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Climat

À Lima, l’opposition entre pays riches et pays pauvres a empêché un vrai accord

La conférence de Lima sur le changement climatique s’est achevée péniblement dans la nuit de samedi à dimanche. Un accord très imprécis a été adopté, qui enregistre en fait l’opposition marquée entre pays riches et pays en développement. Si ce clivage n’est pas résolu dans l’année, il n’y aura pas d’accord à Paris l’an prochain.


Il y a deux semaines, le monde entier semblait d’accord : la 20e conférence des parties (COP20) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui s’est déroulée pendant deux semaines à Lima au Pérou, devait aller le plus loin possible dans l’élaboration de l’accord de Paris en 2015. Avec un objectif, limiter le réchauffement climatique à 2°C à la fin du siècle.

Mais cet élan s’est heurté à un vieux démon des négociations onusiennes : les divergences entre pays développés et pays en voie de développement. Ce n’est donc qu’à Une heure dimanche matin (sept heures à Paris) qu’une décision, « l’Appel de Lima pour une action climatique », a finalement été adoptée. Rarement une conférence des parties aura accusé pareil retard.

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Au cœur du blocage, le principe de « différenciation » entre pays développés et pays en voie de développement. La Convention de l’ONU sur le climat de 1992 reconnaît « une responsabilité commune mais différenciée » pour ces deux catégories de pays, les premiers étant en grande partie responsable du changement climatique, dont les seconds subissent le plus durement les conséquences.

Les pays en voie de développement ont accusé à Lima les pays développés de ne pas tenir compte de ce principe de justice climatique, d’où des échanges très violents, notamment lors de la plénière de samedi matin. « Nous ne devons pas saper le concept de différenciation », a martelé le délégué du Soudan, avant de rejeter un premier projet de décision au nom du groupe africain, sous de larges applaudissements. « La différenciation est réelle, a renchéri la Malaisie. Vous nous avez colonisés. Nous avons des points de départ différents. » Même avis du côté de l’Arabie Saoudite, du Venezuela, du Nigeria... « Nous nous sentons invisibles ici ! » a clamé l’Algérie, avant de réclamer un nouveau texte. Les pays développés ont en revanche approuvé le premier projet de décision, l’Australie allant jusqu’à estimer qu’il constituait « la meilleure base pour avancer ».

Désaccords sur les contributions nationales, les financements, les pertes et dommages...

Le débat autour des « contributions prévues déterminées au niveau national » (CPDN), feuilles de route présentant les engagements des États pour l’accord de Paris, a cristallisé cette divergence de fond. D’après les pays développés, elles doivent se concentrer sur l’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ; pour les pays en voie de développement, elles doivent intégrer des objectifs en matière d’adaptation au changement climatique, et de financement de cette adaptation.

Autre pierre d’achoppement, le mécanisme des « pertes et dommages » causés par le changement climatique, adopté lors de la conférence de Varsovie en 2013. Il avait disparu du premier projet de décision, au grand dam des pays en développement qui ont obtenu in extremis sa réintroduction, samedi soir. La question du financement est également cruciale dans la mise en œuvre de cette justice climatique.

Contributions nationales : les États gardent les mains libres

La décision finale adoptée dimanche matin sous le nom d’« Appel de Lima pour une action climatique », vague et peu ambitieuse, illustre la difficulté à trouver un compromis dans un tel contexte de crispation. Le paragraphe 14 concerne bien les CPDN, mais peine à décrire concrètement leur contenu. Il précise que les engagements présentés dans ces feuilles de route doivent être définis par les pays eux-mêmes, « à la lumière de leurs circonstances nationales ». « Alors qu’il faudrait se répartir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre globaux fixés au regard des enjeux scientifiques, des exigences des populations, et de justice climatique, et les répartir entre les pays en fonction de leurs responsabilités différenciées et de leurs capacités à agir différenciées, aujourd’hui on est sur un format de contributions nationales et domestiques qui sont unilatérales, portées par les pays en fonction de ce qu’ils veulent faire », dénonce Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France et de l’Aitec.

