“Iranien” : un réalisateur s'enferme 48 heures avec des mollahs

Cinéaste de gauche, athée, exilé, un Iranien filme sa rencontre avec des mollahs. Durant deux jours, le dialogue entre adversaires est maintenu. Décryptage de deux extraits de son film.

Publié le 06 décembre 2014 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h24

Quand un réalisateur iranien, athée, de gauche et exilé en France, taille la bavette avec quatre mollahs de la République islamique d’Iran, ça donne quoi ? Iranien, un documentaire en huis clos, drôle et dérangeant, qui fait du dialogue avec ses meilleurs ennemis sa pierre angulaire.

« Je suis un Iranien qui ne pense pas comme eux ». Iranien, Mehran Tamadon l'est tout autant que ses « adversaires » : les idéologues religieux de la République islamique. Sauf qu'en tant que cinéaste opposé à la dictature, il n'est pas vraiment en odeur de sainteté en Iran. 

Comment faire, donc, pour relever la tête devant ceux qui préfèrent vous la maintenir baissée ? Mehran Tamadon n'ayant pas « un tempérament de victime », il a tranquillement décidé d’aller compter les dents dans la gueule du loup. Ou comment passer 48 heures à discuter laïcité, place des femmes et musiques sacrilèges avec quatre rhéteurs érudits au poil dru.

A l’arrivée, l’expérience a tout pour titiller le mollah, déboussoler le spectateur occidental et faire enrager tous ceux pour qui dialoguer revient à collaborer.

Dans Bassidji, son précédent documentaire, Tamadon partait à la rencontre des gardiens de la Révolution, les mêmes qu'on a vus courser et frapper les manifestants pro-Moussavi en juin 2009. Même démarche de dialogue, même volonté de comprendre. Après trois ans de vaines tentatives, d’intimidations en confiscation de passeport, le réalisateur organise cette fois le match retour, à domicile.

Le terrain d'affrontement ? Une villa confortable, à soixante kilomètres de Téhéran. Les mollahs sont arrivés en taxis, ils resteront deux jours et une nuit. Venus sans leurs épouses, ils accepteront finalement qu’elles les rejoignent, mais pas qu’elles participent à l’expérience…

Dans les séquences précédentes, on a vu le cinéaste expliquer à ses hôtes le but du « jeu » : à défaut d’idées communes, il s’agit pour les cinq interlocuteurs de s'accorder sur quelques valeurs et principes fondamentaux. Histoire de pouvoir vivre ensemble. Symboliquement, ce lieu neutre est le salon.

A ce stade du débat, la pièce est nue, à l’exception des tapis au sol. Plus tard, elle se « meublera », au fur et à mesure que les ultra-religieux et « l’impie » détermineront quels sont les images, photos et livres à partager dans cet espace. Mais pour l’heure, la conversation achoppe sur la place et la tenue des femmes en public… 

Avec ses petites lunettes et son air espiègle, le réalisateur s’expose. Il est dans le champ. Pas question de donner l’impression d’offrir à ses contradicteurs une tribune sans contrepartie. Tamadon nous représente à l’écran, nous, citoyens des démocraties occidentales. C’est à travers lui que nous voilà, pour la première fois de notre vie sans doute, en pleine joute oratoire avec l’ennemi.

Deux personnages principaux se démarquent dans la scène : Mehran Tamadon, bien sûr, et aussi le plus impressionant des quatre mollahs, souvent filmé en plan serré. La barbe et l’œil noirs, il ne laisse rien passer. En débatteur redoutable, il connaît toutes les vieilles ruses du discours : mauvaise foi, syllogismes, sophismes et consorts.

De son côté, le cinéaste manque parfois de réactivité et peine à retourner le raisonnement du camp adverse. Par crainte de se voir accuser de manipulation ou par volonté iconoclaste de bousculer nos certitudes, il a donc laissé au montage les silences embarrassés de son « personnage ». Résultat : on enrage et c’est bien ce qui rend le fim passionnant : saurions-nous, à la place de l’auteur, river leurs clous aux suppôts de l'obscurantisme made in Persia ?

Exit le huis clos dialectique. Cette fois, le cadre est moins strict. Nous sommes toujours dans la maison, toujours dans les parties communes, mais côté cuisine, détente et conversations informelles. C’est une scène étonnante où l’on voit deviser, (presque) comme des amis en vacances, des gens qui, à l’extérieur de la villa, dans le hors champ du film, se font la guerre.

En réalité, il suffit probablement d’un mot de ses « invités » pour empêcher le cinéaste de quitter l’Iran, et de retrouver sa famille à Paris. La paix est donc fragile, mais tant qu’elle dure…

C’est l’occasion inespérée de raconter, au nez et à la barbe des mollahs impassibles, qu’il a vécu trois ans en couple avec son amie avant de l’épouser. Mine de rien, Mehran Tamadon est donc en train de réussir exactement ce pour quoi il a voulu faire son film : confronter l’intolérance à l’altérité. En évoquant sa situation conjugale, il fait entendre sa différence dans un pays où le concubinage est aussi incrongru que la polygamie dans nos vertes contrées. Les mollahs ne bronchent pas. Personne ne se lève pour quitter la pièce. Petite victoire.

Outre son caractère savoureux, la scène a un autre intérêt : le pouvoir de faire tomber quelques préjugés stupides. Il suffit de voir ce mollah le nez sur son logiciel de référencement des fatwas, et l’autre, smartphone à l’oreille, assurant la hotline des bonnes mœurs musulmanes, pour être convaincu une bonne fois que non, obscurantisme ne rime pas forcément avec technophobie. 

Le sujet est grave – une jeune femme, malheureuse en ménage, rapporte une grossesse non désirée – mais en empêcheur de prêcher en rond, le réalisateur laisse tourner la caméra suffisament longtemps pour laisser aux mollahs le soin de s’autocaricaturer. Montage irrévérencieux, qui clôt la scène sur une note d’humour absurde. Les fous de Dieu ont beau avoir le pouvoir en Iran, Mehran Tamadon garde le director’s cut. 

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