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À Bruxelles, une ZAD s’organise contre un projet de méga-prison

À Haren, un quartier de Bruxelles, les autorités veulent construire la plus grande prison de Belgique au cœur du Keelbeek, un espace vert de dix-huit hectares. Des opposants ont installé une ZAD sur le site pour protéger ce site naturel et les terres agricoles. Ils contestent la nécessité de nouvelles prisons plutôt que des systèmes alternatifs de justice.


-  Bruxelles, correspondance

Une cabane en bois, deux yourtes et une caravane. Voilà à quoi ressemble, pour l’instant, le petit village que les occupants du « Keelbeek » ont construit de leurs mains. Perdu au milieu d’un espace vert de dix-huit hectares, l’endroit est idyllique. S’il n’y avait pas les avions et la voie de chemin de fer à quelques mètres de là, on pourrait se croire en pleine campagne, à mille lieues de toute ville, voire de toute civilisation.

Une prison à la place des chicons

Nous sommes pourtant à Bruxelles, à Haren plus exactement, un quartier excentré au nord de la capitale belge, situé à une encablure du « Ring » (Périphérique) et de l’aéroport international de Zaventem. Dans ce quartier, que les quatre mille habitants continuent de nommer « village », le « Keelbeek » est depuis toujours un espace de respiration et d’évasion. On vient s’y promener en famille. On y fait paître les chevaux. Et jusqu’à l’année dernière, une partie de la zone consistait encore en terrains agricoles, dédiés aux pommes de terre et aux « chicons », ces endives dont les Belges raffolent.

Mais le Keelbeek est désormais menacé de disparition. Car le gouvernement belge a choisi cet endroit pour y construire la plus grande prison du pays : un complexe pénitentiaire ultra-moderne, qui pourrait accueillir mille deux cents détenus et qui remplacerait les prisons de Saint-Gilles et de Forest, proches du centre-ville et du Palais de Justice.

Pour comprendre cette décision, il faut remonter quelques années en arrière. Comme la France, la Belgique est régulièrement pointée du doigt pour les conditions d’incarcération désastreuses qu’elle impose à ses détenus. La plupart des prisons du Royaume sont vétustes et surpeuplées.

- La ZAD du Keelbeek -

A la prison de Forest, par exemple, les détenus sont souvent trois ou quatre par cellule. Dans une partie du bâtiment, il n’y a ni sanitaire, ni eau courante... Une situation intenable, qui a provoqué de nombreuses grèves du personnel pénitentiaire, et qui a décidé le gouvernement fédéral à agir.

En 2008, ce dernier a donc présenté un « Master Plan », prévoyant la construction de quatre prisons flambant neuves. Une fois inaugurées, elles augmenteront la capacité d’incarcération du pays tout en lui permettant de fermer définitivement les établissements les plus vétustes.

Des alternatives : "Aux Pays-Bas, les prisons sont vides"

Le chantier de la prison de Haren doit débuter en mai 2015. Mais c’était sans compter l’opposition d’une poignée d’associations, qui ont décidé de s’opposer au projet pour des raisons tant philosophiques qu’environnementales. « Il y a au moins trois bonnes raisons de s’opposer à ce projet », explique Jean-Baptise Godinot du Rassemblement R’, l’une des organisations actives dans la défense du Keelbeek.

« D’un point de vue environnemental, et dans une logique de souveraineté alimentaire, nous pensons qu’il est aberrant de bétonner l’une des dernières zones naturelles de Bruxelles. Elles pourraient être utilisées comme terrain agricole et participer à la création d’une ceinture verte autour de la ville. Du point de vue des habitants, la destruction du Keelbeek changerait complètement le cadre de vie. De ’village’, leur quartier passerait au rang de banlieue grise et bétonnée, coincée entre le train, l’autoroute et l’aéroport. »

Quant à la nécessité de construire de nouvelles prisons, « une augmentation de capacité carcérale ne résoudra en rien le problème de la surpopulation. Au contraire, beaucoup d’études montrent que de telles politiques ne vont faire qu’encourager la Justice à emprisonner encore davantage de personnes.

Ce qu’il faut, c’est changer de vision en matière de punition. A quelques kilomètres d’ici, aux Pays-Bas, les prisons sont vides. Pourtant les gens ne sont pas moins criminels que chez nous. Les autorités ont simplement développé un arsenal de peines alternatives qui leur ont permis de mettre fin au problème de surpopulation sans construire de nouvelles prisons. »

ZAD

Dès cet été, quatre militants ont donc décidé d’occuper le Keelbeek, et d’y rester quoi qu’il arrive, jusqu’à ce que le gouvernement fasse marche arrière. Parmi eux, Rafael, 45 ans, barbe grise et bonnet vissé sur la tête, installé dans une des yourtes depuis le mois d’août.

« On ne se connaissait pas », explique-t-il. « On a fait connaissance ici et on s’est organisé autour d’un même projet. Personnellement j’avais déjà participé au mouvement pour la défense du Potager des Tanneurs (un potager collectif dans un quartier populaire de Bruxelles NDLR). Je me suis dit qu’il fallait absolument se mobiliser pour défendre cet endroit. A vingt minutes du centre-ville, ce serait un désastre de bétonner un espace comme celui-ci. »

Les occupants le disent clairement, le « Keelbeek » est désormais une ZAD, une Zone à défendre comme il en existe ailleurs, et notamment en France. Le week-end dernier, les 13 et 14 décembre, plusieurs activités ont eu lieu pour l’inaugurer officiellement. Récolte de pommes de terre, musique, spectacle... Des dizaines de personnes sont venues de même que de nombreux médias.

Après des mois d’existence dans l’ombre, la ZAD de Haren s’est brusquement retrouvée sous les feux de la rampe. « Ce n’est qu’un début », avertit Rafael. « J’espère que d’autres personnes vont se joindre à nous et que nous serons nombreux à occuper le site. »

A l’heure actuelle, les occupants sont sous le coup d’une menace d’expulsion de la part des autorités. Mais la résistance s’organise. Et ils peuvent compter sur le soutien de nombreux habitants de Haren qui n’ont aucune envie de voir débarquer une méga-prison chez eux. Les membres du collectif envisagent déjà les parades juridiques qu’ils opposeront devant les tribunaux si les huissiers débarquent pour les expulser.

En attendant la vie s’organise dans la ZAD. Et si le froid s’est installé, il en faut plus pour décourager les occupants, déterminés à rester là jusqu’au bout.

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