Radio France va-t-elle se mettre à vendre des voitures ?

Parmi les solutions proposées par Mathieu Gallet face au déficit de 20 millions de Radio France, l'augmentation des recettes publicitaires. Un décret autorisant les messages émanant de marques sera-t-il adopté ?

Par Aude Dassonville

Publié le 12 décembre 2014 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h24

«Il va y avoir des choix structurants à faire. » A Radio France, l’heure est grave. Auditionné le 10 décembre par les députés, le PDG Mathieu Gallet a annoncé que, pour la première fois, Radio France présenterait l’année prochaine un budget en déficit d'une vingtaine de millions d'euros. La dotation de l’Etat – qui, à force de stagner, commence à baisser – ne suffirait plus à éponger les coûts liés au chantier de rénovation, à la masse salariale, aux taxes foncières, etc. Il faudrait donc faire des économies. Plan social ? Fermeture d’une des sept antennes (Le Mouv', très vraisemblablement) ? La liste des possibles est longue.

En parallèle, il faut trouver de nouvelles ressources. Le 12 septembre, sur BFM Business, le patron de la maison ronde estimait la publicité « très contrainte » sur ses antennes, arguant de la nécessité de développer leur portefeuille d'annonceurs. Davantage de pub sur France Inter, Info, Bleu et Le Mouv’, seules radios publiques à les accueillir ? Evanouissements chez les publiphobes, pour lesquels un environnement sonore exempt de marques commerciales vaut garantie d’indépendance éditoriale. Vapeurs chez les concurrents, que la crise fait déjà se recroqueviller sur des parts de marché peu florissantes.

« La Matmut, elle assure ! » ; « L’énergie est notre avenir, économisons-la » : cela suffit, de se contenter des messages émis par les secteurs publics et parapublics (à la différence de France Télévisions, Radio France ne peut passer que des messages collectifs et d’intérêt général (1)) ! Ou plutôt, cela ne suffit plus : les privatisations intervenues ces « vingt dernières années » ont, justifie-t-il, réduit le spectre des annonceurs autorisés. Et leurs budgets ne sont pas extensibles, ajoute Serge Schick, directeur délégué au marketing et au développement stratégique de Radio France.

Faire voler en éclats la réglementation actuelle

Chaque année, la pub rapporte entre 40 et 45 millions d’euros au groupe public. Une bagatelle, en comparaison de la dotation de plus de 600 millions octroyée par le ministère de la Culture. Mais qui, si elle venait à grossir, viendrait abonder la ligne « ressources propres » du budget, comme Mathieu Gallet s’y est engagé auprès du CSA. « Nous visons une augmentation de 25% dans les cinq ans à venir », précise Serge Schick. Cette échéance correspond à celle du contrat d’objectifs et de moyens, ce fameux COM que Radio France doit prochainement soumettre au ministère de la Culture et de la Communication (2). Entre autres promesses de maîtrise des dépenses et prétentions d’audience, ce texte détaillera les ambitions publicitaires de la maison ; or pour les consolider, il faut pouvoir les diversifier, semble-t-il. Et donc faire voler en éclats le cadre qui les régit depuis… 1986 !

Nul besoin d’une nouvelle loi (et donc d’un vrai débat contradictoire…) pour que les auditeurs soient bientôt incités à acheter une Audi ou une Volvo entre le billet de Charline Vanhoenacker et la météo. Un décret suffirait. En 2008 déjà, il s’en est fallu de peu que cette révolution ait lieu, mais le texte réglementaire, rédigé et prêt à être publié, était passé à la trappe lorsque Nicolas Sarkozy avait annoncé supprimer la pub après 20 heures sur France Télévisions !

Depuis, les stations publiques anticipent discrètement l’avenir. « Ce que Mathieu Gallet réclame, Radio France le fait déjà », fustige Philippe Gault, le président du Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes. Même constat agacé du côté du Bureau de la radio, qui regroupe Lagardère, RTL, Nextradio et NRJ. Dès qu'ils le peuvent, inlassablement, les uns et les autres signalent au CSA des infractions : une réclame pour les pneus Goodyear ici, une pour la compagnie aérienne LuxAir là — aucune qui puisse se targuer d’un caractère d’intérêt général.

Vers un déferlement de messages commerciaux ?

En 2012, l’instance avait envoyé deux mises en garde et une mise en demeure à Radio France. Ces deux dernières années, rien. Et pas parce que la maison serait redevenue vertueuse, insiste Raymond Avrillier. Ce particulier mène une patiente croisade pour inciter le CSA à sanctionner les manquements qu’il constate régulièrement. « La moitié des annonces que l’on entend aujourd’hui ne devraient pas être diffusées », évalue-t-il, pointant des messages du type La Poste Mobile (filiale de téléphonie relevant du secteur concurrentiel…).

Qu’en sera-t-il demain, si le ministère de la Culture donne gain de cause à Mathieu Gallet ? Faudra-t-il supporter un déferlement de messages commerciaux sur les antennes ? Le directeur du marketing se veut apaisant : « Pas question d’altérer la liberté éditoriale ni le confort d’écoute, jure-t-il. Il n’y aura ni tunnels de pubs, ni campagnes de promos sur les prix. » Cela va mieux en le disant. La Société des journalistes de Radio France a, elle, récemment relevé certaines dérives : enchaînement de spots trop longs, ressemblance trop marquée du message publicitaire avec de l'information… Rien de bien rassurant.

Un autre engagement de la direction a toutes les chances, lui, d’être scrupuleusement respecté : celui de ne pas augmenter le volume de pubs actuellement diffusées. France Inter, Info, Bleu et Le Mouv’ ont droit à une demi-heure quotidienne chacune (en comparaison, Europe 1, RTL ou RMC peuvent diffuser jusqu’à 16 minutes par heure !) ; or Inter se « contente » d’une dizaine de minutes, Info et Bleu de 5 à 8 minutes. « Nous devons conserver un espace “préservé” pour les annonceurs », rappelle Serge Schick. Cultiver une certaine rareté pour offrir un « écrin » aux publicitaires : c’est aussi cela, la spécificité du service public…

Très chers parrains
Aux publicités clairement identifiées s’ajoute un autre type de communication : les parrainages, moins contraignants pour les stations. A savoir une citation de huit secondes comportant le nom de l’entreprise, publique ou privée, et la définition de son activité sans argumentaire détaillé. Ils peuvent introduire la météo ou le point route sur Inter, les chroniques voyage, automobile ou jardin sur Info. A l’antenne, ils paraissent « plus fluides » que la pub traditionnelle, selon Serge Schick, qui rêve d’installer ce modèle plus ouvert, susceptible d’attirer des annonceurs tous azimuts, sur l’ensemble des radios du groupe.
Quid de l’ « accompagnement » par un partenaire d’émissions plus longues et élaborées ? On a déjà entendu, dans des documentaires diffusés sur Culture ou Musique, vanter l’aide apportée par une fondation privée ou une compagnie aérienne. A Radio France, on assume sans rougir cette manière de faire des économies. « Le contexte budgétaire se durcit, or les radios doivent aller sur le terrain pour faire vivre leurs antennes. Dans certains cas, des partenariats permettent que ces déplacements nous coûtent moins cher… » Laurence Le Saux

(1) Ils excluent les marques et concernent les produits présentés sous leur appellation générique, les causes d’intérêt général, les messages des organismes publics ou parapublics et des administrations.

(2) Contacté à ce sujet, le ministère de Fleur Pellerin n’a pas jugé bon de nous répondre.

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