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Comment le djihad recrute de jeunes Européens

Le chercheur Peter Neumann analyse le parcours des combattants engagés en Syrie avec l’Etat islamique.

Par  (Londres, correspondant)

Publié le 10 décembre 2014 à 18h49, modifié le 19 août 2019 à 14h03

Temps de Lecture 3 min.

Capture d’écran d’une vidéo de propagande de l’Etat islamique du 20 novembre, montrant des Français partis combattre au sein de l'organisation qui brûlent leurs passeports.

Au sixième étage d’un bâtiment universitaire du King’s College, au cœur de Londres, une batterie de chercheurs, penchés sur des écrans d’ordinateurs, entretient des dialogues un peu particuliers par le biais des réseaux sociaux : ils suivent en permanence l’abondante production en ligne des jeunes Européens partis faire le djihad en Syrie ou en Irak et de ceux qui rêvent de les suivre. Avec certains, ils conversent. Le Centre international pour l’étude de la radicalisation (ICSR), créé en 2008, s’est fait une spécialité d’analyser la montée de l’islamisme sous toutes ses formes et, en particulier, les mécanismes de l’engagement de ressortissants des pays occidentaux dans le djihadisme. Son directeur, le politologue Peter Neumann publiait, jeudi 11 décembre, la première étude consacrée au coût humain du djihadisme mondial, dont il a confié l’exclusivité française au Monde.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés « Plus de 80 % des victimes du djihadisme sont des musulmans »

Elaboré par l’ICSR en collaboration avec BBC World, le document recense 5 042 morts au cours du mois de novembre. Si l’Etat islamique est responsable de plus de 40 % de ces morts en Syrie et en Irak, quinze autres groupes opèrent dans douze autres pays, du Nigeria à l’Afghanistan, du Yémen à la Libye.

 

Peter Neumann justifie cette compilation inédite par la volonté de saisir « un instantané du nouveau djihadisme mondial » et de son « immense coût humain ». Alors que les exécutions d’otages occidentaux sont fortement médiatisées, ce n’est pas le cas, selon lui, de ces centaines d’attaques dont les victimes sont en majorité des musulmans.

Le chiffre de 700 morts en un mois en Afghanistan, ajoute-t-il, tend à montrer que ce pays n’est nullement pacifié. « Certes, les groupes locaux sont différents, estime M. Neumann, mais ils ont en commun une conception du djihad : l’obligation individuelle des jeunes gens de combattre et le projet d’une société sans élection ni droits démocratiques. »

Malaise identitaire

« Pour la première fois, l’Etat islamique propose un projet qui paraît si enthousiasmant, qu’il attire 16 000 jeunes venus du monde entier. Parmi ceux que nous suivons, précise le patron de l’ICSR, je n’ai jamais vu un pareil engouement. On a maintenant des 15-17 ans attirés dans l’orbite jihadiste. Le danger est que la vieille génération leur passe le relais. C’est ce qui est en train de se passer. » Face à l’émergence de cette « idéologie ancrée mondialement », les moyens militaires ne suffiront pas, analyse le chercheur.

Peter Neumann estime que la Syrie est, à l’instar de l’Afghanistan des années 1990, le laboratoire d’un futur terrorisme en Occident. « Je ne sais pas si nous aurons un attentat demain ou le mois prochain. Mais ce dont je suis sûr, dit-il, c’est qu’en ce moment, des gens se réunissent en Syrie et Irak et tissent des liens qui provoqueront des attaques terroristes. »

Capture d’écran d’une vidéo de propagande de l’Etat islamique du 20 novembre, montrant des Français partis combattre au sein de l'organisation qui brûlent leurs passeports.

M. Neumann tend à minimiser le rôle des réseaux sociaux dans le recrutement de ces jeunes. « L’idée qu’en regardant des vidéos, on décide soudain de partir pour la Syrie ne correspond pas à la réalité. Ce sont des groupes de jeunes qui se rencontrent dans une mosquée ou dans un kebab et se radicalisent ensemble. Quand l’un d’eux part, la pression amicale du groupe opère, et d’autres le suivent. » A la base de leur engagement en Syrie, pour l’essentiel, les ingrédients sont toujours les mêmes : le malaise identitaire des enfants d’immigrés mal acceptés, la rencontre avec le discours salafiste dont les réponses tranchées résolvent le dilemme identitaire, désignent des ennemis et confèrent une impression de supériorité.

Programmes de « déradicalisation »

Aucun « modèle » d’intégration ne protège contre l’engagement djihadiste. L’universitaire souligne même une sorte de paradoxe : les pays réputés les plus tolérants – Danemark, Norvège, Suède, Pays-Bas – sont, avec la Belgique, ceux qui produisent le plus de combattants islamistes proportionnellement à leur population. La France est touchée, mais ne figure pas en tête de liste.

La proximité de l’ICSR avec des jeunes djihadistes à toutes les étapes de leur engagement donne du poids aux pistes d’action suggérées par Peter Neumann. « Il est très important d’empêcher les jeunes de partir en Syrie, dit-il, mais c’est une très mauvaise idée d’empêcher les retours en retirant passeport ou nationalité. Certains, environ 20 %, vivent une totale désillusion et pourraient être des voix puissantes pour dissuader d’autres départs. » Le chercheur prône des programmes de « déradicalisation » pouvant s’accompagner d’une solide surveillance et n’effaçant nullement les sanctions.

Entraver les retours, ce serait « rejeter sur d’autres nos responsabilités », estime-t-il. Mais ce serait surtout se préparer à de terribles lendemains : « Dans les années 1990, les pays arabes ont empêché le retour des djihadistes d’Afghanistan, rappelle-t-il. Ils ont alors essaimé sur tous les fronts du terrorisme », en Bosnie, en Tchétchénie, et, le 11-Septembre, aux Etats-Unis.

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