“L’heure est enfin arrivée”, se réjouit le site prorégime Cubadebate, qui parle du “plus beau jour de notre vie”. Après 53 ans de rupture diplomatique entre les Etats-Unis et Cuba, la perspective d’un rétablissement des relations entre les deux pays “nous fait vivre une émotion comparable à celles de nos pères le jour du 1er janvier 1959” [date du “triomphe de la Révolution” cubaine de Fidel Castro].

Ce 17 décembre à midi à La Havane, heure des discours concomitants du président Obama et de son homologue cubain Raúl Castro, les foules se sont agglutinées devant les postes de radio et de télévision pour entendre la nouvelle tant attendue. Devant les écrans géants du centre commercial Carlos III de la Havane, “les gens envoient des baisers à Obama et s’embrassent”, relate le site 14ymedio créé par la blogueuse d’opposition Yoani Sánchez.

D’un bout à l’autre de l’Amérique latine, nul n’a de mots assez forts pour exprimer la joie de cette “décision qui change tout”, comme le titre La Nación. “Le mur de Berlin a fini de tomber hier, à Cuba, estime ainsi l’éditorialiste du quotidien argentin. “Le rétablissement des relations entre les Etats-Unis et Cuba a éteint le dernier vestige de la guerre froide”.

Le Venezuela et la Bolivie approuvent

Même dans les pays de la “révolution bolivarienne” proches du modèle cubain, tels que la Bolivie et le Venezuela, la nouvelle est reçue avec respect à l’égard du président Obama. El Universal à Caracas parle ainsi de “tournant historique”. Le communiqué officiel du gouvernement vénézuelien publié par le quotidien tient toutefois à rappeler que “le blocus économique et commercial criminel contre le peuple cubain est un échec” et se félicite que les Etats-Unis fassent un “geste historique de rectification”.

De son côté, le quotidien bolivien progouvernement El Diario évoque un “changement très positif pour toute la région [latinoaméricaine] et qui marque une nouvelle étape, où les intérêts mutuels de coopération comptent davantage que les idéologies”.

Contexte et interrogations sur le futur

Passée la surprise, des éditorialistes s’interrogent sur les circonstances qui ont amené les deux pays à se rapprocher. La presse souligne le rôle historique du pape François dans ce dégel. “Des rencontres secrètes ont eu lieu au Vatican avec la médiation du pape François”, rapporte le quotidien colombien El Tiempo, reprenant une révélation du New York Times. Le quotidien argentin Página 12 rend ainsi un hommage appuyé au souverain pontife qui “s’investit personnellement sans perdre de vue que le chemin qu’il s’est choisi comporte des risques. Mais il est disposé à les prendre”.

L’éditorialiste de La Nación estime pour sa part qu’à “ce triomphe diplomatique” du pape, il convient d’ajouter le contexte de la crise sévère qui touche le Venezuela, confronté à la chute du prix du pétrole dont son économie est largement dépendante. Cette crise “remet en question l’attitude protectrice du Venezuela envers Cuba”, à qui il fournit du pétrole à des prix considérablement bas, observe le journal. Dans ce contexte, “le retour des Etats-Unis à une diplomatie régionale, par la porte de La Havane, est une réponse” aux initiatives de la Chine et de la Russie dans la région. Il y a deux semaines, rappelle l’éditorialiste, le gouvernement vénézuélien s’est rendu à Pékin pour sceller un échange de devises contre des produits pétroliers.

Le jour J n’est pas encore arrivé

Enfin, au-delà des annonces, tout reste à faire. A Bogota, El Tiempo détaille “les cinq défis à relever” pour que l’enthousiasme de ce 17 décembre se traduise dans les faits. La question de la levée de l’embargo américain sur Cuba, notamment, “reste un sujet épineux, avec lequel les Etats-Unis jouent leur prestige mondial”, estime le journal.

“Le jour J n’est pas (encore) arrivé”, tance de son côté Yoani Sánchez dans son éditorial sur 14ymedio. “Il manque singulièrement un agenda qui permettrait au gouvernement cubain de montrer qu’il fera des gestes en faveur de la démocratisation et du respect des différences”, note la blogueuse qui vit à Cuba. Tant que “ces pas ne seront pas faits, nous resterons nombreux à penser que l’époque tant attendue n’est pas encore pour demain”.