Meliandou, le "Ground Zero" d'Ebola tente de se reconstruire

Meliandou ! C'est dans ce petit village reculé de la Guinée qu'un petit garçon de deux ans a succombé à une maladie étrange... Ebola.

Par Solène Chalvon

C'est dans le village de Milliandou en Guinée que le tout premier cas du virus Ebola a été signalé.
C'est dans le village de Milliandou en Guinée que le tout premier cas du virus Ebola a été signalé. © Le Point Afrique

Temps de lecture : 4 min

"E-bo-la ! E-bo-la !" C'est ce refrain, scandé en faisant mine de se nettoyer les mains, que les jeunes Guinéens forestiers affectionnent lorsqu'ils croisent une peau blanche. Car ici les blancs sont vus comme "ceux qui s'occupent d'Ebola", comme s'en amuse un gamin sur le bord de la route principale de Guéckedou, une ville à cheval entre le Sierra-Leone et le Liberia.

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"Milliandou" signifie "arrêtons-nous là"

À quelque 15 kilomètres de piste au nord, le village de Meliandou. Il comptait encore quatre cents habitants il y a huit mois. Une centaine d'entre eux ont quitté le village depuis. Une autre vingtaine sont morts d'Ebola. Et les moins de trois cents restants survivent, dans le désespoir de leur réputation : Meliandou a vu naître - et filer - le virus Ebola. En kissi - ethnie majoritaire de la forêt guinéenne -, "milliandou" signifie "arrêtons-nous là". La légende veut que deux commerçants aient marché des jours avant de s'arrêter sur cette colline douce, auréolée de modestes parterres de rizières. L'un des deux hommes, flairant le potentiel de la luxuriante vallée, aurait solennellement planté son bâton puis proféré "milliandou !" sonnant la fin du voyage. Le village vit ainsi le jour, exportant paisiblement au fil des années ses feuilles de patate et son riz à la ville voisine, construisant en 1991 à la sueur de ses seuls concitoyens une école, permettant aux enfants d'apprendre à lire et à écrire. Les nouveaux apostoliques et les protestants y possèdent chacun un lieu de culte, et aussi loin que le sage local Eloi Dembadouno s'en souvienne, "jamais personne n'a fait la bagarre à Meliandou".

Émile avait peur des singes

Personne ne peut dire non plus ce qui s'est réellement passé pour que tout bascule. Le cas zéro, c'est-à-dire le premier malade, Émile Ouamouno, deux ans, est mort en décembre dernier. Aucun scénario n'a été confirmé : aurait-il porté à sa bouche une chauve-souris morte ? Son père, Étienne Ouamouno, réfute cette thèse, car la bestiole ne survole la région qu'en février et en mars, et Émile est mort en décembre. Émile avait peur des singes, et ses parents n'en mangeaient pas. Le mystère de l'origine reste donc entier. La soeur, puis la mère et la grand-mère d'Émile décéderont par la suite. C'est la mort en série de ces trois parentes qui est à l'origine de la rumeur fondant les femmes comme seules victimes du virus. Un racontar qui a perduré au sein même du village. Jusqu'au jour où la maladie a tué un homme adulte, Boundoy. "Le mort doit être lavé par une personne du même sexe que lui", assène Suzanne Leno, la représentante des femmes du village. "Ceux qui ont lavé Boundoy - et sont tombés malades ensuite - ont compris qu'Ebola n'est pas une chose de femmes."

Un chasseur de sorciers pour exorciser

Après le sixième mort, les villageois ont fait venir un chasseur de sorciers - un "Wulomo" - pour exorciser Meliandou. Dans une allée étroite, celui-ci a fait planter et orner un bananier. "Si une banane poussait, nous étions libérés..." récite avec gêne Cécé Kpoghounou, le directeur de l'école. Aujourd'hui, les fanions du marabout attachés aux branches caressent les régimes de bananes, et les "tombes Ebola" formées de petits cercles de pierres ont essaimé dans le village un peu partout. Depuis que le "Wulomo" a planté son bananier, 1 306 personnes sont mortes en Guinée, 3 145 au Liberia, et 1 530 en Sierra Leone. À Meliandou, les derniers morts ont bénéficié d'enterrements "sécurisés" par la Croix-Rouge guinéenne, qui a su implanter des règles d'hygiène strictes dans un village très enclin au respect des rites funéraires. "Nous avons beaucoup progressé sur l'admission de nos équipes lors des enterrements", reconnaît Youssouf Traoré, le président de la Croix-Rouge guinéenne. "Faire accepter aux populations forestières de ne pas toucher les corps, c'était un gros enjeu. Il a fallu être dans la négociation permanente."

Le mort enveloppé d'un linceul

En effet, aux dires des villageois, il y a eu de gros accommodements. L'idée de crémation des morts est douloureuse pour un Kissi. Alors en enterrera, mais avec un mètre de profondeur supplémentaire. Les villageois insistent pour que le mort soit enveloppé d'un linceul, matière à haut risque de contamination. Alors on enserrera le linceul autour du sac mortuaire en caoutchouc, plutôt que sur la peau du malade directement. "Et l'équipe médicale envoyée prend soin de participer aux prières et de transmettre les condoléances", assène encore Youssouf Traoré. Des directives non vaines, puisque la "confiscation" des rites funéraires est à l'origine de tensions grandissantes en guinée forestière, malgré les "exploits" dont la télévision nationale s'enorgueillit au fil des heures. Dans la préfecture de Gueckedou, cela va mieux.

"Feuille de patate pas feuille d'Ebola"

À notre demande, le préfet a fait le tour des villages pour expliquer aux gens qu'ils avaient besoin de nous", explique Pascal Piguet, responsable chez MSF du Centre de traitement Ebola. "C'est autour que cela gronde maintenant", résume-t-il amèrement. Avec les appuis du Programme alimentaire mondial, qui a pu apporter à l'intérieur du village des denrées alimentaires, et les enterrements sécurisés de la Croix-Rouge, Meliandou s'est débarrassé d'Ebola il y a trois mois. Les villageois, lorsqu'ils se rendent à Gueckedou pour vendre leurs produits, s'empressent de l'annoncer lorsqu'ils sont en proie au rejet. "Je leur dis c'est feuille de patate pas feuille d'Ebola quand on vient me chercher des problèmes", explique fermement Suzanne Leno. "Tout ce qu'ils veulent, c'est que tu les vendes moins cher."