Au moins 120 morts et 270 blessés. C'est le bilan provisoire de l'attaque menée vendredi 28 novembre contre une mosquée de Kano, dans le nord du Nigeria, par les membres de la secte Boko Haram. Une cible religieuse qui pourrait sembler étonnante pour cette organisation islamiste, dont le nom haoussa signifie « l'éducation occidentale est un péché ».
Pourtant, si cette dernière multiplie les raids contre les établissements scolaires et les populations chrétiennes, l'immense majorité de ses victimes sont des musulmans issus du nord du pays. Et, contrairement à l'Etat islamique, qui s'en prend essentiellement aux chiites, Boko Haram vise quant à elle indistinctement ces derniers et les sunnites.
- La question de la charia
« Nous sommes bien face à un conflit religieux, mais pas entre chrétiens et musulmans. Il s'agit de salafistes extrémistes qui tuent des musulmans accusés de ne pas appliquer correctement la charia », expliquait au Monde, le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos en mars.
Lorsqu'elle apparaît, au début des années 2000, la secte, dirigée par Mohammed Yusuf, prône l'application stricte de la loi islamique et, pour cela, l'établissement d'un califat. Aujourd'hui, la charia est en vigueur dans douze Etats du nord du pays. Dans l'Etat de Kano, cible de l'attentat de vendredi, elle s'applique même au pénal.
- La collaboration avec le pouvoir
En 2009, l'organisation se radicalise lorsque certains de ses militants sont blessés au cours d'un contrôle de police. En représailles, Boko Haram lance plusieurs attaques auxquelles l'armée répond par une répression massive dans la ville de Maiduguri, fief de la secte. Mohammed Yusuf est arrêté et tué par les forces de l'ordre.
En 2010, Abubakar Shekau, numéro deux de Mohammed Yusuf, prend la tête de la secte. Ses objectifs sont moins clairs : si l'application intégrale de la charia demeure, le mouvement revendique entre autres la libération de ses membres emprisonnés et souhaite honnorer ses martyrs.
Or, à ses yeux, les chefs religieux traditionnels nigérians collaborent de trop près avec le gouvernement central de cet Etat fédéral, pervertissant ainsi l'islam. Car les tensions confessionnelles sont marquées dans ce pays scindé entre un Nord pauvre et à majorité musulmane et un Sud plus riche, notamment grâce aux ressources pétrolières, et à dominante chrétienne – le président Goodluck Johnatan représentant de cette région étant lui-même protestant évangélique.
« Aujourd'hui, au-delà de la question religieuse, Boko Haram est un groupe nourri par un sentiment de vengeance à l'égard de l'Etat nigérian, qui a éliminé nombre de ses membres mais peine lui-même à adopter une stratégie claire », précisait au Monde le chercheur Gilles Yabien en avril.
- La réaction des dignitaires musulmans
Les critiques des hauts dignitaires musulmans nigérians à l'encontre de la secte islamique Boko Haram se font de plus en plus audibles. La semaine dernière, l'émir de Kano, personnalité très influente, avait appelé la population du nord du pays à prendre les armes contre les islamistes face à l'apathie de l'armée.
Lundi 24 novembre, le sultan de Sokoto, considéré comme le chef des musulmans dans le pays, a de son côté lancé des critiques cinglantes contre les militaires. Dans un communiqué de l'Organisation des musulmans du Nigeria (JNI), Muhammad Sa'ad Abubakar, les a ainsi accusés de fuir à chaque approche des insurgés.
« Les forces de l'armée nigériane ne refont surface qu'après la fin des attaques meurtrières, et terrorisent davantage des populations déjà terrorisées, en installant des barrages routiers et en fouillant les maisons »
Plus de 13 000 personnes ont été tuées depuis le début en 2009 de l'insurrection de Boko Haram. Près de 1,5 million d'habitants ont été déplacés par les violences. L'état d'urgence dans trois Etats du nord-est du Nigeria, en vigueur depuis mai 2013, a expiré jeudi. Les violences n'ont cessé d'empirer depuis 18 mois dans les Etats concernés (Borno, Yobe et Adamawa), où au moins une vingtaine de villes sont contrôlées par les islamistes.
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