Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

TribuneGrands projets inutiles

Le projet absurde qui détruirait la baie de Fort-de-France

En Martinique, la baie de Fort-de-France, à la biodiversité exceptionnelle, est menacée par le projet d’extension du port actuel, pourtant sous-utilisé. Un projet absurde qui va à l’encontre des avis défavorables des commissions environnementales et qui avance sans aucune consultation, le débat public ayant été escamoté. Les associations et les citoyens sont mobilisés.


Pour étendre le port de Fort-de-France, les autorités projettent de draguer 380 000 m3 de boues polluées et de se fournir en 800 000 m3 de matériaux de remblai. Pour ce faire, ils ont opté pour la création d’une mangrove artificielle pour confiner 300 000 m3 de ces boues polluées et le clapage au large du reste. Pour se procurer du remblai, ils ont carrément décider de détruire et concasser les récifs coralliens les plus proches !

Une biodiversité remarquable

C’est en apprenant la destruction programmée de 13 hectares de récifs coralliens sur la caye de la Grande Sèche que la Communauté d’agglomération des communes du Centre de la Martinique a mandaté un groupe de l’Université des Antilles pour qu’elle démarre en urgence un inventaire rapide de la biodiversité sur ce site que l’on dit dégradé.

- Une opération de dragage dans un port à l’est du Morbihan -

Les chercheurs furent surpris par leurs découvertes : 386 espèces différentes, parmi lesquelles 37 espèces de coraux (77 % de la biodiversité des coraux de Martinique), dont trois espèces sont reconnues « vulnérables » et deux « en danger », par le classement UICN.

L’étude relève aussi la présence d’une espèce de zoanthaire inconnue à ce jour et d’une autre espèce « en danger », le mérou de Nassau (Epinephelus striatus), seul prédateur connu du Poisson Lion, animal invasif pour lequel l’éradication a été réclamée par les services de l’Etat.

« La baie de Fort-de-France présente des conditions très particulières, explique un chercheur, elle recueille l’eau saumâtre de trois mangroves. La présence d’espèces rares font de ses cayes [petite île basse principalement composée de sable et de corail, ndlr] qui les accueillent des biotopes uniques en Martinique ».

Des mesures compensatoires aberrantes

Évidemment, des mesures compensatoires ont été promises : une mangrove artificielle, le repérage et la transplantation de coraux et la création de coraux artificiels...

Une mangrove artificielle ? Selon les termes même du Président du Parc Naturel Régional de la Martinique (PNRM), « une mangrove se constitue et existe par les effets de flux et de reflux et en aucun cas ne pourrait empêcher les sédiments pollués de s’évacuer dans la baie », et il ajoute que ces sédiments pollués « risqueraient de se retrouver dans le périmètre concerné par un projet de réserve naturelle ».

De plus, la création de mangrove artificielle n’est qu’au stade de l’expérimentation, celle promise dans la commune du Marin n’a d’ailleurs jamais vu le jour...

Transplanter des coraux ? Les coraux caribéens sont généralement caractérisés par une croissance très lente entre 0,3 et 1,2 cm/an. Les massifs coralliens dont il est question sont multiséculaires et pèsent plusieurs tonnes. Ces structures sont le résultat d’une construction minutieuse dans des conditions spécifiques. Ils ne sont donc pas transplantables…

Des coraux artificiels ? Dans quelle mesure des constructions en béton peuvent-elles se substituer à des constructions coralliennes pour abriter une biodiversité si spécifique ?

Une démarche douteuse

Quant à la démarche adoptée pour ce projet, elle est discutable à plus d’un titre. L’étude d’impact fait état d’une caye dégradée n’abritant qu’une seule espèce « vulnérable » ; cette observation est très éloignée des résultats obtenus par les chercheurs de l’Université.

Par ailleurs, elle comporte beaucoup d’insuffisances (fiabilité des données en courantologie, absence d’étude sédimentologique...) pointées dans un avis très critique rendu par l’Autorité Environnementale.

L’Agence Régionale de la Santé a rendu un avis défavorable au motif que le dossier n’apportait pas d’« éléments d’appréciation suffisants ». Et enfin, dans son avis, l’Office de l’Eau rappelle que les projets détériorant la qualité des masses d’eau, ce qui est le cas de ce projet, doivent faire l’objet d’un dossier Projet d’Intérêt Général, tout en précisant que « l’inscription d’un projet, à ce titre, réclame par conséquent de disposer d’arguments sérieux ». Ce projet dispose-t-il d’arguments solides ?

Le débat public a été escamoté ; la grande majorité des élus interrogés par le Collectif n’était pas informée du projet, même son de cloche au niveau des associations, le registre d’enquête publique est vierge... Et bien qu’il soit question de coraux, l’Initiative Française pour les Récifs Coralliens (lFRECOR) n’a pas été consultée, le PNRM non plus, contrairement à ce qu’a affirmé le Préfet dans un courrier adressé à l’ASSAUPAMAR, ces propos ont donné lieu à un vif démenti du Président du PNRM.

C’est ainsi qu’en absence de réelle concertation, ni débat, et malgré les avis très critiques des organismes consultés, un arrêté préfectoral en octobre 2013 autorisa ces travaux.

Pourquoi donc agrandir de cette façon un port que tous savent sous-utilisé ? Dans une île en panne de développement, l’argument économique est automatiquement avancé. Pourtant, dans son avis, l’Autorité Environnementale, dont les questions économiques ne sont pas la spécialité, s’autorise à qualifier d’« irréalistes », les hypothèses sur lesquelles reposent les justifications économiques du projet.

Après le scandale du chlordécone, un pesticide particulièrement toxique et rémanent, la lutte contre l’épandage aérien, ce sont nos coraux qui sont menacés pour des raisons économiques contestables...

A l’heure où les politiques vantent l’« exception biologique et géologique » de la Martinique qu’ils espèrent faire inscrire au Patrimoine de l’Humanité, il serait temps d’allier le geste à la parole et faire de la préservation de l’environnement une priorité.


-  Signer la Pétition en ligne

-  Complément d’info : La requête en référé suspension déposée par l’ASSAUPAMAR concernant le projet d’extension du port de Fort-de-France sera étudiée par le Tribunal administratif de Fort-de-France le 6 janvier 2015.

Fermer Précedent Suivant

legende