En fait, vous pourrez sûrement continuer à acheter vos clopes en ligne

En fait, vous pourrez sûrement continuer à acheter vos clopes en ligne

Les députés viennent de voter l’interdiction de l’achat de tabac en ligne. Mais la vente était déjà sanctionnée et les douaniers n’ont pas les moyens de fouiller tous vos colis.

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Une cigarette  la main
Une cigarette à la main - Marius Mellebye/Flickr/CC

 

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Voilà, les buralistes ont gagné. Grâce à une efficace action de lobbying, ils ont obtenu que le gouvernement sanctionne l’achat de cigarettes sur Internet. C’est un amendement défendu par Christian Eckert, le roucoulant secrétaire d’Etat au Budget, qui punit l’acquisition de clopes en ligne d’un à cinq ans d’emprisonnement (si la revente s’effectue en bande organisée).

En réalité, la « commercialisation à distance » de cigarettes est déjà interdite. Mais il est toujours très facile, si l’on ne craint pas les arnaques, de faire ses emplettes sur des sites hébergés à l’étranger, qui proposent « au consommateur français d’acheter des cigarettes a des prix situés nettement en dessous de ceux en vigueur en France ».

Capture d'cran du
Capture d’écran du « A propos de nous » de Tabac-Online.eu - Tabac-Online.eu

Le gouvernement a donc souhaité compléter le code des impôts pour interdire l’achat. Concrètement, si du tabac est découvert dans un colis qui vous est adressé, ça pourrait chauffer pour vos fesses.

Le chien du douanier

« Acheter des cigarettes sur Internet pourrait désormais vous coûter cher », claironne ainsi la presse. Mais cela semble bien exagéré. En pratique, il est difficile pour les douanes de contrôler vos colis.

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Pourquoi, déjà ?

En présentant son amendement, Christian Eckert était assez clair quant à ses motivations. Il parle très peu de santé publique, mais beaucoup des « buralistes » et des « recettes fiscales de l'Etat ».

Le gouvernement s'appuie sur une directive européenne [PDF], mais va au delà puisque cette dernière ne concerne que la vente.

Lors de la séance publique, à l’Assemblée, Christian Eckert s’est voulu optimiste :

« J’ai moi-même constaté sur le terrain comment opéraient les services des douanes, notamment dans les entrepôts des distributeurs, qu’il s’agisse de La Poste ou des opérateurs étrangers, à partir des repérages effectués et de la détection d’achats massifs. »

En effet, les douanes peuvent effectuer des contrôles dans les centres de tri du courrier (fret postal) ou dans les entrepôts de transporteurs tels TNT ou DHL (fret express) à l’aide de chiens ou de scanners.

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Ainsi, selon le gouvernement, les services douaniers auraient procédé à 2 746 constatations sur les frets express et postal, en 2013. Cela représente plus de 22 tonnes de produits du tabac.

Les contrôles douaniers du tri postal de Chilly-Mazarin
Téléssonne, octobre 2011

Les chiffres sont impressionnants, mais il faut les comparer aux milliers de colis traités par La Poste ou des opérateurs privés. Joint par Rue89, un membre de la CFDT-Douanes explique que leurs moyens ne permettent de contrôler qu’une fraction de ces flux.

Juste de quoi dissuader les braves gens

Un rapport sénatorial, publié l’année dernière, faisait le même constat, dans le langage châtié de l’administration :

« Le développement du commerce en ligne de biens matériels constitue “une manne providentielle pour les fraudeurs”, comme le reconnaît la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). [...] Avec le commerce en ligne, les commandes font l’objet d’une multitude d’envois fractionnés, principalement par fret express ou par fret postal. En conséquence, le nombre de contrôles nécessaires pour parvenir à des saisies ou à des redressements significatifs s’en trouve démultiplié. Au-delà même du morcellement des envois, ce sont les caractéristiques propres au commerce en ligne qui facilitent considérablement la fraude : quasi-anonymat, facilité de (re)création des sites, absence de contrainte territoriale, etc. »

En clair, si vous achetez quelques cigarettes en ligne, il y a des chances qu’elles ne soient pas interceptées par les douanes. Ces dernières se concentrent d’ailleurs sur les gros trafics, qui servent ensuite à la revente en France.

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Un autre douanier, joint par Rue89 :

« C’est une mesure pour dissuader le bon public, mais tant qu’on diminuera les effectifs, cela n’aura pas de grands effets. »

Face à ces volumes gigantesques, les douanes développent des moyens de ciblage.

Lister les sites et les gros acheteurs

Une récente loi sur la contrefaçon a ainsi créé un traitement automatisé des données fournies par La Poste et les transporteurs. Mais il ne s’agit que d’effectuer des analyses « macro » afin de rendre les contrôles plus efficaces (nature des marchandises, pays d’origine...). Les noms des expéditeurs et destinataires ne sont pas conservés.

Pour aller plus loin, Christian Eckert souhaite que les douanes « transmettent aux opérateurs une liste exhaustive de sites de vente de tabac ». Ainsi, les entreprises de fret pourraient « mener un travail préventif consistant à cesser toute prestation de livraison de tabac vers la France ». De l’autre côté de la chaîne, les douanes « transmettront à ces opérateurs une liste de destinataires identifiés comme de gros acquéreurs de tabac prohibé sur Internet » pour « isoler des colis ».

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Joint par Rue89, La Poste confirme que cela est techniquement possible. Mais d’autres opérateurs pourraient traîner des pieds... Un douanier explique :

« On ne peut pas transformer La Poste ou des opérateurs privés en auxiliaires de douane. Eux, c’est le business, pas le contrôle. De leur côté, tout est fait pour simplifier le flux, l’accélérer. »

Les douanes devront garder à jour cette liste de sites, qui peuvent se déplacer facilement. Pour cela, la directive européenne prévoit « l’enregistrement des détaillants » auprès des « autorités compétentes » et les douaniers disposent de l’unité de Cyberdouane, chargée de surveiller Internet et d’identifier les personnes qui se cachent derrière les sites.

Problème : c’est une petite équipe. Une « dizaine de personnes » seulement. Et on les voit mal réussir à contrôler efficacement à la fois les sites grand public et des recoins plus sombres de l’Internet, même s’ils ont mené récemment des opérations sur le DarkNet.

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