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Touchés par la crise, les jeunes diplômés peinent à « quitter le nid »

Il est loin le temps des « Tanguy », qui voyait les parents accepter avec difficulté l’incrustation à la maison de leur progéniture.

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Publié le 15 décembre 2014 à 11h47, modifié le 19 août 2019 à 14h01

Temps de Lecture 5 min.

71 % des jeunes dotés d’un CDI ne vivent plus chez leurs pa­rents, contre 53 % ayant un CDD.

« J’ai retrouvé ma chambre d’ado avec mes photos des copains, mes peluches et mon bureau pour les devoirs. Pas facile ! », se sou­vient Marie, 27 ans. Il y a deux ans, cette jeune ingénieure mosellane à peine sortie d’école est retournée vivre chez ses parents, le temps d’enchaîner les contrats à durée déterminée. Une situation qui tend à se banaliser : se­lon une étude du ministère des affaires sociales et de la santé publiée en juillet 2014, intitulée « Quitter le foyer familial : les jeunes adultes confrontés à la crise économique », « 58 % des jeunes adultes sortis du système éducatif en 2004 avaient quitté le domicile parental trois ans plus tard. Ils ne sont plus que 54 % parmi ceux sortis du système éducatif en 2007 ». Soit une dégradation de quatre points entre 2007 et 2010.

Le document pointe le rôle de la crise sur la décohabitation : « Partir requiert des conditions financières suffisantes, et celles-ci sont déterminées en grande par­tie par les parcours d’insertion professionnelle. Depuis la dégradation du contexte économique en 2008, l’insertion professionnelle des jeu­nes adultes est marquée par des situations de chômage plus fréquentes ou par la récurrence d’emplois souvent précaires. » Ainsi, 71 % des jeunes dotés d’un CDI ne vivent plus chez leurs pa­rents, contre 53 % ayant un CDD.

Pierre-Antoine, 27 ans, a ainsi attendu plus d’un an pour quitter le cocon maternel après la fin de ses études en communication : confronté au chômage, puis à la précarité du CDD, il ne voyait pas l’intérêt de prendre un logement et de dépenser de l’argent alors que sa situation était instable. Pour déménager, le jeune homme a attendu de signer un CDI. « De toute façon, avec un CDD il aurait été impossible de trouver un logement en Ile-de-France », ajoute-t-il.

Simple « colocation avec sa mère »

« Dans les grandes villes, la question du coût du logement et des garanties requi­ses est aussi un frein au départ », confirme Sandra Gaviria, maître de confé­rences en sociologie au Centre interdisciplinaire de recherche sur les mobilités (Cirtai) et à l’université du Havre. Et même lorsqu’ils gagnent leur vie, certains jeunes adultes peinent à trouver un logement.

De retour à Paris après plus de trois ans à Lyon, Anne-Astrid, architecte d’intérieur, 27 ans, est ainsi allée toquer à la porte de ses parents dans l’Oise : « J’avais réussi à louer un studio à Paris, mais il était tout petit, bruyant et je payais 750 euros pour 20  m2. Du coup, j’ai décidé de retourner vivre dans ma famille jusqu’à ce que je me trouve dans un contexte favorable », explique cette jeune femme.

Un retour au bercail pas toujours facile à vivre. Si Pierre-Antoine l’évoque comme une simple « colocation avec sa mère », Charles, 28 ans, qui a dû retourner chez ses parents en rentrant de l’étranger il y a quatre ans, a vécu difficilement cette période : « J’avais un sentiment d’échec. Normalement, les oiseaux quittent le nid et n’y reviennent pas. J’avais l’impression de les décevoir et d’être un bébé, un adulte raté », explique ce diplômé de Sciences-Po Lyon. « Dans l’éducation fran­çaise, l’autonomie est une valeur importante dès la petite enfance, avec comme feu d’artifice le départ de chez les parents », souligne Sandra Gaviria.

Banalisation

Une situation encore plus difficile quand les pa­rents se montrent intrusifs. « Même si je leur suis très reconnaissant de m’avoir accueilli, les interférences familiales étaient parfois pesantes. Comme quand ils venaient me voir pour me dire “Ah, tiens, il paraît que telle entreprise recrute”, alors que ce n’était pas du tout le type de poste que je cherchais. Ou que mon père voulait que je me plante devant le siège de Microsoft avec une pancarte pour dire que je cherchais un emploi », se remémore Charles en souriant. « Du coup, j’essayais de passer le plus de temps possible dehors : à 8 heures du matin, j’étais au café pour éplucher les offres d’emploi et je fai­sais beaucoup de sport », explique le jeune homme, qui s’est depuis installé chez sa compagne et a trouvé un CDD.

La situation semble cependant plus facile à vivre à mesure qu’elle se banalise. « Aujourd’hui, la société comprend que c’est difficile pour les jeunes et qu’ils sont souvent coincés », explique Sandra Gaviria. Pour la sociologue, « il est frappant de voir à quel point la solidarité familiale se met en place. Même si ce n’est pas dans leur modèle idéal ou qu’ils ont peu de place, les parents accueillent comme ils peuvent et laissent une grande liberté. En fait, ils ressentent aussi un sentiment de culpabilité face aux difficultés des jeunes ».

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Du coup, les jeunes adultes s’autorisent davantage à rester au domicile familial. Fanny, par exemple, est retournée chez ses parents pendant six mois pour faire le point après une entrée sur le marché du travail déce­vante : « J’ai négocié une rupture conventionnelle pour quitter mon premier CDI car le poste ne me plaisait vraiment pas. J’avais les moyens de prendre un appartement mais j’avais be­soin de me ressourcer chez mes parents, de me donner le temps pour réfléchir au genre de travail que je voulais vraiment faire. Le soutien actif de mes parents dans ma démarche m’a fait énormément de bien. » Certes, avec cette dépendance accrue à la famille, les inégalités au sein de la jeunesse se creusent.

Solidarité entre générations

Mais cette situation a parfois un côté positif : « Vivre avec ses pa­rents à l’âge adulte peut permettre d’établir une nouvelle relation », assure Sandra Gaviria. « Quand j’étais adolescente, notre cohabitation était difficile, mais à présent que je suis de nouveau chez eux à 27 ans, ça se passe très bien ! C’est même intéressant car notre relation évolue, nous avons des discussions plus adultes », commente ainsi Anne-Astrid.

Cette nouvelle solidarité entre générations tombe bien pour certains nidicoles (se dit d’espèces d’oiseaux qui res­tent longtemps au nid avant de devenir indépendants) assumés. Comme Sophie, une kinési­thérapeute qui, à 22 ans, se trouve trop jeune pour entrer totalement dans la vie d’adulte : « Je crois que ça me plaît de me raccrocher encore un peu à l’enfance, à la vie d’étudiante, même si j’aime travailler. La maison de mes pa­rents en région parisienne est agréable et bien desservie, et comme je m’entends bien avec eux, je n’ai pas envie de partir », explique la jeune fille, qui pré­voit ainsi d’économiser pour pouvoir acheter un logement.

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