hésite pas à confier les clés de la voiture, du garage et de la maison tout entière, y compris quelques secrets de famille. C’est ce qu’ont déjà fait la richissime Marilyn Carlson (4 milliards de dollars, selon Fortune), qui l’a nommé président du groupe Carlson (hôtels et restaurants) en 2008 ; le couturier Ralph Lauren, qui lui a demandé de siéger à son conseil d’administration en 2009 ; et, plus récemment, les administrateurs de Best Buy, qui l’ont appelé au secours à l’été 2012, lorsque la chaîne de magasins était au bord du gouffre, avec des profits en chute de 90%.

"Je l’ai connu lorsqu’il était consultant chez McKinsey en 1995, se souvient Thierry Breton, ex-ministre et PDG d’Atos. Il m’avait impressionné par sa capacité à épouser une mission, à trouver des solutions à des situations inextricables et à veiller dans le moindre détail à ce que la mise en œuvre soit impeccable."

Populaire

Retour à Richfield. Hubert Joly revient sur cette année très mouvementée à la tête de Best Buy : "Je ne veux pas donner l’impression que l’on a réussi ou que l’on est satisfait, alors qu’il reste tant à faire." Mais il ne peut s’empêcher d’exprimer à sa façon, faussement modeste, un certain contentement : "Le retournement de l’entreprise est bien amorcé. Il se dit ici que lorsque j’ai appris que nous avions repris le chemin de la croissance, je serais monté sur une table pour mimer une danse de joie. Je ne démens pas cette information."

Il n’est pas le seul à se réjouir. Pour tout le monde ici, Best Buy est sauvé. Du coup, il faut sans doute remonter à Maurice Chevalier ou Marcel Cerdan pour voir un Français aussi apprécié en Amérique. La presse est unanime : "Il mérite le moindre penny de son généreux salaire"(StarTribune) ; "Joly offre de la valeur aux investisseurs" (Bloomberg) ; "Une longue série de premiers succès" (Minneapolis Business Journal) ; "L’expert des retournements d’entreprises"(Reuters) ; "Sa manière de gérer les tensions est un exemple pour les managers" (Fortune).

Une seule raison à cette avalanche de qualificatifs, le cours de l’action Best Buy a été multiplié par quatre depuis son arrivée. Rarement un chef d’entreprise aura rapporté autant d’argent en si peu de temps à ses actionnaires.Pourtant, lors de son arrivée à la tête du groupe, l’accueil avait été plutôt glacial du côté de Wall Street. L’action de l’entreprise avait chuté de 10% en quelques heures. Les commentaires étaient plutôt acerbes vis-à-vis de ce Mr. Nobody qui ne connaissait rien au secteur. Assez pour qu’il ait envie de prendre sa revanche.

Homme providentiel

Il est vrai que l’entreprise ne brillait ni par ses résultats ni par sa gouvernance. Son prédécesseur, Brian Dunn, avait été contraint à la démission après avoir été accusé "de relations inappropriées" avec une collaboratrice de 29 ans. Un patron de transition gérait les affaires au quotidien depuis six mois sans parvenir à démentir les rumeurs les plus alarmantes concernant les finances de l’entreprise et sa capacité à trouver une stratégie face aux géants de l’Internet, Apple, Amazon et eBay.

Les salariés démotivés faisaient, au mieux, de la figuration, et, pis encore, le fondateur et plus gros actionnaire du groupe, Richard Schulze, écarté de la présidence du conseil pour avoir tardé à dénoncer les écarts de conduite de Dunn, annonçait partout qu’il allait faire son grand come-back en lançant une OPA dont personne ne voulait. Ambiance.

Pour accepter ce job empoisonné, il fallait soit être inconscient, soit être mégalo, soit être très bien payé. En réunissant les trois conditions, Hubert Joly était alors l’homme idéal pour relever le défi. Il ne conteste pas qu’on lui a bien offert 20 millions de dollars en guise de golden hello – "mais il s’agissait surtout de racheter les primes de fidélisation auxquelles j’avais dû renoncer en quittant Carlson".

Précision importante, compte tenu de la situation difficile dans laquelle se trouvait alors Best Buy, la quasi-totalité de cette somme lui est payée en actions du groupe et non en cash. Ces mêmes actions qui ont vu leur valeur quadrupler depuis. Malheureusement, il aurait préféré qu’on ne l’écrivît pas, mais il a été récemment contraint de vendre une partie de ses actions pour payer les frais de son divorce, soit 10 millions de dollars.

Il n’empêche qu’en moins d’un an le Frenchy a inversé la vapeur. Il n’a pas seulement fait mentir ceux qui doutaient de lui, il a apporté un démenti cinglant aux experts qui prédisaient la fin des magasins Best Buy, les Big Box, comme les surnomment les Américains, face à la concurrence des sites marchands. Avec 1.400 points de vente qui proposent des disques, des DVD, mais aussi des tablettes, des téléviseurs et des PC, Best Buy ressemble beaucoup à la Fnac.

Avec une différence notable : ces magasins sont situés en périphérie des villes, dans des zones commerciales. Les loyers sont moins élevés que ceux de la Fnac ou des anciens magasins Virgin – aujourd’hui disparus – situés, eux, dans les centres-villes. Lorsque Amazon, iTunes, eBay et les autres hérauts de la nouvelle économie ont commencé à grignoter des parts de marché, tous les experts ont annoncé la fin du modèle. Et quand les profits ont chuté, tous les analystes ont déclassé Best Buy, et les fournisseurs se sont demandé s’il fallait continuer à livrer un distributeur qui ne les paierait peut-être pas.

