CENTRAFRIQUE. Pourquoi la France a intérêt à intervenir

CENTRAFRIQUE. Pourquoi la France a intérêt à intervenir
Des soldats français du détachement Boali devant un barrage situé près de l'aéroport de Bangui, le 10 octobre 2013. Le 26 novembre, Jean-Yves Le Drian a annoncé le déploiement d'environ "un millier de soldats" français en Centrafrique pour une durée "de l'ordre de six mois", pour rétablir l'ordre dans le pays en appui d'une force africaine. (AFP PHOTO / ISSOUF SANOGO)

Les raisons qui poussent Paris à intervenir ne sont pas forcément celles que l'on croit.

Par Vincent Jauvert
· Publié le · Mis à jour le
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L’intervention française en Centrafrique a déjà commencé, mezzo voce. Ce week-end, 200 militaires ont rejoint à Bangui les 400 paras déjà présents dans le cadre de l’opération Boali destinée à sécuriser l’aéroport et son unique piste.

La semaine dernière, le 25ème régiment du génie de l’armée de l’Air est arrivé à Bangui à bord d’un gigantesque Antonov 124, plein comme un oeuf. Sa mission : agrandir l’aéroport afin qu’il puisse, dans les jours qui viennent, accueillir d’autres très gros chargements.

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Jeudi, le Dixmude, bâtiment de commandement et de projection dernier cri, est arrivé dans le port de Douala, au Cameroun. Il a débarqué 350 hommes, qui ont été, selon le ministère de la Défense, casernés non loin de là, en attendant d’être envoyés en Centrafrique.

Enfin, d’après différentes sources, des forces spéciales ont été déployées sur le terrain afin de mener des missions de renseignement et de reconnaissance.

Le feu vert des Nations-Unies devrait arriver très vite.

En début de semaine, le Conseil de Sécurité – présidé en décembre par le représentant français à l’ONU, Gérard Araud – devrait voter une résolution présentée par Paris qui autorise notre pays à intervenir en soutien de la force africaine, la Micopax, déjà sur place – et d’en prendre de fait le commandement.

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L’opération ("un millier d’hommes", a dit Jean Yves Le Drian) devrait être officiellement lancée dans la foulée, probablement juste après le sommet sur la sécurité en Afrique qui se tiendra à l’Elysée les 6 et 7 décembre.

Quels sont les vrais intérêts de la France dans cette affaire ?

Pas forcément où l’on croit. Quatre facteurs, et non des moindres, plaident contre une telle intervention :

- Il reste très peu de Français sur place (à peine 600, dix fois moins qu’au Mali) et encore s’agit-il là le plus souvent de double nationaux, les expatriés n’étant que "deux cents", selon le ministère français de la Défense.

- Bien que Paris y soit le premier investisseur, les intérêts économiques français en Centrafrique sont désormais peu importants. Les échanges commerciaux s’élèvent à peine 50 millions d’euros. A part France Télécom qui s’est installé à Bangui en 2007 et l’inévitable Bolloré (qui gère le terminal porte-containeurs du port de Bangui), les grands groupes français ne s’intéressent plus guère à ce pays. Aréva, qui avait signé en 2008 un accord pour l’exploitation d’une mine d’uranium dans l’Est du pays, y a renoncé, après la catastrophe de Fukushima.

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- La Centrafrique a longtemps été le cœur de la "Françafrique". On se souvient de Bokassa et ses diamants. Pour François Hollande le risque est grand d’être accusé de renouer avec ce passé nauséabond, qui, depuis 1979, a vu l’armée française intervenir plusieurs fois dans les affaires intérieures de cette ancienne colonie. L’Elysée connait le danger. Il y a un an, quand le président centrafricain, François Bozizé (ancien aide de camp de Bokassa…), le suppliait d’intervenir pour sauver son régime, il a refusé.

- Enfin, après la Libye et le Mali, l’armée française est sur les nerfs, d’autant plus le parlement s’apprête à adopter une loi de programmation militaire qui la met au régime sec en réduisant ses effectifs de 24 000 hommes d’ici 2019.

"Le risque d’atrocités de masse est là"

Mais d’autres éléments, plus stratégiques, ont emporté la décision :

- La Centrafrique se situe aux confins de plusieurs pays où la France a beaucoup de ressortissants et des intérêts économiques importants, notamment le Cameroun, le Tchad et le Congo. Le Gabon, terre de Total, n’est pas très loin, non plus.

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- Située, comme son nom l’indique, au centre de l’Afrique, ce pays pourrait, si l’anarchie s’y installe, devenir un hub pour les groupes djihadistes venus du Nord et de l’Est de l’Afrique – groupes qui ont déjà menacé la France et l’Europe.

- La crise humanitaire qui a commencé en Centrafrique menace de se transformer en génocide. "Le risque d’atrocités de masse est là", a déclaré la semaine dernière l’ambassadeur Araud. Or le précédent du Rwanda hante la classe politique française, qui, dans son ensemble, est favorable à l’intervention. Si la France n’agit pas, elle redoute d’être un jour montrée une nouvelle fois du doigt par la communauté internationale et notamment les Africains.

- Si riche en ressources, le continent africain, dont la croissance économique est très rapide, est l’objet de toutes les convoitises. La preuve : plusieurs pays (la Chine, la Turquie, le Brésil….) organisent désormais chacun leur sommet avec l’Afrique. Et les Etats-Unis vont faire de même en été 2014. En affirmant une présence militaire forte, la France espère rester dans la course.

- Paris est obsédé par son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité, que de plus en plus de pays émergents considèrent comme anachronique. En matière de rétablissement de la paix et de la sécurité dans sa zone d’influence, la France se doit donc d’être exemplaire.

Vincent Jauvert
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