La date du 1er novembre a été retenue pour la publication de la synthèse de toutes les CPDN, mais la décision n’indique pas de dispositif d’évaluation ou de comparaison de ces contributions. Comment, dans ces conditions, être sûr qu’elles seront suffisantes pour atteindre la cible de 2°C de réchauffement à la fin du siècle ?

Le mécanisme de pertes et dommages a été mentionné en préambule, « mais de façon faible, sans que rien n’ait été dit de plus par rapport à Varsovie », analyse Maxime Combes. Rien de précis non plus sur une éventuelle feuille de route pour respecter la promesse de Copenhague, d’aider les pays en développement à hauteur de cent milliards d’euros par an d’ici à 2020. Alors que les contributions au Fonds vert pour le climat ne s’élèvent pour l’heure, qu’à 10,2 milliards d’euros.

Aucun objectif de réduction des émissions avant 2020

La décision n’évoque pas non plus de mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à adopter avant 2020. « Cette conférence de Lima avait pour objectif de de revoir à la hausse les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de financement d’ici à 2020, ce qu’on appelle l’agenda pré-2020, explique Maxime Combes. Cet agenda pré-2020 a complètement disparu du radar des négociateurs et des ministres arrivés en fin de semaine. »

La communauté scientifique avait pourtant souligné l’importance de réduire le plus rapidement possible ces émissions. « Il est vraiment important de ne pas perdre de temps, parce que tous les gaz qu’on émet restent dans l’atmosphère. Il y a un côté irréversible de tout ce qu’on fait, souligne au téléphone le climatologue Hervé Le Treut, présent à Lima. Les débats sur la cible [d’1,5°C ou 2°C à la fin du siècle] sont des débats importants, bien sûr, puisqu’ils définissent l’ambition de ce que l’on fait, mais ce qui est opératoire c’est de savoir à partir de quand on se met en action. De ce point de vue-là, savoir ce qu’on fait d’ici 2020 est aussi un débat important. »

Un « compromis plus qu’insuffisant »

La décision adoptée à Lima est donc loin de satisfaire les ONG environnementales, inquiètes pour 2015. « La conférence de Lima débouche sur un compromis plus qu’insuffisant pour poser les fondations nécessaires à l’accord mondial sur le climat attendu à Paris », déplore le Réseau action climat (RAC) dans son communiqué.

Côté négociateurs, on est beaucoup plus mesuré. « C’est un bon document pour paver l’allée jusqu’à Paris », approuve Miguel Arias Canete, commissaire Action climatique et énergie de l’Union européenne. « Je ne vais pas dire que la conférence de Paris sera une promenade de santé », admet tout de même Ed Davey, secrétaire d’État britannique à l’énergie et au changement climatique. Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, a de son côté jugé qu’il aurait été « très très difficile de réussir à Paris » sans accord à Lima. « Je ne dirais pas que tous les problèmes sont réglés mais les choses ont tout de même bien avancé ».

Et maintenant ? Les négociations vont se poursuivre pendant un an. Une réunion de travail est d’ores et déjà prévue en février à Genève. La France projette d’organiser une grande conférence scientifique en juillet prochain, sur les enjeux liés au changement climatique. « Nous voulons donner une image des enjeux climatiques qui soit un peu plus large que celle à laquelle on les résume souvent, 1,5°C ou 2°C de hausse. Les enjeux du changement climatique s’expriment de manière beaucoup plus complexe, large, avec des applications dans des domaines extrêmement variés qui vont de la santé à la biodiversité, aux aspects géopolitiques, détaille Hervé Le Treut. Cette conférence aura un rôle d’information, de mise en contexte et de lien entre les différents acteurs. A mi-chemin entre les deux COP, ce sera peut-être le bon moment de le faire. »

De leur côté, les ONG vont poursuivre leur mobilisation autour du changement climatique, au-delà des négociations onusiennes. « La mobilisation de la société civile pour une action a été extrêmement forte en 2014, avec une marche de plus de 400 000 personnes à New York, et une nouvelle manifestation à Lima mercredi. Pourtant, les gouvernements n’en ont pas tenu compte, observe Maxime Combes. Nous allons donc poursuivre nos autres batailles majeures, contre les subventions aux énergies fossiles, les traités Tafta et Ceta et les grands projets inutiles. »

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