Inventif

A peine arrivé, Hubert Joly est allé voir ses fournisseurs : Tim Cook (Apple), Jong-Kyun Shin (Samsung), Steve Ballmer (Microsoft). En leur présentant un nouveau partenariat. Il leur propose des espaces à eux et à leurs couleurs dans ses magasins, avec leurs propres vendeurs. Tous signent. Il libère de la place dans les rayons en réduisant ou supprimant les espaces CD et DVD, aux marges inintéressantes.

Simultanément, il endosse l’uniforme de ses vendeurs, se fait prendre en photo tel un général au milieu de ses troupes, et annonce à la communauté financière que la bataille aura lieu dans les magasins. Face à la concurrence d’Internet, il baisse tous les prix au niveau de ses rivaux en ligne. "Je voulais délivrer les clients de cette habitude qui consiste à repartir de nos magasins les mains vides et à aller sur Internet pour comparer les prix." Cette décision paraît évidente, mais elle est révolutionnaire. Jusqu’alors, le bon prix était le résultat des coûts plus un taux de marge et la TVA. Désormais, le seul bon prix est celui que les clients sont prêts à payer.

Implacable

Autre dossier chaud, il doit remettre ses collaborateurs au travail. "L’entreprise laissait une totale autonomie aux salariés du siège dans l’organisation de leur travail", raconte-t-il. Les salariés décidaient de leurs propres horaires, certains ne venaient même plus au bureau. Il mobilise tout le monde, bannit le télétravail et demande aux salariés de respecter les horaires. Implacablement, il instaure de nouveaux critères d’évaluation de la performance, met en place des indices de satisfaction des clients, et fait le ménage au siège en supprimant les niveaux hiérarchiques non indispensables. Plus de 400 postes disparaissent.

Enfin, il y avait Richard Schulze, l’homme qui a inventé cette chaîne de magasins dans les années 1960 en la baptisant d’abord Sound of Music. Resté un actionnaire important et tempétueux, il rêve alors de reprendre les commandes. "J’ai mis une cravate, j’ai imprimé mon CV et je suis allé le lui porter en lui expliquant que je travaillais pour lui et que, selon moi, il gagnerait plus en me laissant faire qu’en revenant personnellement aux affaires." Schulze apprécie le geste.

Fin diplomate, Joly excelle dans le rôle du good guy. Le fondateur ne lancera jamais son OPA et acceptera même la main tendue en rencontrant plusieurs fois Hubert Joly, et en prenant le titre diplomatique de président émérite. Avec 70 millions d’actions Best Buy dans son portefeuille, l’heureux Schulze gagne 70 millions de dollars à chaque fois que l’action gagne 1 dollar…

Très demandé

Brad Anderson, administrateur de Best Buy et homme de confiance de Schulze, raconte sa rencontre avec Joly : "Je m’attendais à voir arriver un homme fatigué et stressé, j’ai vu arriver quelqu’un qui dominait les difficultés et qui, visiblement, y prenait du plaisir !" Ceux qui connaissent le manager français ne sont pas surpris. Car ce qu’il fait à Best Buy, il l’avait déjà fait ailleurs. "Je lui avais confié la direction de Carlson Wagonlit Travel (CWT), qui était alors une filiale commune d’Accor et de Carlson, témoigne Jean-Marc Espalioux, ancien président d’Accor. Les relations n’étaient pas excellentes entre les actionnaires, le personnel doutait et les résultats étaient mauvais, il a inversé la situation."

Sous la direction de Joly, CWT triple son chiffre d’affaires en trois ans. Espalioux est tellement convaincu de son talent qu’il propose son nom, en 2005, pour lui succéder à la tête d’Accor. Mais c’est Carlson, l’autre actionnaire, qui attire Joly. En lui demandant de rester malgré le désengagement d’Accor, et en lui offrant la présidence. Il s’installe avec femme et enfants dans le Minnesota, et devient le premier président de Carlson non membre de la famille Carlson. Il y restructure l’hôtellerie (Radisson) et modernise la chaîne de restaurants TGI Friday’s. "Les problématiques étaient très proches de celles de Best Buy, ça m’a aidé en arrivant." La famille est ravie. 

Ironie de l’histoire, il est pressenti pour devenir patron d’Accor en 2013, après le départ de Denis Hennequin. Il refuse. "Je ne pouvais pas quitter Best Buy au moment où le redressement commençait à porter ses fruits !" Le Frenchy restera donc un inconnu dans son propre pays. Pour devenir une valeur montante dans le Midwest, cette région qui héberge les sièges mondiaux de plusieurs fleurons du capitalisme américain. Son style modeste et bien élevé a plus que convaincu par ici.

"Je ne suis pas là pour toujours, je ne suis que celui qui porte momentanément, et avec beaucoup d’humilité, le titre de PDG de cette entreprise", a-t-il dit récemment dans le Minneapolis StarTribune. Une façon, peut-être de s’excuser par avance de son futur départ pour une nouvelle aventure. Il a changé de vie. Et est très demandé. Y compris en France, où il y a du redressement productif à mener.

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