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Un concert en pleine rue pour sauver le classique à Pleyel

La salle de concert parisienne devrait changer de répertoire et abandonner le classique. Au désespoir de l'ex-directrice de la salle qui attaque le repreneur et l'ancien propriétaire.

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Publié le 28 novembre 2014 à 10h23, modifié le 28 novembre 2014 à 16h24

Temps de Lecture 4 min.

La chef d'orchestre Carla Maria Tarditi a  organisé  un concert  sous les fenêtres  du tribunal  de Paris, le 24 novembre, pendant une audience consacrée  à l'avenir de  la Salle Pleyel.

 Les juges du palais de justice de Paris aiment-ils Brahms ? Si oui, ces mélomanes ont dû apprécier l'aubade jouée sous leurs fenêtres, lundi 24 novembre. Au programme de ce concert en plein air, la symphonie numéro 1 en ut mineur, opus 68. Les sirènes deux tons de la police qui passait dans le voisinage, transportant quelques gibiers de potence, furent les seules fausses notes de ce moment de grâce. Pour clore le tout, fut donnée une guerrière Marseillaise, pour qui douterait que l'heure fut grave et la tyrannie à nos portes. Derrière les cinquante musiciens était déployée une banderole : « Pour le maintien de la musique classique à Pleyel. » A l'intérieur du tribunal, se jouait au même moment l'avenir de la célèbre salle de concert classique parisienne. Entre violons et cymbales, Pleyel est depuis quelques années au centre d'un imbroglio juridique qui mêle culture, argent et sentiments.

Un concert pour le maintien du répertoire classique à Pleyel

Le 252 rue du Faubourg-Saint-Honoré était la propriété depuis 1998 de l'homme d'affaires Hubert Martigny. En 2009, il décide de vendre le bâtiment pour 60,5 millions d'euros à l'Etat, plus précisément à la Cité de la musique, un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Ce dernier a proposé, depuis, la concession de la Salle Pleyel à des opérateurs privés. Dans le même temps, la Cité de la musique a construit près de la porte de Pantin une nouvelle salle consacrée à la musique classique, la Philharmonie, qui doit être inaugurée en janvier 2015. Les deux lieux ont la même jauge, 2 400 places environ. Afin d'éviter qu'il y ait concurrence et - sans doute - doublon, l'EPIC a inscrit dans le cahier des charges des futurs opérateurs de Pleyel qu'ils ne pourront pas accueillir de programmes classiques. L'endroit fera désormais la part belle à la variété et au one-man-show.

 GARDIENNE DU PATRIMOINE

Ce point du contrat rend furieuse Carla Maria Tarditi. La chef d'orchestre - et femme d'Hubert Martigny, avec qui elle est en instance de divorce - est devenue en 1998 la directrice générale de la salle. Un magnifique cadeau mis dans la corbeille de mariage. Mais l'épouse a été écartée de son poste, tandis que les relations avec le mari s'aigrissaient. Et cette dame de tempérament s'est mue en « gardienne du patrimoine ». « Je proteste contre la décision d'interdire la musique classique dans la Salle Pleyel, explique-t-elle. L'Etat mène une OPA hostile contre le public, les artistes et la réputation de Pleyel. »

De fait, vu du monde entier, le chef-d'oeuvre Art déco, inauguré en 1927 dans les beaux quartiers de la capitale, est intimement lié à ce genre musical. Pleyel a vu passer les plus prestigieux compositeurs et chefs d'orchestre, de Stravinsky à Barenboim, les plus grands virtuoses, du pianiste Claudio Arrau au violoniste Yehudi Menuhin. Ces brillants noms ont patiné le caractère unique de ce lieu. Tout comme le fit, à sa manière, l'improbable Franck Mills, inventé par le scénariste des Tontons flingueurs et auquel fait référence Antoine, interprété par Claude Rich : « Il demande où ça. Oh, mon Dieu qu'il est drôle ! Franck Mills jouera pour la première fois à Pleyel. [...] Ça peut devenir féroce, tigresque. Tout le monde y sera. » Un détour iconoclaste par la culture populaire pour dire combien la réputation de cette salle a dépassé le simple cénacle des connaisseurs.

 BATAILLE D'EXPERTS

 Carla Maria Tarditi mène donc une guérilla juridique pour empêcher ce crime de lèse-musique. Elle considère en outre que la salle a été vendue « à vil prix », quand des estimations foncières la valorisent à 110 millions d'euros. Les procédures menées contre l'EPIC - qu'elle surnomme « la bande de Pantin » - tournaient à vide jusqu'à une première victoire en octobre dernier. Le tribunal de commerce de Paris décidait alors que les conditions de la cession de Pleyel à l'Etat méritaient réexamen. Il ordonnait que la procédure de concession au privé soit suspendue. C'est cette décision, qui risque de déboucher sur une longue bataille d'experts, que la Cité de la musique attaquait en appel, lundi 24 novembre. Tandis que Carla Maria Tarditi menait l'orchestre qui jouait Brahms, les juges ont fixé le délibéré au 16 décembre. La Cité de la musique, quant à elle, dit ne pas souhaiter réagir avant cette date. Elle bénéficie dans sa démarche de soutiens politiques de poids : Nicolas Sarkozy hier, Manuel Valls aujourd'hui. Pas de quoi intimider Carla Maria Tarditi.

La musique, fut-elle classique, n'adoucissant pas nécessairement les moeurs, de féroces détracteurs mettent en doute les intentions philanthropiques de la résistante. Ils rappellent sa situation privée : elle est en instance de divorce. Une procédure tout aussi acharnée l'oppose à Hubert Martigny sur l'évaluation de son patrimoine. A son combat contre la vente de Pleyel se mêlerait donc un intérêt personnel. Hubert Martigny semble, lui, se désintéresser de ce micmac. A 75 ans, il a refait sa vie aux Etats-Unis en nouvelle compagnie.

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