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Libération
Reportage

A Villers-Cotterêts, le chômage, le racisme et la visite ministérielle

Les élus FN à la loupedossier
La secrétaire d'Etat à la Ville s'est rendue vendredi à Villers-Cotterêts, dans l'Aisne, commune frontiste qui devrait bénéficier de l'aide de l'Etat pour un quartier prioritaire. Qu'en disent les habitants ?
par Sylvain Mouillard
publié le 24 novembre 2014 à 18h35

Dans quelques mois, Villers-Cotterêts fera son entrée parmi les communes bénéficiant des crédits de la politique de la ville. Un signal fort pour ce patelin axonais de 10 000 habitants posé à 80 kilomètres de Paris, qui a élu un maire Front national, Franck Briffaut, en mars dernier. D'autant que la liste des quartiers dits prioritaires s'est largement réduite. On n'en compte plus que 1 300, contre 2 500 auparavant. Le gouvernement espère ainsi lutter contre le «saupoudrage» et concentrer ses efforts en fonction d'un critère unique : la concentration du taux de pauvreté. A Villers, c'est le quartier de la route de Vivières qui est apparu sur les radars des statisticiens de l'Insee, avec son taux de chômage de 23,6% pour les femmes et 17,5% pour les hommes. C'est là que la nouvelle secrétaire d'Etat chargée de la Politique de la ville, Myriam El-Khomri, s'est rendue ce vendredi. Pour y expliquer les vertus des futurs «contrats de ville», mais aussi rappeler «l'engagement de l'Etat» sur cette terre frontiste, exemple parmi d'autres de la «France périphérique» décrite par le géographe Christophe Guilluy.

11 heures du matin, au milieu du quartier de la route de Vivières. 2 900 personnes vivent là, dans des petites barres d'immeubles, six ou sept étages maximum. Kamel, 31 ans et un bébé de quelques mois, habite le quartier depuis dix ans. Il rêve d'en partir. «On a grandi dans la misère, mais on voudrait éviter ça à nos enfants. Mon fils, il va faire quoi ici ?» Cela fait «deux ou trois ans» que Kamel pointe au chômage. Avant, il a bossé comme cuistot dans des chaînes de restauration rapide ou des restos gastronomiques. Le jeune homme désigne un bâtiment tout neuf, à vingt mètres de là, la cantine scolaire. «J'ai déposé un CV à la mairie pour y travailler, mais on ne m'a jamais répondu.» Il n'a pas lâché l'affaire. En ce moment, il monte un dossier pour lancer son «camion-snack». Kamel est convaincu du potentiel de l'affaire. Dans le quartier, «il n'y a rien», à part la mosquée et un terrain multisport sorti de terre il y a quelque temps. Pas de café, ni de boulangerie ou de pharmacie.

Gabriel, 58 ans, est bien placé pour le savoir. Tous les matins, cet ancien pâtissier, aujourd'hui «inapte au travail» après trois AVC, va faire ses courses en centre-ville, au petit Leclerc. «Ça me fait marcher, c'est bon pour ma rééducation», sourit-il. Dans son petit 25 m² au rez-de-chaussée, il passe le temps comme il peut. Ce matin, la télé est branchée sur France 5. Dehors, le chat prend l'air, retenu par un bout de ficelle. Le week-end, le voisin de Gabriel, «un Maghrébin», vient le chercher pour regarder le foot. «Ici, beaucoup de gens n'aiment pas les Maghrébins. Moi je communique avec tout le monde, je n'ai pas de problème.» Avec sa pension d'invalidité de 800 euros mensuels et un loyer de 29 euros, ce fan des Verts de Saint-Etienne réussit à s'en sortir : «Je ne fume pas, ne bois pas.» Mais il reconnaît que, pour ses voisins, la vie n'est pas facile.

