La Belgique s'organise contre les pirates somaliens
La Belgique s'est dotée en 2013 d'une législation pour lutter contre les pirates somaliens, à laquelle la dernière touche sera mise dans les tout prochains jours. Elle autorise les armateurs à recourir à des soldats privés.
- Publié le 02-12-2013 à 06h52
- Mis à jour le 02-12-2013 à 13h59
La Belgique s’est dotée d’une législation permettant le recours à des sociétés privées de sécurité pour protéger les navires marchands battant pavillon belge contre les pirates somaliens. Deux systèmes ont été prévus. L’un, transitoire, permet à des sociétés fonctionnant déjà dans l’Union européenne d’être autorisées à protéger des navires belges. L’autre, presque complété - un septième et dernier arrêté royal n’attend plus que la signature du souverain -, instaure des autorisations pour des sociétés de sécurité belges.
Il existait jusque-là deux types de protection auxquels pouvaient recourir les navires belges dans les eaux écumées par les pirates somaliens. Celui procuré collectivement par les opérations Atalante de l’Union européenne, Ocean Shield de l’Otan, la Chine, l’Inde et le Japon, afin de permettre le trafic international entre Madagascar et Oman. Et celui proposé aux navires empruntant une autre route, qui peuvent demander des militaires belges à bord contre paiement, un système appelé VPD (Vessel Protection Detachment).
Mais "aucun VPD n’a été demandé", explique à "La Libre Belgique" Didier Deweerdt, attaché de presse au cabinet du ministre de la Défense, Pieter De Crem. "Les propriétaires de navires marchands ont trouvé que nous étions trop chers et ont détourné leurs bateaux vers les ‘autoroutes’ de navigation surveillées par Atalante." La protection de l’armée belge est, en effet, lente et coûteuse parce qu’elle doit amener ses hommes sur place -au contraire des Pays-Bas par exemple qui, rejetant le recours aux sociétés de sécurité privées, ont prépositionné des soldats dans la région, ce qui diminue les coûts et les délais.
"Des firmes privées se sont proposées après la prise en otage du ‘Pompéi’ en 2009, mais ce n’était pas autorisé par la loi belge", poursuit M. Deweerdt. Un nouvel arsenal légal a donc été mis au point par le ministère de l’Intérieur.
Le cabinet de Mme Milquet juge l’encadrement des firmes de sécurité privées "très strict" : les sociétés doivent être agréées par l’Etat pour deux ans maximum, prorogeables; doivent jouir d’expérience légale à l’étranger ou dans le gardiennage en Belgique, de même que leurs agents, qui doivent être formés et satisfaire à un test "psychotechnique"; aucune sous-traitance (source d’abus en Afghanistan et en Irak) n’est autorisée; les armes doivent être stockées dans des conditions ad hoc. Enfin, la loi autorisant ces firmes est applicable jusqu’au 31 décembre 2014 et ne sera prorogée qu’après évaluation satisfaisante de sa pratique.
Fonctions régaliennes
Le projet n’en inquiète pas moins ceux que préoccupe l’externalisation croissante de fonctions régaliennes. "On a commencé, dans l’armée belge, par externaliser le nettoyage de bâtiments, les parkings, le chauffage", dit ainsi Patrick Descy, secrétaire permanent de la CGSP Défense. "Au début du contrat de nettoyage, on tombait sans cesse sur une femme de ménage; aujourd’hui, on n’en voit plus. Quand le chauffage de la base aérienne de Florenne a été confié à des privés, le contrat précisait qu’ils pouvaient empocher la moitié des économies de chauffage qui seraient faites; aujourd’hui les locaux sont souvent gelés, officiellement en raison de ‘pannes’. Que va-t-il se passer quand ce type de dérapages - auxquels il faut s’attendre avec des privés, le profit étant leur seule raison d’être - sera reproduit sur un théâtre international ?", interroge M. Descy.
"S’ils arrêtent un pirate, ils sont supposés contacter un magistrat belge par téléphone. Le feront-ils ? Qui vérifiera s’il y a des morts en pleine mer ? Les firmes privées sont payées pour obtenir des résultats. Déjà, avec les compagnies privées de sécurité opérant en Belgique, on voit certains gardes se comporter en cow-boys parce qu’ils n’ont pas une formation suffisante; imaginez ce que ça peut donner avec des mitrailleuses…", alerte-t-il.
Le doigt dans l’engrenage
Concernant l’évaluation de la loi après 2014, Patrick Descy hausse les épaules : "le gouvernement a mis le doigt dans l’engrenage. Comme M. De Crem doit faire des économies, on peut craindre qu’en décembre 2014, il dise : je n’ai personne pour cette mission, il faut proroger le recours à des agents privés. Et quand les firmes privées verront que l’Etat n’a pas d’autre choix que de recourir à elles, n’augmenteront-elles pas les prix ? Sans compter les chicaneries sur ce que prévoient ou non les contrats. Et si l’on envoie l’armée en Somalie, la firme privée qui a déjà un contrat là-bas ne va-t-elle pas attaquer l’Etat pour concurrence déloyale ? La menace en a déjà été faite sous André Flahaut, quand il avait annoncé le prêt d’un hélicoptère pour le transport urgent d’organes…" poursuit M. Descy.
"Et puis rappelez-vous, il y a quelques années, les soldats américains restés sans support logistique en Irak et en Afghanistan, en raison d’une grève dans une société privée… Quand c’est l’armée qui est chargée de ces tâches, le fonctionnaire exécute l’ordre qui lui est donné."
Retrouvez notre dossier complet dans La Libre Belgique du jour