« Eau argentée », le film inoubliable sur la guerre de Syrie

« Eau argentée », le film inoubliable sur la guerre de Syrie

Chaque conflit a « son » film, qui immortalise une mémoire collective et la transmet aux suivantes. La guerre de Syrie a trouvé le sien, avec « Eau argentée », d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan, qui sort mercredi et que...

Par Pierre Haski
· Publié le · Mis à jour le
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Chaque conflit a « son » film, qui immortalise une mémoire collective et la transmet aux suivantes. La guerre de Syrie a trouvé le sien, avec « Eau argentée », d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan, qui sort mercredi et que Rue89 vous présente en avant-première lundi soir.

Avant-première lundi soir
« Eau argentée » sera projeté en avant-première avec Rue89 lundi soir, à 20 heures au MK2 Beaubourg, à Paris, suivi d'un débat avec le réalisateur, Ossama Mohammed, débat animé par Pierre Haski, cofondateur de Rue89.

Il y a d’abord l’histoire du film, né d’une « rencontre » via Internet entre un réalisateur syrien exilé à Paris et une femme vivant à Homs, ville rebelle assiégée. Ils ne se connaissent pas. Elle lui demande : « Si tu étais ici à Homs avec ta caméra, que filmerais-tu ? »

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Elle se met à filmer, maladroitement, sans hésiter devant le danger ou l’horreur, et lui reçoit ces images à Paris et imagine le film. Elle est ses yeux, il culpabilise devant les risques qu’elle prend (elle est blessée et se filme en train de se faire « recoudre » la jambe...), le film est la force conjuguée de leur désir de témoigner, de hurler, d’être entendus par le reste du monde de plus en plus sourd.

Wiam Simav Bedirxan et Ossama Mohammed runis pour la premire fois  Cannes, mai 2014
Wiam Simav Bedirxan et Ossama Mohammed réunis pour la première fois à Cannes, mai 2014 - AMMAR ABD RABBO / AFP

Chef d’œuvre

Le résultat est époustouflant. Le mot chef d’œuvre a maintes fois été prononcé depuis que le film a été présenté pour la première fois à Cannes cette année ; la première fois, aussi, que Ossama et Simav se rencontraient « dans la vraie vie ».

Le film est puissant dans la forme, à la fois poétique et percutant, grâce à un découpage et un montage originaux, une narration très personnelle, basée sur les échanges entre les deux auteurs ; puissant aussi sur le fond, puisqu’il décrit, sans concessions, la révolte d’un peuple contre l’oppression, d’abord pacifique, puis armée, puis rongée par la folie djihadiste.

Ossama Mohammed parle d’un « nouveau cinéma » apparu en Syrie avec le soulèvement, ce qu’il appelle le « cinéma YouTube » : les gens se filment en train de manifester, en train de mourir aussi, et mettent leurs images en ligne. Lui a poussé ce cinéma plus loin, et en a fait une œuvre.

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Ossama Mohammed et « Eau argentée »

Images inoubliables

Ce qu’ont vécu, ce que vivent les Syriens plongés depuis plus de trois ans dans une abomination qui vous hante une fois le film terminé. Quelques images insoutenables qui ne vous lâchent pas :

  • ce gamin de Homs, haut comme trois pommes, marchant dans les rues dévastées de sa ville, qui en connaît tous les pièges et dit à la jeune femme qui le filme « N’allons pas par là, il y a un sniper », sur le même ton détaché avec lequel il lui aurait dit « La balançoire est cassée » ;
Le gamin de Homs qui sait o sont tous les snipers
Le gamin de Homs qui sait où sont tous les snipers - DR
  • ces parents qui viennent au commissariat syrien, aux débuts du soulèvement, réclamer la libération de leurs ados arrêtés pour avoir écrit des graffitis anti-Assad sur les murs de la ville, et auxquels on répond : « Oubliez-les, et faites d’autres enfants » ;
  • ces images insoutenables de bébés et d’enfants déchiquetés par les bombes, montrées de manière furtive mais bien réelle, pas pour choquer ou provoquer mais parce que ça fait partie de la vie, ou plutôt de la non-vie dans la ville assiégée.

Ce film ne propose pas de « sortie de crise », ne cherche pas à culpabiliser le spectateur occidental comme le ferait un film « à la BHL » sur la guerre. Il dit ce qui est, ce qui s’est passé, ce qui se passe encore quotidiennement pour ce peuple martyrisé.

Comment le monde a-t-il pu laisser faire « ça » ?

Mais il nous laisse avec nos interrogations. Celles, effectivement,

  • de l’inévitable culpabilité, même si ce n’est pas nécessairement l’objectif des réalisateurs (aurait-il fallu intervenir pour empêcher le massacre, de quel droit et au risque, comme en Libye, d’en générer un autre ?) ;
  • de la frustration extrême face à un conflit passé du « printemps » du soulèvement contre le tyran à une guerre qui a généré des monstres, au point que l’opinion ne reconnaisse plus le « bien » du « mal ».

Les générations futures verront « Eau argentée » en se demandant, comme pour toutes les horreurs commises au XXe siècle comme en ce début de XXIe, comment le monde a-t-il pu laisser faire « ça ».

Pierre Haski
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