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Le « come-back » en politique est une exception française

Hors de France, on n’imaginerait pas d’adouber à nouveau un ancien président après sa défaite, comme le fera probablement l’UMP pour Nicolas Sarkozy.

Publié le 27 novembre 2014 à 15h00, modifié le 19 août 2019 à 14h11 Temps de Lecture 5 min.

Nicolas Sarkozy arrive au siège de l'UMP pour voter le 29 novembre.

Cinq ans à l’Elysée, cinq fois ministre, des mandats à la pelle. En quarante ans de vie politique – depuis son adhésion à l’UDR, en 1974, jusqu’à sa probable élection, samedi 29 novembre, à la présidence de l’UMP –, Nicolas Sarkozy a tout connu. Des victoires triomphales et de cuisantes défaites : l’échec de son candidat, Edouard Balladur, en 1995, qui lui valut d’être conspué par les militants RPR ; la déroute de la liste qu’il conduisait avec Alain Madelin aux élections européennes de 1999 ; les fiascos enregistrés par son camp à quasiment tous les scrutins lorsqu’il était chef de l’Etat, suivis par sa propre défaite face à François Hollande, en mai 2012.

Chacun de ces revers, il l’a payé d’une « traversée du désert » (1995-1997, 1999-2001, 2012-2014) pour revenir ensuite – y compris sur ses adieux –, le visage couturé de ces cicatrices que les Français affectionnent. Nous sommes bien les seuls.

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Pour un Berlusconi, combien de Carter, Clinton, Aznar ?

Hors de nos frontières, nul n’aurait politiquement survécu aussi longtemps avec un tel bilan. Pour un Silvio Berlusconi deux fois revenant en Italie, ou quelques dynasties se succédant en Grèce, combien de dizaines de Jimmy Carter, Bill Clinton, Margaret Thatcher, Felipe Gonzalez, José Maria Aznar et autres Gerhard Schröder se sont vu délivrer un aller simple au lendemain d’une défaite électorale ? Sans compter ceux qui ont devancé l’appel sous la pression de leur parti : ainsi, le premier ministre britannique Tony Blair annonçant, en septembre 2006, qu’il quitterait le pouvoir moins d’un an plus tard. Parole tenue le 27 juin 2007, lorsqu’il passa la main à son rival du Parti travailliste, Gordon Brown.

Ailleurs, on congédie au premier revers national (quand on ne l’anticipe pas), ici, on congèle, en attendant des jours meilleurs. Dans un régime instauré lors d’un retour – celui du général de Gaulle, en 1958, après douze ans de « retraite » –, François Mitterrand puis Jacques Chirac ont été deux fois candidats à l’Elysée avant d’être élus à leur troisième tentative.

Sans partager pour autant l’appel au « coup de balai » lancé par Jean-Luc Mélenchon au printemps 2013, on peut s’interroger sur cette exception française, qui nous vaut, à force d’éternels retours et de longévités sans pareilles, de retrouver toujours les mêmes aux avant-postes.

On vote pour un homme, pas pour un parti

Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, l’affaire vient de loin. « Héritée du catholicisme et de la monarchie, explique-t-il, notre culture politique accorde à la personnalisation du pouvoir une plus grande importance » qu’à l’étranger, où la politique est davantage vécue comme un service. Notre « attachement à la personne du roi, puis de l’empereur » s’est « reporté sur la personne des politiques », insiste-t-il. Le mode de scrutin uninominal et le cumul des mandats – une autre exception française –, y compris dans le temps, pèsent de tout leur poids sur le même plateau de la balance. S’ajoute l’absence de statut de l’élu qui contribue, elle aussi, à une professionnalisation de la politique rivant ses pratiquants à leurs fauteuils. Résultat : on vote en France pour un nom, plus que pour un parti. Et l’on s’attache à un homme – ou une femme – plus qu’à l’institution qu’il (ou elle) représente. Au point de reconduire son chef quoi qu’il ait fait, ou de le suivre par-delà la défaite. Si l’on songe, en outre, à la fascination que les « losers » exercent sur les Français – « l’effet Poulidor », du nom de l’éternel second des pelotons –, tout responsable politique ayant un brin d’ambition peut avoir jusqu’à son dernier soupir des raisons d’espérer.

Ce qui est monnaie courante dans nombre de circonscriptions et de communes vaut, a fortiori, pour les rares leaders qui sont présumés aptes à concourir pour la magistrature suprême. L’élection présidentielle – encore une exception française ! –, qui accorde au vainqueur des pouvoirs sans équivalent ailleurs, est le sommet de la pyramide, la quintessence d’un système qui ne favorise guère le renouvellement. Loin s’en faut.

La revanche du battu

C’est la mère de toutes les batailles, et sa conquête s’apparente à une guerre, où l’on attend du battu qu’il prenne sa revanche. « Quand [le 21 avril 2002] le protestant Jospin a dit J’arrête, personne n’a compris, rappelle Dominique Rousseau. Tout le monde l’a critiqué, l’accusant d’abandonner son camp au milieu de la bataille, alors qu’il se conduisait comme le font les hommes politiques à l’étranger. » La politique vécue et perçue comme une guerre qui « n’est jamais terminée » : tel serait, selon ce juriste, un de nos autres particularismes. Celui-ci remonterait à la valse des régimes qui a suivi la Révolution française et à la manière pour le moins conflictuelle dont la modernité politique – et la République – s’est construite dans notre pays.

Ni le SPD ou la CDU ni les travaillistes ou les conservateurs au Royaume-Uni, pas davantage le Parti populaire ou le Parti socialiste (PSOE) en Espagne, n’auraient l’idée saugrenue de porter à leur tête un perdant, a fortiori de l’investir pour un scrutin de portée nationale. Le républicain américain Richard Nixon, battu par John Kennedy en 1960 mais finalement élu en 1968, et le chancelier allemand Helmut Kohl, qui prit le pouvoir en 1982 alors qu’il avait été battu en 1976, font figure d’exceptions. Rien de tel chez nous, où le « come-back » est un sport national.

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Alors que, ailleurs, « les partis produisent les leaders », comme le souligne Dominique Rousseau, c’est plutôt l’inverse en France, où ils servent pour l’essentiel d’écuries présidentielles. François Mitterrand s’est adossé à un Parti socialiste élargi qu’il a bâti lors du congrès d’Epinay, en 1971. Le RPR fondé en 1976 était une machine de guerre au service de Jacques Chirac. L’UDF, deux ans plus tard, en fut la réplique giscardienne. L’homme, plutôt que sa fonction ; le chef, plutôt que son parti. Cela vaut sur tout l’échiquier politique, du modeste MoDem indexé au panache intermittent de son président, François Bayrou (déjà trois campagnes présidentielles à son actif), jusqu’à l’extrême gauche : Arlette Laguiller a bien davantage marqué les esprits avec ses six candidatures à l’élection présidentielle que la formation (Lutte ouvrière) dont elle portait les couleurs.

Ce « modèle », fort décalé par rapport à nos voisins, n’est-il pas dépassé ? « Il n’est pas sûr que la société française, voyant ce qui se passe à l’étranger, soit toujours prête au fixisme politique », estime Dominique Rousseau, qui juge pour cette raison que le retour de Nicolas Sarkozy ne sera pas forcément gagnant. Il reste que son rival – précocement – annoncé pour 2017, Alain Juppé, n’est pas non plus un perdreau de l’année.

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