«Quand le maire aura la main, on va morfler»

Sur les conseils de Kamel, on prend la direction du Balto, un bar du centre-ville où les jeunes de la route de Vivières aiment se retrouver. Il est 13 heures, c'est la pause café-clopes pour «Momo», Sam, Baris et leurs potes. Le premier, la trentaine, a entendu parler de la visite de la secrétaire d'Etat à Villers-Cotterêts. «C'est plus médiatique qu'autre chose, dit-il. C'est la ville qui est pauvre, pas uniquement le quartier de Vivières.» Après avoir fait «plein de boulots» dans l'Oise ou en région parisienne, Momo s'est retrouvé au chômage et a dû retourner vivre chez sa mère. Il lui reste six mois de droits à Pôle Emploi.

Sam est le plus chanceux du lot. Après «sept ans de galère» à enchaîner les contrats d'intérim, il a fini par être embauché chez Volkswagen, dont le siège social français est basé à Villers. «On a tous postulé là-bas, explique Baris. Mais ce sont toujours les mêmes qui entrent… Des fils à papa.» Tous l'assurent : ils sont victimes de racisme. Pour trouver du boulot, ils ne comptent plus sur Pôle Emploi, dont le bureau le plus proche se situe à Soissons, à 25 kilomètres de là. Quant aux agences d'intérim, elles ne sont guère plus efficaces. L'une n'est ouverte que le mercredi, l'autre refuse les nouvelles inscriptions quand il n'y a pas de demande des employeurs. Le travail, les jeunes de Villers vont le chercher à Roissy, autour de l'aéroport, à une cinquantaine de kilomètres. «Fedex a embauché pas mal de monde», explique un jeune homme.

Momo entreprend de faire visiter le centre-ville. «Ça va être vite vu, on aura fait le tour en deux minutes.» Il désigne les commerces de l'artère principale. «Quand un magasin ferme, les seuls qui ont les moyens de racheter les locaux, ce sont les banques et les agences immobilières.» Père de trois enfants, Momo assure qu'il vivait mieux «il y a quinze ans». Il redoute l'évolution de sa ville, désormais dirigé par le FN. «Pour l'instant, le maire travaille sur le budget de l'ancienne équipe. Mais quand il aura la main, on va morfler.»

Pôle Emploi et les caisses vides

14h45. Un petit attroupement s'est formé devant l'usine de Cuir Auto Shop, une entreprise de sellerie pour les professionnels. «La ministre arrive dans cinq minutes», annonce un homme. Les officiels, dont le maire Franck Briffaut, s'alignent, prêts à accueillir Myriam El-Khomri. Salutations, visite rapide des locaux, table ronde avec les salariés. La secrétaire d'Etat explique que les futurs contrats de ville doivent permettre de «créer des écosystèmes», elle veut aller à la rencontre des «forces vives» de la commune, «associer» les acteurs économiques. La patronne de la boîte l'interpelle : «On voudrait signer des contrats de génération, mais Pôle Emploi nous répond que les caisses sont vides !»

Après une heure sur place, la petite troupe reprend son chemin, aiguillée par un chef de cabinet pressé. A pleine vitesse, direction la route de Vivières, où la meilleure bachelière 2014, originaire du quartier, accueille Myriam El-Khomri. En trente minutes, l'ancienne adjointe d'Anne Hidalgo échange avec des parents d'élèves, le président du club de foot, le bailleur social du quartier. Les habitants se pressent à leurs fenêtres, intrigués par cette affluence inédite. Un type : «On dirait le terrain de boules là !» Seul imprévu à cette déambulation, l'intervention de militants de la Confédération nationale du logement. «Tout est pourri dans ces appartements, lancent-ils, photos à l'appui. Il y a de l'humidité, l'électricité n'est parfois pas aux normes.» Le bailleur encaisse, la secrétaire d'Etat lui transmet le dossier.

La dernière étape de la visite se déroule dans les locaux de la communauté de communes. Les différents acteurs concernés par le futur contrat de ville échangent sur leurs expériences et les axes de travail. La secrétaire d'Etat en dénombre trois : le cadre de vie et l'habitat, la cohésion sociale, le développement économique et l'emploi. «La politique de la ville, ce n'est pas la politique des quartiers, affirme-t-elle. L'objectif, c'est d'arrimer un quartier à la dynamique d'une agglomération.» Il est 18 heures, la nuit tombe sur Villers-Cotterêts. Le convoi ministériel reprend la route vers Paris. Dans les rues, il n'y a pas un chat.

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