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« Des vies de migrants sont en jeu, n’attendons pas trop tard »

Les migrants, qui tentent de gagner l'Europe, ne sont pas des criminels mais des êtres humains qui veulent une vie meilleure, estime William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations.

Publié le 16 décembre 2014 à 12h33, modifié le 19 août 2019 à 14h00 Temps de Lecture 4 min.

Cette année, près de 5 000 migrants ont péri dans le monde en empruntant de dangereuses routes dans l’espoir de trouver la sécurité et une vie meilleure pour leur famille. Sur ce nombre, plus de 3 000 se sont noyés en Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe sur des bateaux de fortune surchargés. C’est sans compter tous ceux qui se sont noyés loin des regards et dont on ne connaîtra jamais le nombre. Un bien triste record. Ils étaient 700 en 2013.

Ce sont des drames de tous les jours qui se déroulent sous nos yeux dans une quasi indifférence. Quels efforts déploie-t-on pour traquer ces trafiquants criminels qui profitent de la détresse pour détrousser les migrants de sommes considérables en échange d’un ticket le bien souvent pour la mort sur des bateaux qui ne sont pas faits pour naviguer en mer ?

Or, j’aimerais rappeler ici que les migrants sont des êtres humains. Ce ne sont pas des criminels. Leur seul tort est de vouloir échapper à l’enfer. On entend des extrémistes de droite parler d’invasion de migrants venus, entre autres, d’Erythrée, du Soudan, de la Syrie, de la Palestine fuyant la dictature ou encore la faim et la pauvreté extrême.

Ils ne sont pourtant pas si nombreux. Qu’est-ce que 160 000 migrants frappant à la porte de l’Europe qui compte 500 millions d’habitants comparé au Liban, petit pays généreux de 4,5 millions d’habitants, qui donne asile à un million de réfugiés syriens ?
L’Italie a fait preuve d’une grande générosité en créant Mare Nostrum, une opération de sauvetage qui a permis de sauver la vie de 160 000 migrants, grâce à des navires de la marine italienne qui ont patrouillé jour et nuit, sept jours par semaine la Méditerranée pendant toute l’année.

Malheureusement, l’Italie met un terme à cette expérience. Peut-on blâmer l’Italie de ne plus vouloir assumer seule une aventure de 10 millions d’euros par mois ?
Or, nous avons désespérément besoin d’une opération de sauvetage en mer. Des vies humaines sont en jeu. Mais, nous nous orientons davantage vers des opérations de contrôle que de sauvetage. Avec ses quelques navires et ses restrictions de navigation à l’intérieur des eaux territoriales, l’opération « Triton », gérée par Frontex, l’organisme européen de surveillance des frontières européennes, reconnaît ne pas avoir été dotée des moyens nécessaires pour prendre la relève.

Je n’ose penser à l’hécatombe dont nous pourrions être les témoins lorsque les beaux jours reviendront et que les migrants prendront à nouveau le risque de traverser la Méditerranée si nous n’avons pas en place une opération de secours en mer digne de ce nom.

La migration est une opportunité

Ne vous leurrez pas. Les migrants connaissent les dangers qu’ils courent. Ils savent qu’ils risquent leur vie. Mais ils le font par désespoir, car il faut être désespéré pour accepter de mettre sa femme et ses enfants sur de tels bateaux. Rappelez-vous les boat-people vietnamiens et l’émotion que suscitait leur drame à l’époque ! Les contrebandiers qui ont coulé de sang-froid, près de Malte, un bateau avec ses 500 passagers le 6 septembre dernier, qui se sont tous noyés à l’exception de dix d’entre eux, sont comparables aux ignominieux pirates en mer de Chine de l’époque.

Mais c’est un désespoir doublé d’une incroyable force de vivre et d’une envie phénoménale de s’en sortir - une énergie dont, je me dis chaque jour, les pays hôtes, en pleine crise économique, seraient sages de profiter.

Rien de plus déchirants que ces coups de téléphone, ces emails, ces photos que j’ai reçus de parents des 500 passagers du bateau coulé volontairement en Méditerranée demandant si leurs enfants, leurs maris, leurs frères étaient du nombre des seuls dix survivants. Des familles entières ont péri. Il s’agissait d’ingénieurs, de jeunes universitaires, de médecins, etc. Certains avaient fui les 60% de chômage en Palestine.

Ne vous méprenez pas. Je ne prêche pas pour que les frontières soient ouvertes sans restriction. Mais si des possibilités d’immigration légale étaient mises en place, on ne verrait pas autant de gens risquer ainsi leur vie. Si les ambassades mettaient en place des modalités d’application pour le droit d’asile dans les premiers pays où arrivent les réfugiés après avoir fui la guerre chez eux, on n’aurait pas eu, par exemple, autant de Syriens morts en mer cette année.

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Je pense que la migration ne devrait pas être vue comme un problème, mais une opportunité. Nous vivons désormais dans un monde global où la migration est devenue un phénomène de notre temps qui va continuer à se développer. Avec une population vieillissante dans l’hémisphère nord et extrêmement jeune dans le sud, nous ne devons pas nous cacher la vérité. Nous allons avoir besoin les uns des autres.

Ce ne sera pas facile. Mais refuser cette réalité c’est courir vers davantage de problèmes sociaux. C’est un défi à relever. Les politiciens doivent se retrousser les manches et aborder une question qui est loin d’être populaire dans une période de crise économique. Mais, nous n’avons pas le choix. N’attendons pas trop tard.

William Lacy Swing est directeur général de l’Organisation internatinale pour les migrations (OIM).

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