Même si Jean-Marie Gustave Le Clézio et Patrick Modiano sont difficilement comparables en termes d'écriture, leur situation au moment de l'annonce du Nobel présente d'étranges similitudes : tous deux ont été publiés par Gallimard dès l'âge de 23 ans, tous deux venaient de publier chez ce même éditeur un nouveau roman dans le mois précédant la prestigieuse distinction : Ritournelle de la faim pour le premier et Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier pour le second. Et tous deux ont ensuite connu un pic de ventes.
Certes, les deux auteurs sont loin d'être des inconnus, y compris à l'étranger - celui qui prononcera son discours, dimanche à Stockholm, était déjà traduit dans trente-six langues -, mais le Nobel de littérature leur a servi de tremplin en matière de notoriété et de ventes. Ainsi, JMG Le Clézio a vendu 540 000 ouvrages en France, tous titres confondus, en 2008, l'année de son Nobel, contre 120 000 l'année précédente, selon les chiffres de l'institut GFK. Quant à l'auteur de Dora Bruder, il a déjà écoulé 404 000 ouvrages cette année, contre 41 000 l'an passé, alors que les achats de Noël ne font que commencer.
LE COEFFICIENT MULTIPLICATEUR DU NOBEL
Cette multiplication par dix des chiffres de vente correspond à la moyenne enregistrée pour les auteurs, qu'ils soient peu connus avant d'être distingués (comme le poète suédois Tomas Tranströmer, lauréat en 2011, ou la romancière allemande d'origine roumaine Herta Müller, en 2009) ou que leur notoriété d'écrivain ait largement précédé la récompense, à l'instar de l'auteure du Carnet d'or, Doris Lessing (Nobel 2007), ou du Péruvien polyglotte Mario Vargas Llosa (Nobel 2010). Lauréate en 2013, la Canadienne Alice Munro, auteure de nouvelles et de romans, était, jusqu'à l'attribution du prix, connue et appréciée par des critiques littéraires et un petit cercle de fidèles lecteurs. De 3 500 en 2012, ses ventes ont décollé à 126 500 en 2013. Mieux, en 2014, elles se sont maintenues, à 101 000 ouvrages.
Car l'une des forces du prix Nobel est de créer des « long-sellers », dès lors que les éditeurs se mettent au service de leur lauréat. Le service des droits étrangers de Gallimard a ainsi donné son feu vert à une centaine de réimpressions immédiates des romans de Modiano, dans une trentaine de pays, à la suite de l'attribution de la distinction suprême.
UN TIMING SERRÉ
« Comme l'effet Nobel immédiat ne dure que très peu de temps, il me fallait battre le fer pendant qu'il était chaud », explique Anne-Solange Noble, responsable des droits étrangers chez Gallimard. Les lecteurs, déçus de ne pas trouver suffisamment de titres à l'annonce du prix en octobre, auront de quoi se mettre sous la dent quand les médias remettront cette actualité à l'honneur, le jour de la cérémonie officielle, le 10 décembre.
Ce n'est qu'une fois les titres republiés et retraduits que Gallimard a accepté de céder les droits des romans plus récents de Modiano. Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier fait déjà l'objet de seize accords, signés auprès des plus prestigieux éditeurs (Hanser en allemand, Anagrama en espagnol, Einaudi en italien, MacLehose Press en anglais, Shanghai 99 en chinois). Enfin, outre les 900 000 € décernés par le comité, le Prix Nobel voit ses revenus augmenter grâce à tous les contrats de réimpression. Et comme l'effet se poursuit dans le temps, Patrick Modiano devrait voir le pic de vente de ses exemplaires traduits en 2016... avec paiements correspondant en 2017. Entre-temps, son lectorat aussi aura été démultiplié.
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